29 août 2007

Sur l'Incarnation par Jean-Baptiste Bourgoin : Ecce homo

Je ne fais ici que reprendre le commentaire laissé par mon ami Jean-Baptiste Bourgoin en exergue du post de Funny Friend portant sur l'Incarnation. Je vous laisse en découvrir la teneur qui m'a personnellement bouleversée.



« Un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire »
Cette superbe phrase me parle parce qu'elle désigne un nouveau commencement. Si Dieu choisi d'assumer jusqu'au bout l'Incarnation par la venue au monde d'un enfant, n'est-ce pas pour nous dire, réaliser même, que l'homme est d'abord un nouveau commencement ? Tous les hommes sont un nouveau commencement. Aucun homme n'est superflu. Si l'homme est un nouveau commencement, alors son humanité, son être-homme, est un devenir. Au travers de la naissance du Christ, Dieu dit : l'homme n'est pas une nature fixe, il est un commencement, et donc une fin.

De la Natalité à la Croix, la réalisation de l'homme : ecce homo.

Si l'homme est un commencement, et donc une fin, alors la Croix, la mortalité voulue par Dieu, réalise l'homme.

Mais que suppose une telle affirmation ? Un homme toujours en devenir ? Dieu pose le problème de la confiance entre les hommes. Comment faire confiance, c'est à dire croire en la promesse faite par un homme, en un homme qui n'a pas de nature fixe, qui est pure culture ? En se faisant homme, Dieu dit : vous devez maintenant croire en l'homme comme vous croyez en moi. Luther disait que Dieu est nécessaire car il faut un être en qui nous pouvons toujours avoir confiance. L'Amour et la Foi sont les marques de la confiance en Dieu. Par l'Amour l'homme voit, reconnaît et loue Dieu. Il le reconnaît et le voit car seul Dieu est toujours pleinement lui-même. Il le loue car il rend possible la confiance entre les hommes en plaçant sa confiance en Lui. La Foi devient acte d'Amour. Et l'Amour de Dieu, en rendant possible la confiance dans les promesses des hommes qui sont purs devenir, rend possible le politique. Avec Jésus, la Foi devient l'élément structurant du politique.

Mais avec la Natalité et la Croix, Dieu nous dit autre chose : la mortalité est un fait humain. Si l'homme nait dans un espace qui lui est préexistant et qui continuera après sa mort, c'est que cet espace dure. C'est espace c'est notre monde. Pas la Nature, qui est pure mouvement cyclique de création/destruction. Le monde traverse cette Nature consummatoire. Les œuvres des hommes, les batîments, les textes, la musique, la Culture, voilà ce qui érige un monde qui dure et fait de l'homme un être mortel.

La Natalité et la Croix confirment la culture humaine.

Si la Culture dure, c'est parce que les nouveaux commencement, les nouvelles naissances, apprennent de leurs Ancêtres. Ils se souviennent. Dans le souvenir naît le dialogue, la parole vivante. En me remémorant ou lisant la parole des morts, j'entre dans un dialogue qui me construit, moi homme toujours en devenir qui a besoin d'une Culture (la parole des morts) pour tenir dans mon être. Je fais resurgir la parole vivante.

« Et toute cette multitude de ceux qui dorment dans la poussière de la terre se réveilleront, les uns pour la vie éternelle, et les autres pour un opprobre éternel qu'ils auront toujours devant les yeux. Or tous ceux qui auront été savants brilleront comme les feux du firmament, et ceux qui en auront instruits plusieurs dans la voie de la justice luiront comme des étoiles dans toute l'éternité.» (Daniel XII, 2-3)

La Culture, l'homme en devenir mènent à la Résurrection.

La Résurrection est résurrection de la voix, de la parole, de la vie du mort. L'Amour dans le Crucifié est reconnaissance de Jésus. Non amour du Christ, mais amour de Jésus, l'homme en devenir et qui a vécu :

«Comment ils le reconnurent à la fraction du pain» (Luc 24,35)

La reconnaissance n'est pas regard d'une nature fixe ou d'un discours décharné, elle est reconnaissance d'une voix et d'une vie qui se rencontrent dans la Parole. La Parole est dialogique car elle est incarnée. Nous ne pouvons dialoguer qu'avec un vivant.

