31 mars 2007

Pourquoi faut-il encore qu'il épuise la terre ? – Luc 13, 7


« Et il dit cette parabole: " Un homme avait un figuier planté dans sa vigne. Il vint y chercher du fruit et n'en trouva pas. " Il dit alors au vigneron: "Voilà trois ans que je viens chercher du fruit sur ce figuier et je n'en trouve pas. Coupe-le. Pourquoi faut-il encore qu'il épuise la terre ? " Mais l'autre lui répond: "Maître, laisse-le encore cette année, le temps que je bêche tout autour et que je mette du fumier. Peut-être donnera-t-il du fruit à l'avenir. Sinon, tu le couperas" [1]


La parabole du figuier stérile nous parle peut-être encore plus spécialement en ces jours printaniers où la terre semble déployer devant nous son inlassable fécondité… Jours de carême où l’on entend dans les églises résonner de culpabilisants réquisitoires contre nos faiblesses et nos iniquités. Faible et inique que je suis, je n’arrive plus à supporter ces discours accusateurs et ces appels à la conversion grinçants… Culpabiliser n’est pas responsabiliser. Si la conversion peut passer par l’étape du sentiment de culpabilité, elle est sur le long terme avant tout une attitude active de prise de décision et de discernement. A travers la question de la stérilité, au centre de l’évangile du troisième dimanche de carême, ce n’est donc pas de l’autoflagellation que je me propose, mais une réflexion sur la question de la responsabilité individuelle dans l’avènement du royaume.

Le figuier stérile est l’homme pécheur, celui qui épuise la terre. La profondeur de cette phrase est insondable.

Ici se découvre un autre visage de l’ascèse, qui ne recherche pas la privation et la pénitence, mais la fécondité et l’enracinement d’une vie humaine. Une vie qui ne refuse pas le monde mais participe, par sa croissance, au déploiement de la vie en son sein. On se prend alors à rêver d’un carême qui ne serait pas axé sur notre nombril - si catholique soit-il, sur ce que nous faisons mal, ce que nous ne faisons pas ou que nous devrions faire, etc etc. D’un carême qui nous aiderait à contempler l’incroyable fécondité du monde, pour nous donner la force de vaincre nos stérilités. Un carême qui nous débarrasserait définitivement de tout dégoût ou mépris du monde. Un carême nietzschéen somme toute, qui nous enseignerait le « sens de la terre » !

« Mon moi m’a enseigné une nouvelle fierté, je l’enseigne aux hommes : ne plus cacher sa tête dans le sable des choses célestes, mais la porter fièrement, une tête terrestre, qui créé le sens de la terre ! […] Ce furent les malades et les décrépits qui méprisèrent le corps et la terre, qui inventèrent les choses célestes et le goût du sang rédempteur […] Ils voulaient se sauver de leur misère et les étoiles leur semblaient trop lointaines. Alors ils se mirent à soupirer : « Hélas ! que n’y a-t-il des voies célestes pour que nous puissions nous glisser dans un autre Etre, dans un autre bonheur ! » - Alors ils inventèrent leurs artifices et leurs petites boissons sanglantes ! Ils se crurent ravis de leur corps et de cette terre […] » [2]

Le “sens de la terre” n’est-il pas contenu dans cette interrogation terrible: « Pourquoi faut-il encore qu'il épuise la terre ? ». L’homme pécheur est celui qui profite des biens de la terre, qui s’en nourrit pour vivre, et ne produit lui-même pas de biens. Il est semblable à l’arbre qui ne donne pas de fruit : il épuise la terre en déployant sa vie égoïste, il n’accomplit pas ce pour quoi son être est conçu. Le propos du figuier stérile rejoint par là celui de la fameuse parabole des talents [3] : pour grandir et se déployer, le Royaume exige des ouvriers capables de faire fructifier les charismes qu’ils ont reçu. Et le premier des dons, c’est la vie…


Attention au piège du nombrilisme. La vocation du peuple de Dieu n’est pas l’autocomplaisance mais bien l’enracinement dans le monde. En vue de sa transfiguration à la fin des temps, au huitième jour préfiguré et déjà actualisé par le dimanche de Pâques…


[1]Lc 13, 6-9 (Traduction TOB. Nous soulignons)

[2] Ibid, discours "des hallucinés de l’arrière monde"

[3] Cf. Mt 25, 14-28.

