22 juin 2008

Mt 25, 14-30 - L'esprit du capitalisme


Pour Gilles

Pas beaucoup d'inspiration en ce moment pour de grandes envolées théologiques. Néanmoins, après avoir discuté plusieurs fois de la parabole des talents, je suis retombée sur ce texte au hasard de mon travail. En le relisant avec des yeux tout neufs, je me suis beaucoup amusée. Traditionnellement connu pour avoir été interprété comme une justification du capitalisme, il renvoie également à une idée de l'homme et à une conception de Dieu qui ne sont pas spontanément celles que l'ont croirait être chrétiennes...
L'histoire met en scène un maître qui part en voyage. Pas besoin de se creuser la tête bien longtemps pour comprendre que le maître, c'est Dieu. Mais la signification de ce retrait est plus subtile. Le maître, quittant la maison où il régnait jusqu'alors, confie "sa fortune" à ses serviteurs. Il leur confie sa maison, et tout ce qu'il possède : c'est à dire huit talents d'or. Arrêtons-nous d'abord sur l'ampleur de la somme en jeu - avant d'interroger la polysémie amusante du terme. Un talent de l'époque correspond à une valeur de 6 000 deniers; un denier de l'époque, lui, correspond à une journée de travail ouvrier. Alors, faites un rapide calcul : huit talents fois 6 000 deniers, 6000 divisé par 365 jours ; arrondissez un peu au dessus pour compter les jours fériés et le repos du sabbat... Vous constatez que la fortune en jeu est considérable puisqu'elle correspond à l'équivalent de dix-sept années de travail.
Quel est le voyage qui appelle le maître? Pourquoi est-il contraint de laisser une telle fortune à des serviteurs? Je pense que ce retrait du maître évoque le retrait de Dieu. Dieu tout-puissant s'est retiré du monde qu'il a créé - condition nécessaire à l'autonomie et à la liberté de l'homme! Abandonnant sa "main-mise" sur les trésors que renferment le monde, Dieu n'abandonne pourtant pas la création. Il la confie. Et c'est sensiblement différent. Il la confie aux hommes et perd toute capacité d'intervenir sur leur action. Pas de miracle, pas de récompense, pas malédiction ni d'élection - on réglera les comptes plus tard.
Imaginons l'ampleur de la responsabilité des serviteurs - l'angoisse, la panique peut-être - qui reçoivent en dépôt l'équivalent de dix-sept années de leur propre labeur. Heureusement, le maître confie avec discernement: à l'un, il donne cinq talents, à l'autre deux - au dernier, un seul. "A chacun selon ses capacités" nous dit saint Matthieu. Bonne nouvelle; ça veut dire que tous les serviteurs sont capables. Chacun aura sa part du capital en gestion. Oui, mais pas vraiment la même part. Là, ça coince aux entournures. Non seulement Dieu n'intervient plus dans le monde et laisse les hommes se débrouiller, mais en plus, il fait des discriminations! Il y aurait de quoi saisir la Halde tant c'est politiquement incorrect! En présentant une juste mais inéquitable répartition des responsabilités, l'évangile souligne pudiquement que l'inégalité entre les capacités des hommes n'a rien à voir avec l'injustice - confusion malheureusement courante. Malgré tout, même le moins "capable" des trois serviteurs se voit chargé d'une fortune considérable et d'une responsabilité qui ne l'est pas moins.
Outre la valeur monétaire de ces "talents" gardons en tête le deuxième sens du terme. Le texte semble bien indiquer - et d'autant plus clairement dans sa traduction française - que les moyens confiés par Dieu concernent tout autant des espèces sonnantes que des potentialités incorporelles. Dieu n'étant plus en possession de son patrimoine - le monde, considérons donc qu'il se trouve entre nos mains, mais chacun selon ses capacités - reste à savoir quelles sont-elles. L'avenir du monde repose entre nos mains - aïe, c'est lourd. L'évangile souligne donc à travers l'évocation de l'humanité dans ces trois serviteurs que chaque homme reçoit une partie du trésor de Dieu. Une partie de la création. Des dons. Et puis, il y a aussi l'argent, dont il faut bien s'accommoder. L'argent comme les différents charismes, nous indique saint Matthieu, sont fait pour fructifier:
"Aussitôt celui qui avait reçu les cinq talents alla les faire produire et en gagna cinq autres. De même celui qui en avait reçu deux en gagna deux autres".
Mais le troisième est [alter-mondialiste ?] moins audacieux. Il n'a pourtant reçu qu'un talent, mais il va enfouir dans un trou cet immense patrimoine qui lui a été confié par le maître. Il prend par là ce qu'il pense être l'assurance de la sécurité: pas de risque, pas de gain, pas de perte. Pas de responsabilité, en fait. On pourrait penser que son attitude est, à défaut d'être brillante, raisonnable - au mieux excusable. Voire, à y réfléchir, plutôt stoïque. Imaginez qu'on confie à un RMIste l'équivalent de 17 années de son revenu... Le troisième serviteur nous semble sage, et apparaîtra peut-être sympathique à tous ceux que le zèle envers l'autorité titille et qui considèrent le salariat comme un esclavage.
Au bout d'un moment - "un long temps", le maître est de retour. Perspective eschatologique dans laquelle s'inscrit pleinement l'extrait de l'évangile, situé entre la parabole des vierges sages et celle du jugement dernier! Ne nous méprenons donc pas: Dieu s'est retiré, il est absent de la création sur laquelle il a souhaité ne plus intervenir - sur laquelle il nous a laissé tout pouvoir, nous confiant les clef de la maison et la gestion du patrimoine. Dieu s'est retiré mais au terme de l'histoire, il reprendra la main - au moment où nous la lui redonnerons? Le maître revient donc et il règle ses comptes avec ses serviteurs. Et là, nouvelle surprise; la justice n'est pas celle que l'on attendait...
