22 septembre 2006

De la lecture – ou : quel est l’appétit de votre âme ?

Ayant terminé la lecture, d’une traite, de Constance D., attirée par l’enthousiasme de Thibaut, je prends quelques temps de réflexion sur l’acte même de la lecture. Il s’agit bien sûr pour moi de répondre aux ironiques commentaires d’un bloger amateur d’Amélie Nothomb, qui s’est offert le chic de me tourner en ridicule ! Crime de lèse majesté, parce que j’avais affirmé qu’une telle lecture n’apportait nulle nourriture à l’âme… je me permets donc de lui répondre dignement, quoique, qu’il le note, je ne lui en veuille pas ; ayant été parfaitement défendue et comprise par l’auteur du blog en question qui a parfaitement remis les choses en place, et je l’en remercie.
Il m’a quand même fallu, je vous l’avoue, quelque temps pour digérer le fait que ce jeune homme m’ait taxé - sous deux angles différents - de puritanisme ! Ce qui ne me caractérise pas vraiment, ni non plus ma bibliothèque, où S. de Beauvoir (la pécheresse) n’est pas rangée bien loin de F. Varillon s. j., de notre cher ami Baruch le maudit et de tous ses petits camarades rigolos. Mais il convient de décortiquer sereinement les termes de la disputatio.
Chercher une nourriture spirituelle dans un livre serait donc compris comme un puritanisme, en deux sens : un « sujet spirituel » serait forcément catho et gnagnan (mon détracteur me renvoyant à la Légende Dorée et au Génie du Christianisme, qui semblent être à ses yeux les parangons du genre « spirituel » ), tandis qu’une « lecture spirituelle » serait forcément celle d’une langue et d’un style irréprochablement précieux et désuets (d’où un baise main du jeune homme, qui décidément se paye ma tête jusqu’au bout, comme si j’étais une vieille fille provinciale romanesque ! Grrrrrrrr).
Or, Gai Luron l’a bien compris, l’âme ne se satisfait ni de grands sentiments ni de pirouettes stylistiques, si ceux-ci ne renvoient pas à une profonde expression de l’humanité. Ce dont il est question, ce dont nous avons soif - et je ne peux que reprendre les termes de mon vaillant défenseur que je trouve parfaits – c’est de trouver dans la lecture « un élément de l’universel, voire de l’absolu », une restitution « d’une part de l’universelle condition humaine à travers la particularité d’une âme », « une part d’universalité ou d’absolu qui nous arrache à nos particularismes ».
A mon sens, lire un roman est sur le plan du sentiment et la sensibilité le même acte de rencontre de l’altérité que celui qui nous tentons d’accomplir, sur le plan rationnel, lorsque nous étudions la pensée d’un philosophe et que nous en nourrissons notre raison, lui permettant ainsi de forger, selon la métaphore cartésienne, ses propres outils, grâce au dialogue avec la pensée d’autrui. Ne construisons-nous pas notre sensibilité par la rencontre romanesque ? Ce qui va combler notre âme, c’est la rencontre d’une autre âme. C’est là, à mon sens, ce qui distingue un livre intéressant d’un livre passionnant, absorbant. J’ai souvent été frappé par l’impression, en fermant un livre, de quitter un monde, des personnes. Qui m’accompagnent ensuite et m’entourent bien souvent dans les circonstances de ma vie ! Vous me direz, et c’est juste, que cela est surtout dû à mon hypersensibilité et à l’intégrité de mon caractère. Certes, on peut aussi penser à Mme Bovary feuilletant lascivement de niais keepsakes. C’est vrai, je l’avoue, je suis amoureuse du prince André Bolkonski et je jalouse Natacha Rostov ! Quand je vois des vaches, je pense aussitôt à Zarathoustra. Ainsi de suite. Il est vrai aussi que la lecture de Vie et Destin m’a permis de comprendre le drame de la guerre et du totalitarisme mieux que tous mes cours d’histoire. Voila ce qui est nourriture pour l’âme ! Un enchantement du monde, une communion spirituelle avec ces autres qui ont pensé, vécu, écrit, qui nous accompagnent, remettent en question nos petits schémas.
Alors, Amélie Nothomb dans tout ça… Elle m’offrit quelque distraction durant une heure de ma vie (car ses livres sont si peu denses qu’on les termine avant même de les avoir ouvert). Ce n’est déjà pas si mal…

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Il n'y a pas grand chose à ajouter. Je suis très très heureux que Christian Combaz vous ait plu. Et oui, vous avez raison, un personnage romanesque médiatise notre rapport au monde, nous accompagne car il porte en lui cette part d'universel que nous retrouverons partout.

Anonyme a dit…

«Quand on voit le style naturel, on est tout étonné et ravi, car on s'attendait de voir un auteur et on trouve un homme; au lieu que ceux qui ont le goût bon et qui, en voyant un livre, croient trouver un homme, sont tout surpris de trouver un auteur. "Plus poetice quam humane locutus es¹"»
Pascal, Pensée 569 (Le Guern)

Petite contribution au débat. Chez Amélie Nothomb ce qui est amusant c'est que tout sonne faux. C'est frais, drôle, un peu déjanté. Mais on n'y crois pas. D'ailleurs je ne crois pas que ce soit le but. Dans ses romans pseudo-autobiographiques, ce qui est amusant ce n'est pas qu'ils soient justes (tout sonne faux), ce qui est amusant c'est la manière dont elle sur-interprète sa vie, la transforme pour la rendre plus folle. Il y a deux manière de rendre une existance a priori sans intérêt, digne d'intérêt : 1) broder, sur-jouer, délirer, fausser à la Nothomb 2) l'analyser, lui faire prendre de la consistance en faisant du récit de sa vie un récit pour tous, comme chez Proust.

Faisons-nous plaisir, constatons ensemble que profondeur, richesse et humour ne sont pas incompatibles (ce qui revient à démontrer que la légéreté et la drôlerie des romans de Nothomb ne sont en rien une excuse à leur inconsistance) avec «les préceptes orgueilleusement humbles d'un snobisme évangélique» que la princesse de Parme inculque à sa fille:
«Rappelle-toi que si Dieu ta fait naître sur les marches d'un trône, tu ne dois pas en profiter pour mépriser ceux à qui la divine Providence à voulu (qu'elle en soit louée!) que tu fusses supérieure par la naissance et par les richesses. (...) Sois secourable aux malheureux. Fournis à tous ceux que la bonté céleste t'a fait la grâce de placer au-dessous de toi ce que tu peux leur donner sans déchoir de ton rang, c'est-à-dire des secours en argent, même des soins d'infirmière, mais bien entendue jamais d'invitation à tes soirées, ce qui ne leur ferait aucun bien, mais, en diminuant ton prestige, ôterait de son efficacité à ton action bienfaisante.» Proust, Le côté de Guermantes II.

1. «Tu as parlé plus en poète qu'en homme», Pétrone, Satiricon, XC