08 septembre 2007

Le nom de Dieu, 2 - l'Etre devenir, par Jean-Baptiste Bourgoin

Je reproduis une fois de plus le généreux commentaire de Monsieur Camille sur mon précédent texte... A lire également sur son nouveau site qu'il faut ajouter à vos favoris. Quant à moi je pense poursuivre le cycle avec un texte en hibernation depuis décembre dernier sur la circulinéarité du temps chrétien. A voir demain probablement. Merci de votre assiduité et de la grande érudition de vos interventions...



Ce Dieu qui est ce qu'il serai de toute éternité est très séduisant... Si j'ouvre la traduction de Chouraqui (Exode est ici Noms), je lis :
«Elohîm dit à Moshè : "Èhiè ashèr èhiè ! - Je serai qui je serai"»

Ce qui paraît logique puisque s'il n'y a pas vraiment de présent en hébreu, nous ne pouvons avoir "je suis ce que je serai". IHVH termine par
"Voilà mon nom en pérennité,\ voilà ma mémoration de cycle en cycle"
_______________
La vérité chez les grecs était témoignage des yeux. La parole n'était là que pour communiquer ces visions, les traduire en mots. La vue est fondamentale chez les grecs. La vérité est ici ineffable, et figée. C'est pour cette raison que l'intuition est si importante chez les grecs. L'intuition est le résultat d'une contemplation, quelque chose de figé. La theoria grecque est un processus de savoir qui a un but, qui est linéaire. Ici le logos ne peut être que descriptif. La contemplation était primordiale car c'était l'action qui était admirée. Non pas cette inscription dans une temporalité qu'implique la recherche d'une signification, mais la contemplation d'un pur advenir. Être là au bon moment pour contempler l'action réalisée au bon moment. Le savoir devenait la quête des philosophes : qu'ai je vu ?

Avec la religion hébraïque nous passons de l'ineffable grec à l'invisible. Dieu se présente comme celui qui peut être entendu, mais pas vu. La vérité n'est pas la vue, l'identité de ce que l'on a sous les yeux, mais l'obéissance : est-ce que j'obéis à la parole de Dieu ? La vérité est dans la signification de la parole. Et la signification de la parole se recherche par le travail toujours recommencé de la pensée. C'est ainsi que la religion hébraïque créé l'histoire. Ou plutôt, fait de l'histoire l'élément fondateur d'un peuple. L'histoire est linéaire, elle construit du sens. Paradoxalement, le travail sur ce sens est circulaire : c'est la pensée, en tant qu'elle est pure recherce de sens, qui révèle m'histoire. Le couple Histoire/pensée, est l'opposé exact du couple contemplation de l'action/savoir. La contemplation est toujours recommencée, mais la recherche du savoir (décire en mot l'identité visible) est linéaire, elle a un but précis : mettre les bons mots sur l'image. Chez les juifs, la pensée est révélation toujours recommencée d'un devenir que ne peut promettre qu'un Dieu invisible et éternel.

On retrouve la notion d'éternité chez les philosophes grecs. Héraclite (fragment B30) nous dit :

«Ce monde-ci, le même pour tous, nul des dieux ni des hommes ne l'a fait, Mais il était toujours est et sera, Feu éternel s'allumant en mesure et s'éteignant en mesure.»

Mais aussi, bien sur, chez Parménide (fragment VIII) :
«Seul reste donc le récit de la voie «est». Sur elle, les marques sont très nombreuses : en étant sans naissances et sans trépas il est, entier, seul de sa race, sans tremblement et non dépourvu de fin, jamais il n'était ni ne sera, car il est au présent, tout ensemble, un, continu»

Le reste du fragement est sublime, mais je dois m'arrêter. Dans ce poème il est dit un moment : «J'arrête là pour toi le discours fiable et la pensée sur la vérité » Passage sublime. Un des rares moment dans lesquels la pensée, le discours, est chemin vers la vérité. Ici les dieux sont semblables aux hommes, car ils sont spectateurs d'un monde qui les précèdent. D'une certaine manière la philosophie grecque est l'assassin de la religion grecque.