30 mars 2007

Ca casse pas trois pattes à un canard?

Comme je suis une fille plutôt positive et que j'essaie de tordre le cou de mes préjugés, partant du principe que ce qui est populaire n'est pas forcément mauvais, j'ai cédé aux instances de mes collègues, et j'ai perdu quelques heures de la précieuse existence à lire le fameux, l'extraordinaire, l'indexé... Da Vinci Code.
En 48 heures de la vie d'une femme comme moi, prenez 16 heures consacrées à dormir, 16 heures consacrées au Crédit Agricole, 8 heures environ de repas et toilette et environ 4 à ma vie sociale : faites la déduction du temps que j'ai consacré à ce phénomène qui fit causer, couler tant d'encre et vendre tant de papier.
Pleine d'espérance (de celle du peuple chrétien, qui sait que le Christ a vaincu la mort, et que la Vérité viendra torcher la connerie ambiante un jour quoique lointain et pas près d'arriver), pleine d'espérance donc, je pensais me lancer dans un bon thriller, une intrigue haletante, des personnages à peu près construits...
J'aurais dû me douter que si ma Sainte Mère Eglise a jugé bon d'indexer ce tas de papier, c'est qu'il y avait de bonnes raisons.
Et ce n'est pas mon coeur de catholique qui parle, c'est mon âme esthétique, rassasiée de bons livres et avide de sensations littéraires en tous genres. A proprement parler, le Da Vinci Code est une expérience de lecture très éprouvante. En fait d'intrigue, on est promené dans une succession d'épisodes délirants, suivant des personnages plats et bêtes qu'on croirait sortis d'un roman feuilleton pour mémères ("l'héroïne (intelligente, mais toutefois candide, orpheline de surcroît, aux yeux verts et à la splendide chevelure auburn"). On decouvre très rapidement qui joue double jeu, ne pouvant pas même nous consoler d'une surprise. Et le pire, lorsque l'on lit un roman d'aventure, est de subir ces discours pédants plus premier degré tu meurs, complètement hallucinants, mise en scène d'un fatras ésotérique de toute culture et de toute époque, galimatias censé lever le voile sur ces infâmes complots qui nous entourent.
Car évidemment, comme chez Julien Courbet et dans tout bistrot qui se respecte, on se gargarise: "On nous ment, on nous spolie!" Et pour faire plus vrai, on se donne une petite touche intello en débitant d'un ton sûr des conneries grosses comme soi. Le pire, c'est que ça marche, puisque tout le monde est emballé. Sur un plan philanthropique donc, l'homme de bonne volonté qui se lance dans cette lecture est désarmé: il se retrouve subitement face au mystère de la bêtise humaine, assurée et arrogante.
D'arrogance, le texte en dégouline lorsqu'il charge l'Eglise Romaine d'accusations fausses et stupides, tout ça au profit d'un gnosticisme effrayant à la gloire du "Féminin Sacré". Je suis d'accord pour affirmer haut et fort que l'Eglise n'est pas nette avec le deuxième sexe, mais de là à prôner un culte du féminin comme vecteur, par le sexe, de la rencontre avec Dieu (la fameuse scène de "Hiéro Gamos" qui émeut tant le héros!)...
Dans le catholicisme, les femmes sont tout bonnement écartées de la participation à l'autorité. Mais on les respecte tout de même assez pour ne pas les considérer comme des MOYENS de s'unir au "sacré", beau concept new age flottant et fourre tout. On n'est pas loin dans certaines pages des textes gnostiques des premiers siècles qui décrivent la Vierge Marie comme un tuyau entre le Divin et l'humain, par lequel la divinité s'est mêlée à notre sinistre humanité. En matière de revendication féministe, je trouve ça plutôt gratiné comme image...
L'idéologie religieuse portée par le Da Vinci Code est perverse, car elle se revendique plus "humaine" que la doctrine chrétienne, pour la simple raison qu'elle imagine Jésus en père de famille et en époux. En fait, elle se construit autour d'une dangereuse négation de la personne dans le culte et dans l'idée même de la religion. Même Dieu est dépersonnalisé, au profit d'une puissance floue "sacrée", "divine". Aussi grave, la mise sur le même plan de tous les cultes et de toutes les religions, censées exprimer la même chose, c'est-à-dire ce que l'hydre Romaine cherche à tout prix à dissimuler aux yeux du monde!
Bref, le plus flippant dans tout ça, c'est que le lecteur rompu, cultivé et doté d'une certaine honnêteté intellectuelle, referme le livre en se disant que finalement, ce bouquin ne casse pas trois pattes à un canard. Logiquement, par conséquent, il se demande comment un tel livre a pu avoir autant de succès... et c'est là que s'ouvre l'abîme.