"Celui qui avait reçu les cinq talents s'avança et présenta cinq autres talents: Seigneur, dit-il, tu m'as remis cinq talents: voici cinq autres talents que j'ai gagnés. - C'est bien, serviteur bon et fidèle, lui dit son maître, en peu de choses tu as été fidèle, sur beaucoup je t'établirai; entre dans la joie de ton seigneur. Vint ensuite celui qui avait reçu deux talents: Seigneur, dit-il, tu m'as remis deux talents: voici deux autres talents que j'ai gagnés. - C'est bien, serviteur bon et fidèle, lui dit son maître, en peu de choses tu as été fidèle, sur beaucoup je t'établirai; entre dans la joie de ton seigneur"
Spontanément, on se dit que le maître exagère. Quand même, le retour sur son placement n'est pas si mauvais; pourquoi "en peu de chose"? Probablement parce que la confiance placée par le maître dans ses serviteurs était à la mesure de ce qu'ils ont réalisés. Il n'en attendait pas moins d'eux - peut-être sait-il aussi qu'ils ne pouvaient pas en faire plus, car le plus, c'est lui qui le donne: "sur beaucoup je t'établirai". Peu importe, les deux serviteurs ont contribué à la fortune du maître - ils ont fait la leur puisque "la joie" leur est promise. Et cette joie ne se monnaye plus en journées de travail, elle dépasse toute mesure... Notons d'ailleurs que, si la répartition des talents n'était pas équitable, la joie promise - totale - est la même pour tous les deux.
En revanche, pour le troisième serviteur le temps se gâte.
"Vint enfin celui qui détenait un seul talent: Seigneur, dit-il, j'ai appris à te connaître pour un homme âpre au gain: tu moissonnes où tu n'as point semé, et tu ramasses où tu n'as rien répandu. Aussi, pris de peur, je suis allé enfouir ton talent dans la terre: le voici, tu as ton bien"
N'ayant pas fait fructifier le bien du maître, le serviteur cherche à se justifier - il essaie en fait d'inverser le processus et de lui-même régler ses comptes avec son maître. Il lui reproche son âpreté au gain et se réfugie derrière l'excuse de la peur, tout en se pensant quitte, puisqu'il restitue au maître son talent intact. Sous-entendu: après tout, j'aurais pu aller le jouer au PMU - et surtout, ce n'était pas vraiment mes affaires, mais les tiennes; j'en suis maintenant débarassé. Evidemment, ce déni de responsabilité n'est au goût du maître.
"Mais son maître lui répondit: Serviteur mauvais et paresseux! tu savais que je moissonne où je n'ai pas semé, et que je ramasse où je n'ai rien répandu? Eh bien! tu aurais dû placer mon argent chez les banquiers, et à mon retour j'aurais recouvré mon bien avec un intérêt"
Ce qui est intéressant, c'est que le maître reproche moins le geste que les motifs de ce geste: la paresse, la peur, l'absence d'investissement personnel de la part du serviteur, le manque de dévouement. Le serviteur n'a pas été à la hauteur de la confiance qu'avait placée en lui son maître. Mais la violence du châtiment semble extrême alors même que la fortune du maître, si elle n'a pas été augmentée, n'en est pas moins diminuée.
"Enlevez-lui donc son talent et donnez-le à celui qui a les dix talents. Car à tout homme qui a, l'on donnera et il aura du surplus; mais à celui qui n'a pas, on enlèvera ce qu'il a"
On se croit alors au sommet de l'injustice. Soit un Dieu censé être bon, juste et aimer tout le monde autant et beaucoup, qui se fâche tout rouge et retire à celui auquel il a le moins donné le peu qu'il lui a octroyé, pour en nantir le mieux loti - et de promettre solennellement la richesse aux riches et la pauvreté aux pauvres! On marche sur la tête. En réalité, la punition du serviteur lui vient moins du courroux du maître que de son propre refus de servir, d'accroître la fortune - et de faire ce qu'il avait à faire. Enfouissant en terre le talent, il a considéré qu'il n'avait pas de part à cette fortune, à laquelle le maître voulait pourtant, finalement, le faire participer.
Les lettres de saint Paul soulignent que le statut de serviteur n'est pas un esclavage, puisque le Christ, le fils de Dieu, s'est fait serviteur. Servir, c'est avoir pour horizon l'entrée dans la filiation divine et la participation à l'héritage du royaume de Dieu. Appelé à cette vocation, le troisième serviteur a refusé de considérer la possibilité d'un jour avoir part à cette fortune - d'abord parce qu'il a refusé de voir, derrière l'autorité du maître, sa bienveillance. L'autorité qu'il refuse de servir est à ses yeux oppressive, castratrice - tandis que pour les deux premiers, elle est avant tout paternelle, selon l'étymologie propre du terme auctor - ce qui fait croître. Tandis que les deux serviteurs ont accompli leur être dans le service et la fructification de ce qui leur était confié, le troisième enfouit avec le talent sa raison d'être et la possibilité de son entrée dans le royaume de Dieu - il est inéluctablement la cause de sa propre condamnation, sans appel
"Et ce propre-à-rien de serviteur, jetez-le dehors, dans les ténèbres: là seront les pleurs et les grincements de dents"
Autrement dit: tu n'as pas travaillé à la prospérité de la maison du maître, alors va te faire pendre ailleurs. Pas cool, mais efficace.
Exercice pratique pour le soir, après vous être brossé les dents : sur un cahier propre, faites le compte de vos talents. Bonne nuit.