Ce qu'il y a d'intéressant chez Héraclite et Parménide, c'est la question du temps et de l'être. Chez Héraclite, le monde est et sera. Présent et futur. On est ici assez proche du «Je suis ce que je serai». Avec Parménide il y a une sorte de refus du devenir dans l'être. Paradoxalement, il dit de lui qu'il est "continu". Il est, ne devient pas, mais continue d'être. Peut-être un problème d'histoire. Chez les grecs l'histoire est déjà un produit humain et divin, mais pas un produit de l'être, du moins pas spécifiquement. Avec la religion hébraïque, Dieu créé l'histoire. Voilà peut-être la raison d'un Dieu qui «serai ce qu'il serai», un devenir absolu.

Si l'homme est à l'image de Dieu, alors l'histoire est le seul moyen d'inscrire l'homme dans un devenir. Parce que l'homme a un horizon, la mort, parce que l'histoire des ses Ancêtres lui apprend qu'il est né dans un monde qui était avant lui et qui continuera d'être après lui, alors son inscription dans un devenir se comprend dans la naissance. «Un enfant nous est né», par cette phrase nous savons déjà la fin de l'histoire : «un homme est mort». Mais pas la fin de toute l'histoire. Ici Dieu se fait homme en s'inscrivant lui-même dans l'histoire des hommes qu'il a rendu possible en les faisant à son image et en leur donnant la volonté.

Dieu s'il est entendu est innommable, car son nom lui donnerai une fixité qu'il n'a pas en propre. Seuls les animaux, les plantes, les minéraux etc. peuvent être nommés. Car leur vie de pure circularité les figent dans leur être. Ils sont toujours identiques à eux-mêmes. L'homme comme Dieu, devient. Et son nom ne résonne qu'au travers de son histoire. Dieu en pur devenir ne peut être nommé car il est déjà pleinement tout ce qu'il devient, et cela est pour nous invisble. L'homme doit attendre sa mort pour être parfaitement nommé. À la naissance il est difficile de distinguer un petit jules d'un autre petit jules, ils sont des êtres en devenir. Mais à la mort Jules Renard n'est pas Jules César. Leur naissance est pourtant déjà marquée par leur nom de famille, et cette famille constitue déjà pour eux une inscription dans une histoire.

Le «je serai ce que je serai» du Dieu de la religion hébraïque disait : vous, mon peuple, devez vous inscrire dans une grande histoire familiale. Vous êtes un peuple en devenir et devez faire de l'obéissance en ma parole la directive de vos actions.

Le «un enfant nous est né» du Dieu chrétien disait : Je ne parle plus seulement à un peuple, mais à vous tous, hommes. Chacun d'entre-vous êtes des devenir. Vous êtes libres car Jésus a racheté vos péchés en se faisant à son tour homme, en mourrant, et en réssuscitant. Il a fait de la mort votre horizon, et du souvenir en vos semblables votre résurrection. Jésus a produit l'histoire qui permet à chacun des hommes de s'inscrire dans un devenir qui ne le fait pas chuter dans l'anéantissement.

Se faire un nom. Les hommes peuvent nommer, mais leur prénom ne les saisit pas dans leur devenir. Puis vient la mort, et une nouvelle vie en chacun de nous.

Souviens-toi que tu es mortel, et écoute la parole des morts.

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Tout à fait d'accord avec ton "beau commentaire" (j'ai piqué l'expression à bruno) cher Monsieur Camille ; seulement juste une question pourquoi dire qu'on passe des Grecs aux Juifs ? Y a-t-il une raison particulière de remonter dans le temps ou est-ce juste un exposé achronologique ?

Cela dit, oui la vue pour les Grecs est tout à fait fondamentale d'où le fait que la peinture dans le néoplatonisme renaissant supplante curieusement la musique pourtant fondée sur l'harmonie mathématique des sphères et qui aurait dû, en bon pythagorisme, l'emporter en dignité sur la peinture. D'ailleurs ce cher Nicolas de Cues passe sa vie à faire des jeux de mots sur "théorique", car théorique c'est theorein, ce qui signifie évidemment... voir.

Je ne comprends donc pas le texte de Derrida qui s'appelle "le toucher, jean-luc nancy" où il dénonce l'haptocentrisme comme l'appréhension dominante du monde, alors qu'il me semble que la philosophie a toujours été fondée sur le privilège de la vue jusque et y compris à la phénoménologie. On n'est jamais sorti du paradigme platonicien du theorein.

Anonyme a dit…

Pour ce qui est du problème de Derrida, n'ayant pas lu le texte, je ne suis pas sûr de pouvoir bien répondre.