25 mars 2007

Y'a d'la joie

Avec le printemps et les hirondelles, il est permis d'espérer la grâce d'une connection internet qui marche... La nature se parera de son manteau marial étoilé, l'air deviendra plus léger, les jeunes filles sortiront leurs jupettes!
Alors reviendront, dans le doux soleil parfumé et la tiédeur des prés humides de rosée, les publications nombreuses et exaltées...

Découverte de Nizan, Proudhon...

Lectures russes: Dostoïevski et Gogol

Lectures futiles, Fred Vargas et Da Vinci Code!

Immersion matissienne au programme

Féminisme prêcheur

Programme minceur (45 jours pour être canon en bikini)

Sarko, Ségo et Francesco

Les tendances de l'été: compensées et mini-short


JOIE, JOIE, JOIE!

Jacob ou l'improbable salut, par Funny Friend

Chers lecteurs, voici une modeste contribution sur le cas Jacob produite à l'invitation de l'ami Thibaut. Je suis navré, je ne suis pas philosophe mais simple étudiant en M2 de Lettres Classiques. Pour ne pas vous décevoir je préfère vous dire dès maintenant que mon texte sera relativement court et qu'il ne comportera pas autant de doctes références que les articles de mes compères Elise et Thibaut. Je tiens à vous dire aussi qu'il vaut mieux ne pas s'arrêter au ton pseudo-psychanalytique et dérisoire de ma production cela fait partie du jeu.
L'épisode de Jacob se trouve au livre de la Genèse du chapitre 25, verset 19 au chapitre 50. Il comprend quelques excursus comme par exemple l'épisode de son fils Joseph. J'ai choisi d'intituler ce post Jacob ou l'improbable salut car vous allez voir que la présence, à mon avis, de ce patriarche dans la Bible tient a priori du prodige.


Oui, la formidable ascension d'Israël quand on commence la lecture est loin d'être flagrante et prévisible. Dressons en quelques mots le tableau. Jacob est le fils d'Isaac et de Rebecca et le frère jumeau d'Esaü. Freud disait : « l'enfant est le père de l'homme ». Et bien observez un peu toute les casseroles psychologiques et constitutives de la personne que se trimbalait Jacob dès la plus tendre enfance. 1°) Un frère jumeau qui a tout pour réussir (25,27 : Esaü était un chasseur expérimenté qui courait la campagne; Jacob était un enfant raisonnable qui habitait sous les tentes.). 2°) Un père qui bien évidemment préfère s'occuper de l'aîné bouru plutôt que de l'autre (25,28 : Isaac préférait Esaü, car il appréciait le gibier.). 3°) Une mère castratrice (25,28 : Rebecca préférait Jacob ; 27,8 : « Maintenant mon fils, écoute-moi et fais ce que je t'ordonne » ; 27,42-43 : On informa Rebecca des propos d'Esaü, son fils aîné. Elle fit appeler Jacob, son fils cadet, et lui dit : « Voici que ton frère Esaü veut se venger de toi en te tuant. Maintenant, mon fils, écoute moi ; debout ! Fuis chez mon frère Laban à Harrân. »). A ce stade déjà on se demande comment Jacob a fait pour s'en sortir ; ce qui a fait de lui un héros de l'Ecriture et non la vedette de « Priscilla, folle du désert ». Et ce n'est pas fini ! Cela continue comme ça sur encore trois ou quatre chapitres : un oncle qui ne pense qu'à exploiter son neveu pour faire marcher la boutique et le cheptel ; deux femme aussi jalouse l'une que l'autre ; la bien-aimée est stérile et toutes deux jouent à ce qu'on pourrait appeler « la course au bébé » pour avoir le privilège d'être la mère de l'héritier ou alors, vu le nombre pléthorique d'enfants, peut-être est-ce pour avoir l'honneur de candidater à « une famille en or » ??