27 commentaires:

Didier Goux a dit…

Le compte des talents sera vite fait, je le crains...

Anonyme a dit…

Ah, Elise, ton texte me ravit. C'est la première fois que je lis quelque chose d'intelligent sur l'inénarrable parabole des talents.

Merci, merci, merci.

Anonyme a dit…

Bonsoir Elise,
Je viens juste de rentrer et je suis un peu HS !
J'ai lu (un peu vite) votre texte sur la parabole des talents et il a l'air passionnant. Je prendrai du temps pour le relire et l'approfondir, mais je ne peux quand même pas laisser passer sans rien dire :-) les extraits suivants :
a) "Dieu tout-puissant s'est retiré du monde qu'il a créé - condition nécessaire à l'autonomie et à la liberté de l'homme!"

C'est la théorie juive du "tsimsoum" (dont je vous ai déjà parlé) mais je ne suis pas du tout certaine que cela corresponde à la pensée chrétienne.


b) "Il la confie aux hommes"
Oui

c) et perd toute capacité d'intervenir sur leur action"
Là, Non, 3 fois Non. Il faudra que l'on en reparle !

d) "[pas] de miracle,"
Pas d'accord non plus

e) "pas de récompense, pas malédiction ni d'élection - on réglera les comptes plus tard."
Oui, tout à fait d'accord, quoique je n'aime pas beaucoup l'expression "on réglera les comptes" (même si elle trouve bien sa place dans ce contexte)

f) "Non seulement Dieu n'intervient plus dans le monde et laisse les hommes se débrouiller"
Voir c)

g)" Dieu s'est retiré, il est absent de la création sur laquelle il a souhaité ne plus intervenir - sur laquelle il nous a laissé tout pouvoir,"
Voir c)

"(nous confiant les clef de la maison et la gestion du patrimoine. Dieu s'est retiré mais au terme de l'histoire, il reprendra la main) - au moment où nous la lui redonnerons ?
Oh non ! au moment où IL l'aura décidé !