Ce n'est pas la prêche du Christ qui révèle Jésus Ressuscité à ses disciples. C'est sa Parole suivie de la fraction du pain. Une parole incarnée dans une vie.

«Jésus lui dit : Marie ! Se retournant, elle lui dit en hébreu : Rabbouni» (Jean 20, 26)

« L'homme par qui, et par qui seul, les hommes inachevés que nous sommes deviennent pleinement hommes »

Natalité, Crucifixion, Résurrection : ecce homo. L'apparition de l'homme, ce perpétuel commencement, est apparition du devenir. Si l'homme pleinement homme est l'homme qui devient, alors nous pouvons imaginer Dieu dire aux hommes : "Devenez ce que vous êtes". Cela n'est possible que parce que nous naissons et mourrons. Nous venons au monde dans la perspective de notre fin. Nous sommes immédiatement en devenir, mais nous devenons pleinement un devenir quand nous choisissons de l'être, quand nous choisissons de vivre afin de devenir, quand nous choisissons de nous "faire un nom". Quand nous agissons de manière à incarner le nom qui nous a été donné. C'est à notre mort, dans le moment ou l'on se souvien de nous, que nous faisons définitivement notre nom. Pascal (Blaise) est définitivement Pascal. Il n'est pas un nom creux, car il résonne en nom comme une personne vivante. Voilà la Résurrection, ce moment ou les vivants font revivre les morts car ils sont "des étoiles dans toute l'éternité".

Ce que les vivants font revivre c'est la vie des hommes, leur parole incarnée, leurs actions. Le retour éternel du devenir d'un homme qui alimente le devenir d'un nouvel homme au travers du dialogue des morts avec les vivants.

L'homme est celui qui a assez de force pour incarner pleinement sa parole en sachant qu'elle sera éternellement répétée. L'Éternel Retour de soi en tous les autres, voilà peut-être le message de Jésus : "Moi homme, pleinement homme, en naissant et mourrant, je reviens éternellement au travers de vous, hommes naissant et mortels".

L'homme comme devenir perpétuel : cette annonce du Christ libère les hommes du péché. Co-naître, naître avec de manière perpétuelle, voilà le péché d'Adam. Dieu avait créé Adam à son image, une image est pure fixité. En choisissant la connaissance, l'homme choisissait le devenir, la spécificité divine. Dieu est purement subsistant en lui-même dans son devenir même, voilà pourquoi son nom est imprononçable. Il est inprononçable car il est pur mouvement qui se tient pourtant constamment. En choisissant de co-naître, de naître toujours à nouveau au contact de chaque chose, l'homme choisissait le devenir.

Mais l'homme ne pouvait se tenir lui-même dans ce devenir, voilà la chute.

En se faisant homme, et en mourrant crucifié, Jésus rachète le péché des hommes en faisant de la Culture, de l'histoire, du dialogue de soi avec autrui, des vivants avec les morts, la possibilité de tenir dans son devenir au travers l'Éternel Retour de soi chez les vivants. La Résurrection.

Ill: Musée du message biblique Marc Chagall à Nice, détail de la lutte de Jacob avec l'ange (photo personnelle).

10 commentaires:

Sémiramis a dit…

Je dis et redis publiquement mon admiration sans borne pour ce texte. Que celui qui a des oreilles entende!

Que vais-je pouvoir écrire après ça moi?

Bonne nuit!

Anonyme a dit…

Et bien merci, encore et encore !

Sinon, il fallait lire "imprononçable" et non "inprononçable" ;) "Cet espace, c'est notre monde", et "car il résonne en nous".

Désolé pour les fautes ...

Anonyme a dit…

Qu'importent les deux ou trois fautes de frappe? Ce texte est en effet magnifique et invite à de riches méditations.