Alors, voilà, avec tout ce passif comment je fais pour être à la hauteur d'Abraham et d'Isaac ? Comment je fais pour devenir Père du Peuple Elu ? C'est simple, je passe mon Bac ou plutôt le Yabboq. Et là je croise un ange et tout est réglé ! Bon, plus sérieusement, qu'est-ce que recouvre cette fameuse rencontre avec, en fait, Dieu lui-même ? Le passage du Yabboq c'est quand tout bascule, quand je prend conscience de toutes mes casseroles, de tous les squelettes du placard et où seul (32, 25 : Jacob resta seul) je décide de les affronter. L'homme ou l'ange c'est Dieu qui est là à nos côté pour nous soutenir dans ce terrible combat avec soi-même voir même pour stimuler le combat, et oui, il est tellement plus simple de vivoter ou de pratiquer la politique de l'autruche parfois (j'invite les lecteurs de ce blog qui ne serait pas des croyants convaincus à remplacer le mot « Dieu » par une réalité tout aussi proche, Sagesse, Sophia, Philosophie...). C'est très dur (32, 27 : [Jacob] lui dit : « Laisse-moi car l'aurore s'est levée »- « Je ne te laisserai pas, répondit [l'ange], que tu ne m'aies béni »), on est blessé tant moralement que physiquement ( 32, 26 : il heurta Jacob à la courbe du fémur qui se déboîta ; 32, 33 : Il avait en effet heurté Jacob à la courbe du fémur, au muscle de la cuisse) mais c'est là la condition sine qua non pour vivre une vie en homme debout quoiqu'il advienne de nous, pour garder et construire sa dignité humaine. De ce combat mené en vérité, on sort irrémédiablement vainqueur. C'est un autre moi, guéri, réconcilié avec soi-même, littéralement changé, converti qui se relève : « On ne t'appellera plus Jacob, mais Israël, car tu as lutté avec Dieu et avec les hommes et tu l'as emporté ».

Après ça je deviens plus fort, plein de courage, je gagne l'armure des justes et je peux :

1°) me réconcilier en profondeur avec mon frère (chap. 33 ; verset 15 : Il me suffit de trouver grâce au yeux de mon seigneur. (désigne ici Esaü) ),

2°) être indulgent avec papa et maman tout en disant à l'un que j'existe ( 35, 29 : Isaac expira, il mourut et fut réuni aux siens, âgé et comblé de jours. Esaü et Jacob l'ensevelirent) et à l'autre que j'ai passer l'âge d'être materné (désolé mais nulle trace de ceci pour Jacob...) et aux deux que je suis désormais prêt à assumer moi-même ma propre famille, ou plus simplement ma propre vie,

3°) devenir pater familias et renvoyer charitablement mais sûrement mes deux ou quatre femmes à leur place (désolé pour cet excès machiste qui ne me ressemble guère mais qui dit une part de la vérité et qui surtout viendra réjouir mes congénères vires). La fin de l'épisode de Jacob des chapitres 37 à 50, outre tout ce qui concerne Joseph, n'est que la mise en évidence de tous les fruits reçus après Yabboq. Jacob a réussi à être un bon père de famille, un guide pour le peuple que Dieu s'est choisi (nb : dès le passage du Yabboq Dieu parle à Jacob, signe qu'une transmission peut désormais avoir lieu, que Jacob peut recevoir l'héritage de ses pères, qu'il a pris sa place dans sa propre filiation tout comme dans la filiation divine) même si les circonstances de la vie font qu'ils ont quitté Canaan... Véritablement guide car si jusqu'ici Dieu s'était trouvé des interlocuteurs individuels, à partir de l'Exode (le livre suivant la Genèse qui se conclue finalement au chapitre 50) c'est vers tout le Peuple d'Israël qu'il dirige sa Parole.

J'avais commencé ce post en qualifiant le salut de Jacob d'improbable a priori. Improbable à vue humaine c'est certain. Vous conviendrez qu'il partait de loin et que ça peut paraître limite crédible !! Et pourtant c'est ce type d'histoires qui me ravi dans la Bible parce que tellement humaines et tellement vraies ! D'ailleurs à y regarder de plus prêt ce n'est peut-être que ça la Bible : une succession d'histoires de paumés qui ont l'honnêté de reconnaître leur misère, que Dieu prend en pitié et qu'Il aide à s'en sortir !!

PAIX ET JOIE.

Ill: Gauguin, La vision après le sermon ou la lutte de Jacob avec l'ange, 1888, National Gallery of Scotland , Edimbourg