Premièrement il me semble que la philosophie grecque commençant à penser l'Être s'est mise elle-même à saper ses anciennes fondations, basées sur le voir. Quand au judéo-christianisme, il est clairement dominé par le logos. Mais il est vrai que l'importance de la pensée gecque en Occident, et donc du theorein, donne à la vue une place très importante.

Il me semble que les réflexions d'Heidegger sur la langue. La place de choix du Parménide dans sa pensée. Sont des éléments significatif d'un rétrécissement du champ de la vue dans la philosophie au profit de la langue.

Pour ce qui est d'un haptocentrisme comme appréhension domminante du monde chez Derrida. Est-ce en philosophie spécifiquement qu'il le dénonce, ou en général ?

S'il parle de la philosophie, c'est en effet surprenant. Mais je vais tenter une interprétation.

La parole est, il me semble, centrale chez Derrida. Or la parole ne peut être touchée. Ce que l'on voit peut l'être, pas toujours, mais cela est possible. Dans le "je ne vois que ce que je vois", il y a quelque chose du "je ne croit que ce que je puis toucher". Il y a une sorte matérialité de la vue, alors que dans la pure parole la solidité provient de la foi en une promesse.

Bon, c'est un peu tiré par les cheveux, je l'accorde.

Anonyme a dit…

Merci Élise pour avoir publié cet article !

Je tiens à préciser que le serveur qui héberge mon site est en cours de maintenance, raison pour laquelle les lecteurs de ce site vont tomber sur un joli "Erreur 404". D'après Olympe-Network cela devrait être corrigé aujourd'hui vers 16h.

Anonyme a dit…

Promis, je ne fais que passer (sinon je vais "squatter" votre blog et celui de JB Bourgoin !)

"Se faire un nom. Les hommes peuvent nommer, mais leur prénom ne les saisit pas dans leur devenir. Puis vient la mort, et une nouvelle vie en chacun de nous".

Exact. Peut-être est-ce ce que signifie ce passage de l'Apocalypse : "Au vainqueur, je donnerai de la manne cachée et je lui donnerai un caillou blanc, un caillou portant gravé un nom nouveau que nul ne connaît, hormis celui qui le reçoit".
Amitiés

Sémiramis a dit…

Mais voyons, Flore, vous êtes invitée; faites comme chez vous ;-) !

Intéressante, cette citation de l'apocalypse que je n'avais jamais remarquée. Le caillou blanc m'évoque les personnages de l'ancien testament qui élèvent une sorte de mémorial avec des pierres là où ils ont reçu la visitation de Dieu. Un signe d'alliance.

Ce nom que nul ne connaît serait l'identité pleinement cohérente à soi, fruit de la réconciliation finale entre soi et soi par la grâce de Dieu?

Bon dimanche!

Anonyme a dit…

"Ce nom que nul ne connaît serait l'identité pleinement cohérente à soi, fruit de la réconciliation finale entre soi et soi par la grâce de Dieu?"

Oui, magnifique réflexion ! J'ajouterais seulement : et réalisation enfin accomplie du "projet" de Dieu sur nous.
Mais j'utilise le mot "projet" dans le sens suivant :
"Non, Dieu n'a pas un plan tout fait sur chacun de nous ; Dieu a un amour personnel pour chacun de nous. Lorsqu'un homme poursuit la personne qu'il aime, il peut sans doute avoir un plan de poursuite ; mais si ce plan échoue, il en conçoit un autre, et même plusieurs autres, jusqu'à ce qu'il obtienne une réponse libre de celle qu'il aime. L'amour est inventif et inlassable. Ainsi est Dieu avec nous ; non pas un tout-puissant fabricant de plans qu'il nous confie pour exécution, mais un Dieu qui nous poursuit de son amour" (Pierre Poujoula, s.j.)

Et lorsqu'enfin nous répondrons pleinement à cet amour, nous recevrons notre "nouveau" nom, nouveau pour nous mais éternellement présent en Dieu dès l'origine.

Sémiramis a dit…

Je suis parfaitement en accord avec vous, Flore. L'idée de projet n'est pas à entendre dans le sens d'un destin ou d'une prédestination. Si Dieu a un amour personnel pour chacun, le projet de Dieu est impersonnel: il est le même pour tous!

Bon dimanche!