Incroyable, Elise, cette volonté de mettre Dieu "au placard" !!! 
Bonne soirée
Bises

Sémiramis a dit…

Cher Didier: j'ajoute une consigne à mon exercice, rien que pour vous - en cas de tendance à l'auto flagellation, se faire aider par l'Irremplaçable!

Sémiramis a dit…

Ah, Camille, tes compliments me ravissent!

Merci, merci, merci ;-)

Sémiramis a dit…

Ma chère Geneviève,

Je ne mets pas Dieu au placard, c'est lui qui s'y met tout seul!

Je ne vois pas comment concilier une présence interventionniste de Dieu dans le monde avec la liberté de l'homme.

Le maître est absent: il n'intervient qu'à travers ceux qui le servent et qui se nourrissent de l'Esprit...

Mais oui, on en reparlera bientôt, dans le VIIIème arrondissement ou ailleurs :-)

Anonyme a dit…

Je cherche toujours, depuis hier soir...
Merveilleux texte,quoiqu'il en soit.
Bon début de semaine
D.

Sémiramis a dit…

Merci beaucoup pour tes compliments D. Je t'inflige la même consigne qu'à M. Goux: te faire aider par Melle L. Allez, au boulot!

Anonyme a dit…

Chère Elise,
Pour faire très court, Dieu est Père.
Chacun sait qu'un père humain "normal" doit à un moment donné "se retirer" pour permettre à ses enfants de grandir, de s'émanciper, puis de vivre leur vie en toute liberté. Toutefois, si un de ses enfants l'appelle au secours, quel que soit l'âge de cet enfant, quel que soit l'âge du père, ce dernier - à la demande de son enfant - interviendra, dans la mesure de ses moyens, pour lui venir en aide. (Je parle du père, mais je pourrais aussi bien parler de la mère, Dieu dépassant toutes ces catégories).
Je suis d'accord avec vous, en revanche, pour refuser un dieu "marionnettiste" qui nous ferait croire que nous sommes libres mais nous manipulerait en sous main.
Sinon il est évident pour moi que Dieu vient au secours des hommes (pas contre leur volonté, je suis d'accord avec vous sur ce point), pas toujours comme on l'attend ou l'espère. Mais Il agit. Toute la Bible en témoigne. A poursuivre ...
A bientôt

Anonyme a dit…

Dernière intervention sur ce sujet, promis, Elise !
Le serviteur qui a enfoui le seul talent qu'il avait reçu est sans doute un paresseux mais surtout, à mon avis, un homme peureux.
La question que je me pose alors est la suivante : a-t-il des raisons d'avoir peur ?
Si le maître (Dieu) est tyrannique et injuste, (un dieu vengeur), oui, sa crainte est compréhensible.
Cela me rappelle l'époque pas si ancienne (quoique ...) où l'on enseignait aux chrétiens ce qu'il fallait surtout NE PAS faire "sous peine de" l'enfer. Vous n'avez pas connu cette époque (heureuse êtes vous) où l'on serinait : "je n'ai qu'une âme qu'il faut sauver". Eh bien, ce malheureux serviteur, lui, n'avait qu'un seul talent qu'il lui fallait sauver : du vol, de la destruction, etc. Il l'a donc planqué pour qu'il reste entier, tout beau, tout propre.
Je ne me souviens plus si je vous ai déjà cité cette phrase de Bernanos (approximativement, car c'est de mémoire) : "notre plus grande tristesse ne sera-t-elle pas, à notre dernier jour, de rendre notre âme impeccablement pliée comme un mouchoir qui n'a jamais servi, ne serait-ce qu'une fois pour offenser Dieu ?".
Mais pour "offenser" Dieu et ne pas désespérer, il ne faut pas Le craindre (dans le sens "en avoir peur"), il faut avoir une telle confiance en son Amour que l'on peut prendre tous les risques... jusqu'à – peut-être – dilapider son unique talent.
Mais je crois que sur certains points je suis plus Orthodoxe que Catholique !