Sémiramis a dit…

N'est-ce pas?

Merci de ta visite Léopold!

Ceci étant dit, l'orthographe de Monsieur Camille n'est pas à la hauteur de son talent, il faut le lui dire pour qu'il se corrige... On rajoute à ça le fait qu'il écrit souvent entre deux et trois heures du matin...

Bonne nuit!

Anonyme a dit…

Euh...

Ben faut écrire une suite.

Sémiramis a dit…

Tiens Tschok, bien le bonjour. Ca fait un bail!

Anonyme a dit…

Mes amis, cher Mr Camille,

Je viens tout juste de rentrer de Lorette où j'ai reçu, en compagnie de la délégation française et des jeunes italiens ici rassemblés, la bonne parole du Pape Benoît sur la jeunesse et le ferment d'espérance qu'elle représente, au moins de manière potentielle... La surprise de la lecture de ce texte me réjouit grandement. Je veux redire moi aussi mon admiration pour ce texte, pour son auteur, son "éditeur", ses lecteurs et tourne silencieusement mes yeux vers Celui qui a inspiré tout ça. Oui, pour une fois et sans volonté de récupérer qui ou quoi que ce soit, laissez-moi croire que l'Esprit souffle dans les coeurs !!! Voilà ma réponse à la question "que vais-je écrire après ça ?" : eh bien, qu'on se le dise, rien !! Dans un premier temps j'accueille la grâce et puis si le coeur m'en dis je peux bien écrire mais en tout état de cause j'écrirai autre chose ou bien quelque chose de différent si je voulais continuer à gloser le sujet... Merci, pour ces mots qui font se poursuivre encore ma réflexion théologico-philosophique et qui, avec cette approche originale de la Connaissance, de la Culture, m'introduisent dans la dernière ligne droite vers la vie dominicaine !! Et avant de vous quitter, je soumet à l'auteur, à l'"éditeur" ou aux éventuels ayant droit l'idée suivante : pourquoi ne pas envoyer ce beau texte à Benedetto à Rome : il est lui-même en pleine réflexion sur le sujet et je pense qu'il serait heureux de voir confirmer in vivo ses grandes espérances envers la jeunesse qui renferme en son sein des "grands hommes" !!!

Je tâcherai de revenir sur l'HSQ avant mon départ.

Je vous embrasse tous bien fort !

FF.

Ps : merci Mr Camille pour le fautes, je vois qu'ilest possible d'être un génie sans pour autant être totalement en phase avec l'orthographe ! ;-)

Sémiramis a dit…

Cher FF, l'idée est excellente. Je vais solliciter l'aval de M. Camille et nous pourrions profiter de la st Jean Chrysostome qui s'annonce pour dire à Benoît tout le bien qu'on pense de lui.
Les pages de l'HSQ te sont ouvertes pour un message oseraisi-je dire d'au-revoir, pourquoi pas "moi et ma vocation", ou alors "Dominicain, pourquoi?" avec des gros titres et des photos compromettantes (j'en ai un sacré paquet en stock).

The last, but not least...

Anonyme a dit…

Et bien merci à tous.

Bon.

Pour ce qui est de l'orthographe, désolé FF, cela a plus à voir avec l'inattention et à un blocage avec l'apprentissage de la grammaire étant enfant, qu'avec le génie. (du moins je crois). Enfant, si j'avais eu les mots, j'aurais pu dire avec Heidegger : «Telle qu'elle nous est inculquée dès les bancs de l'école, cette grammaire aussi morne qu'insipide a tôt fait de transformer cette morphologie et ces rubriques en coquilles vides et inintelligibles, auxquelles ce serait peine perdue de chercher à comprendre quoi que ce soit.» Avec les raisons d'un gamin de 10 ans.

Pour le reste je donne mon aval, après tout ce texte fut écrit pour être lu ;)

La proposition d'Élise est tout à fait séduisante. FF, j'attends de toi un article édifiant !

Sémiramis a dit…

J'aime le "du moins je crois"... très bourgoinien comme réflexion! ;-D