11 septembre 2007

Robert Musil: Mystique et Réalité, par Paul Mommaers

Je reprends ici le texte d'une recension publiée dans le numéro de septembre de la revue La Vie Spirituelle, publiée au Cerf.
Il s'agit d'une étude sur Musil qui m'a enthousiasmée! A l'époque je réfléchissais effectivement sur le personnage de Jacob et sur le statut du couple des jumeaux dans cette histoire; ce qui m'avait naturellement amenée au couple Agathe Ulrich de l'oeuvre du grand autrichien.
J'ai en particulier écrit cet article dont les conclusions approchaient dangereusement (avant lecture de ce dernier) du livre de Paul Mommaers.
Pour info, on y trouve également la lectio divina du fr. Laurent Lemoine, op, que ce blog vous offrait en avant-première il y a déjà bien des mois! Toujours une longueur d'avance
;-) ...


Parmi les monstres sacrés de la littérature européenne se trouve un curieux dédale, une architecture somptueuse et inachevée, subtile et lente, si étrange qu’elle décontenance le lecteur - même le plus qualifié. L’Homme sans qualités est ce livre fascinant et improbable, dont on avoue pudiquement, avec plus ou moins de honte ou de perplexité, n’avoir lu que les cent premières pages.
C’est à ce monument que s’est attaché Paul Mommaers, docteur en science des religions, philosophe, philologue, spécialiste de la mystique chrétienne, dans une étude claire et concise qui se démarque de la critique existante. Nous prouvant avec brio qu’il est possible d’aller jusqu’au bout des fameuses mille huit cent pages, l’auteur déploie toutes ses compétences, qui ne sont pas de trop, pour permettre au lecteur d’accéder à une lecture spirituelle de l’œuvre de Musil.
Lecture axée sur le thème de la quête mystique des héros, Ulrich et sa sœur Agathe. Mystique et réalité : telles sont, selon l’auteur, les données du conflit qui se déploie dans l’action non-agissante du roman. L’Homme sans qualités, à travers ses héros, ne ferait pas autre chose qu’interroger les frontières de la réalité et la possibilité d’accéder à la plénitude de l’amour, de l’« état séraphique », c’est-à-dire celle de l’avènement du « Règne Millénaire ».
Après avoir replacé le texte dans une filiation mystique ancrée dans la tradition eckhartienne, P. Mommaers scrute avec une précision d’entomologiste les structures formelles mises en place par Musil pour exprimer la tension entre mystique et réalité. On aborde d’abord cette tension sur le plan sémantique, à travers une passionnante étude du champ lexical du thème de la réalité, puis une étude serrée du chapitre clef de l’œuvre, le « Voyage au paradis », souligne la structure ascensionnelle de l’œuvre, ascension minée par le conflit interne entre réalité et irréalité qui conduit à l’échec et à la chute.
Posant le problème de la dualité et de l’incarnation, c’est finalement aux tensions de notre humanité que le texte de Musil nous confronte, et à la condition terrestre entre « jardin enchanté » et « ombres » inquiétantes… Le regard de P. Mommaers nous est, dans cette confrontation, infiniment précieux.


Robert Musil, mystique et réalité, l’énigme de l’« Homme sans qualités »
, par Paul Mommaers, Paris, éd. du Cerf, coll "Cerf Littérature", 2006, 202 p., 22 euros.

8 commentaires:

Anonyme a dit…

Arf, ça donne non seulement envie de lire cette étude, mais bien entendue la fameuse œuvre. Je veux du temps et de l'énergie !

Didier Goux a dit…

Est-ce que ce n'est pas un peu trop "tordre le bras" à l'oeuvre, au risque de le lui casser ? Je me souviens, moi, surtout, de la formidable ironie, du burlesque même, qui innerve ce roman. Et je vois mal comment il pourrait s'articuler avec ce que vous dites.

(Mais, bon, tant que je n'ai pas au moins feuilleter le livre dont vous parlez...)

Sémiramis a dit…

Didier, vous parlez du premier ou du second tome? J'ai l'impression que ce que vous dites concerne le premier... Tandis que l'ascension vers la communion mystique ( qui n'est en fait que la consommation de l'inceste! ) se déroule dans le second tome.

J'ai un peu touché à cette idée avant de lire le livre, dans un des mes articles sur Jacob (cela me fait penser qu'il faut que je l'indique en hypertexte, allez zou j'y vais)!

Sémiramis a dit…

Hop, voila c'est fait! Peut-être cet article éclairera-t-il votre lanterne!

JBB, il faut absolument que tu lises l'HSQ (et Mommaers aussi!) mais je te préviens: cela risque de te causer un traumatisme grave. Moi-même je ne m'en suis jamais remise... ;-)

Anonyme a dit…

Je n'en suis plus à un traumatisme près ... si ?

Sémiramis a dit…

Eh non, effectivement, mais c'est à la plus grande gloire de Dieu!

Anonyme a dit…

Bon, encore un livre à remonter dans le classement des indispensables pour les longues soirées d'hiver. J'ai le tome 2 depuis quelques mois. Apparemment, le tome 1 se trouve un peu partout et facilement. Jaccottet semble être le traducteur de toutes les éditions françaises, non ?
D.

Sémiramis a dit…

Oui, je ne connais que sa traduction... il faut dire que c'est un travail de titan!

L'HSQ n'est pas un livre des soirées d'hiver, si longues soient-elles! c'est le livre de toute une vie!

Bonne soirée D !