Catherine a dit…

Non seulement c'est bien expliqué, mais c'est drôle. Le PMU m'a bien fait rire.
Voilà, j'ai aimé (encore) vous lire.

Sémiramis a dit…

Merci Catherine!
Le PMU c'était un private joke avec le dédicataire (je ne sais même pas s'il l'a saisie... au moins, ça aura plu à d'autres!)

Sémiramis a dit…

Ma chère Geneviève,

Je comprends parfaitement votre réaction et vos fondamentaux ne me surprennent pas!
Je n'ai pas trop la force de vous faire une dissertation argumentée, juste deux choses:

Dieu PERE n'intervient pas au moment où son Fils MEURT sur une croix!
Et lui-même à ce moment en tant qu'il lui est consubstantiel , il sait qu'il va faire une expérience de la mort.
PENSEZ VOUS QU'IL SOIT POSSIBLE QU'IL AIT VOULU NE PAS INTERVENIR DEVANT LA SOUFFRANCE DE SON FILS?

Sur la question de la peur du mauvais serviteur, je suis en partie d'accord avec vous. L'Evangile nous montre qu'il ne faut justement pas craindre l'autorité du Père. Il y a tout de même quelque chose qui me gêne pour dire que je suis d'accord. Je n'arrive pas à trouver ce qui retient mon jugement. Nous en reparlerons, promis!

Sémiramis a dit…

Je suis fatiguée; je voulais dire que je pense que Dieu a voulu intervenir, mais qu'il ne pouvait pas et que toute sa puissance s'est brisée sur l'écueil de la nécessité qu'il a mise en place pour que le monde soit ordonné.

Anonyme a dit…

Chère Elise,
Merci d'avoir pris le temps de répondre malgré votre emploi du temps plus que chargé !
Reposez-vous bien.
Amitiés

Sémiramis a dit…

Eh, vous ne m'avez pas dit ce que vous en pensiez du coup!
Je suis dans mon lit... avec Simone Weil, tu parles d'un repos ;-)

Bises!

Anonyme a dit…

Ma chère Elise,
Je ne vous ai pas répondu parce que j'avais promis, quelques messages plus haut, que c'était "ma dernière intervention" sur ce sujet... (et que je ne voulais pas vous embêter avec mes questions - parfois un peu tordues, je le reconnais). Mais puisque vous me le demandez, je me lance !
En fait, avec un tout petit peu de recul, je me rends compte qu'il est quasiment impossible - surtout dans l'espace d'un blog - de débattre d'un sujet aussi immense !
Dieu Père pouvait-Il, voulait-Il intervenir pour empêcher la mort de son Fils ? Quid de la Rédemption dans ce cas ?
On peut remonter plus avant : l'Incarnation de Jésus est-elle la conséquence de la Chute ou bien était-elle prévue de toute éternité ? Nicolas Berdiaev note ceci dans "Esprit et Liberté", chapitre "le mal et la rédemption : "On ne peut subordonner la venue du Christ à des causes exclusivement négatives, à l'existence du mal et du péché ; elle est la révélation positive du stade suprême de la création".
Je vais un peu "squatter votre blog" avec la fin de ce chapitre qui me semble très importante (vous verrez pourquoi) :
"Il y a dans le christianisme deux types spirituels qui apposent leur sceau sur la compréhension des mystères de la foi chrétienne. Le premier vit avant tout dans la peur d'être perdu, il se sent sous le glaive de la justice et cherche son propre salut, sa délivrance. Le second recherche avant tout la vie supérieure, la vérité et la beauté divines, la transfiguration de toute la création, l'apparition d'une nouvelle créature. Le premier se rattache à l'Ancienne Alliance, il incline vers la compréhension juridique de la rédemption. Le second est inspiré par la Nouvelle Alliance, il penche vers la compréhension ontologique de la rédemption, qu'il envisage comme un nouveau moment dans la création, comme la venue d'un nouvel homme spirituel. Ces deux orientations de l'esprit sont en lutte dans le christianisme. Ainsi Clément d'Alexandrie, hellène par l'esprit, aspirait moins au pardon des péchés qu'à la contemplation de Dieu et à l'union avec lui, tandis que saint Augustin aspirait avant tout à ce pardon, à la justification".

Anonyme a dit…

Suite et fin de ma réflexion :

Le Salut du monde devait-il nécessairement passer par la mort du Christ ? Le théologien allemand, Romano Guardini, a écrit à ce sujet :
"Grâce à l'accoutumance, nous trouvons tout naturel que Jésus n'a guère vécu que trente ans. Nous ne le connaissons que comme celui qui est mort après une courte activité, comme le Crucifié. Mais qu'il en soit advenu ainsi, n'est nullement naturel. Il est vrai que lui-même a dit qu'il "avait dû souffrir tout cela pour entrer dans sa gloire" (Luc 24, 26), mais cette nécessité était celle de l'amour et de l'amour de Dieu. [...] Qui peut affirmer que l'homme est réellement irréceptif pour le divin, que sa rencontre avec l'Homme-Dieu devait nécessairement donner la mort à celui-ci ?" (in Le Seigneur, Tome 1, Editions Alsatia, 1945).

Pour terminer, je ne crois pas que l'on puisse dire que, puisque Dieu Père n'est pas intervenu pour sauver son Fils, Il n'intervient pas non plus pour sauver, aider les hommes. Ce n'est en rien comparable car la Rédemption est un événement unique, à la fois dans le temps et hors du temps, inscrite dans le plan de Dieu dont je me garde bien de dire que j'en connais tous les détails.
Amicalement et ... bonne nuit !

Anonyme a dit…

Votre beau texte, Elise, finalement, me fait interroger votre titre. Si les talents en question sont bien paraboliques, ne peut-on pas retourner ce titre en : Le capitalisme de l'Esprit?
L'Economie du Salut, quoi...
Bonne soirée.

Sémiramis a dit…

Bonjour Pascal,
Oui: vous avez saisi les sous-entendus de mon discours! :-)
Bonne journée et merci de votre visite

Sémiramis a dit…

Chère Geneviève!

Tout d'abord, vous ne m'embêtez absolument pas avec vos questions, si je ne voulais pas m'en poser je fermerai les commentaires - et même le blog! Seulement je suis parfois en difficultés pour répondre rapidement, il me faut un peu de disponibilité d'esprit!

Effectivement, la question que je pose est énorme, mais ce n'est pas pour cela qu'il ne faut pas l'aborder! j'ai tendance à être parfaitement d'accord avec Berdiaev. Ce que je voulais vous montrer c'est qu'en poussant au maximum votre argument du père qui intervient pour aider ses enfants, il y a un moment où ne fonctionne plus: puisqu'avec le premier né des ses enfants, celui qui lui est identique, ça ne marche pas.

Or, il faut penser que Dieu VOULAIT intervenir et ne le pouvait pas si on veut garder l'image d'un dieu aimant et pas un Jupiter tyrannique, comme vous le faisiez remarquer.

Je ne pense pas que la rédemption constitue une exception à cette règle: au contraire, comme le Christ a vaincu la mort définitivement, par avance pour ainsi dire, l'intervention de Dieu dans le monde ne semble pas se justifier sur le plan du salut.

S'il s'agit de "coups de pouce", alors on parle de la présence de l'Esprit saint dans le monde qui inspire toute notre existence: c'est un autre problème, lié à notre capacité de reçevoir ses enseignements!

Bonne journée!

Anonyme a dit…

Chère Elise,
Si cela continue, nous allons à nous deux écrire une "Somme" :-)

Il y a effectivement des moments où Dieu n'intervient pas (ou du moins pas comme nous le souhaiterions ...) : les maladies, les catastrophes naturelles, les guerres, les génocides, etc. sont là pour nous le rappeler et nous mettre dos au mur. Vous savez que je suis moi-même confrontée de très près à ce que l'on nomme "le malheur innocent" et la question du "pourquoi" est toujours là, lancinante. Chaque fois qu'elle remonte à la surface me revient cette phrase de Dieu à Job (38,4) : "où étais-tu lorsque je posai les fondations du monde ?".
Pour ma part (mais c'est une réponse personnelle qui n'engage que moi), je crois qu'il faut humblement accepter de ne pas tout comprendre ; on ne peut pas dire que Dieu peut ou ne peut pas faire cela, veut ou ne veut pas le faire. Qui suis-je pour Lui dire comment Il doit/peut se comporter ?

Dans le même temps, je sais que Dieu a agi dans ma vie et continue de le faire, pas toujours comme je l'attends ni le demande, mais de façon très "visible". C'est une question délicate. Il ne s'agit pas de "miracles", mais de "signes" tellement concrets pour moi que, lorsqu'ils surviennent, je sais qu'il s'agit de la "main" de Dieu.

Ci-dessous un texte (trouvé sur Internet) qui résume bien mon point de vue sur l'"activité" de Dieu :
"Dieu peut-Il réellement chômer?
Au cours de ce repos en Lui-même, Dieu n'abandonne pas sa créature. Dès l'Ancien Testament, l'homme a pris conscience de la création continue, comme le chante le psalmiste : «C'est toi qui m'a formé les reins, qui m'as tissé au ventre de ma mère» (Ps 139, 13), et du maintien de la création: «Et comment une chose aurait-elle subsisté, si Tu ne l'avais voulue? Ou comment ce que Tu n'aurais pas appelé aurait-il été conservé ?» (Sg 11, 25)
Mais c'est dans le Nouveau Testament que le Christ nous révèle la Providence du Père, qui ne cesse de se préoccuper de ses enfants: «Ne vous inquiétez donc pas en disant: Qu'allons-nous manger? Qu'allons-nous boire? De quoi allons-nous nous vêtir? [...]. Votre Père céleste sait que vous avez besoin de tout cela.» (Mt 6 31-32). Dieu ne cesse d'agir: «Mon Père est à l'oeuvre jusqu'à présent et j'oeuvre moi aussi.» (Jn 5 17) Après lui avoir donné d'exister, Dieu n'abandonne pas sa créature à elle-même mais «lui donne d'agir et la porte à son terme».
Convenons donc bien que Dieu s'est reposé de ses oeuvres en tant qu'il n'a créé aucun être d'une espèce nouvelle et non en vue d'abandonner le gouvernement et le maintien de la création. Ainsi se concilie cette double vérité, que Dieu s'est reposé le septième jour et qu'il ne cesse pas d'agir".

A part cela, je suis d'accord avec vous pour dire que le Salut est accompli une fois pour toutes, même s'il reste à chacun - pour l'obtenir - de lui ouvrir la porte.

Sinon, concernant la non intervention de Dieu dans le monde, on pourrait évoquer la thèse du "silence de Dieu" qui se "tairait" parce que le monde le rejette, ne l'écoute plus. On en trouve un développement très intéressant dans l'ouvrage Jacques Ellul intitulé "L'Espérance oubliée".
Amitiés

Sémiramis a dit…

Geneviève,

Notre débat repose sur une confusion entre

- idée d'une intervention de Dieu comme venant "solutionner" des évènements mauvais par "miracle" : Dieu interviendrait pour changer l'ordre des choses, une force contre la force des rouages mécaniques des causes conséquences qui produisent les évènements: je pense que cette conception est impossible à tenir

- idée de l'intervention de Dieu comme pourvoyeur de force, de soutien, de conseil, par le biais du Divin Conseiller que le Christ nous donne à la pentecôte: l'esprit saint n'intervient jamais contre les évènements, mais il nous aide à y faire face, il nous donne la force de les vivre, de trouver la bonne position, etc.

Par rapport au le texte que vous citez cette idée n'est pas incompatible mais il est un peu ambigu à mes yeux, c'est un peu trop simple comme porte de sortie.

Dans le fond, nous sommes d'accord. A propos de Jacques Ellul, je pense que ses ouvrages sont effectivement intéressant mais n'ai jamais eu l'occasion / le temps de le lire!

Bonne journée, amitiés

Anonyme a dit…

Vous avez raison, Elise, ce dernier texte est un peu ambigu (dans la mesure où il manque de nuances).
Je crois aussi que, finalement, sur le fond nous sommes d'accord, sauf (peut-être ?) sur un point : les miracles existent bel et bien (même s'ils sont apparemment peu nombreux) : voir Lourdes par exemple. Et ce n'est pas étonnant si l'on se rappelle cette phrase du Christ : "Voici les signes qui accompagneront ceux qui auront cru...".
Bises

Sémiramis a dit…

Justement, on en reparlera de cette histoire de miracles, je vous donnerai ma théorie (si si, elle est catholique!)!

Bises

Anonyme a dit…

J'ai hâte de l'entendre :-)

Sémiramis a dit…

Bientôt dans notre petite galerie? C'est quand vous voulez dans les semaines qui viennent, il faut concilier nos agendas de business women