27 septembre 2006

Dieu contre Babel : pour un enracinement et une quête de l’horizontalité !

(Suite et fin, attention c’est long !)
La réaction de l’homme n’est pas exactement celle que Dieu avait voulue ; et, d’ailleurs, sa réaction ne se fait pas attendre. Mais pourquoi ce Dieu que l’on nous dit « d’amour » - selon le message christique - sème-t-il une telle pagaille ? Je vous accorde qu’il y a de quoi devenir marcioniste !
Tout d’abord, je voudrais souligner l’immense estime de Dieu envers l’homme : « Yahvé descendit pour voir la ville et la tour que les hommes avaient bâties. Et Yahvé dit: "Voici que tous font un seul peuple et parlent une seule langue, et tel est le début de leurs entreprises! Maintenant, aucun dessein ne sera irréalisable pour eux. Allons! Descendons! ». Non seulement, notre Dieu vient aux nouvelles, mais en plus, il est épaté par les œuvres humaines.
Je pense qu’en un sens, Il a un peu peur, parce qu’Il constate la capacité de l’homme à construire, et sa force. Seulement, cette construction n’est pas une bonne chose pour l’humanité ; pour les deux raisons que nous avons soulignées : elle ne conduit pas à habiter la création, ni à assumer la condition humaine, mais à fuir le problème. Alors, comme à chaque fois dans ces cas là – et aussi dans la vie spirituelle, Dieu prend des moyens pour nous mettre face à nos responsabilités ! Et nous éviter de gaspiller nos forces dans des projets qui seront sources de passions et de frustrations.
Ce geste de division, qui est d’habitude la spécialité du Malin, Dieu s’en saisit donc pour le bien de l’humanité ! Je m’explique la décision de division et de dispersion comme une double réponse de la part de Dieu aux deux mouvements de l’homme dans ce texte :
(1) La volonté de verticalité. C’est un peu comme si Dieu disait à l’homme : « vis donc cet horizon que je t’ai donné plutôt que de chercher à vivre selon le mien ; tu n’y parviendra pas ! » Dieu apprend peu à peu à l’homme que sa participation à la verticalité et sa vocation transcendantale, ne pourront jamais découler d’une tentative de fuite devant la vie terrestre horizontale et la condition humaine. [D’où critique féroce de ma part d’un christianisme de la fuite de l’« Ici bas » au profit d’un « Au-delà » ; je suis Simone Weilienne à fond, je crois dur comme fer à l’enracinement de l’homme dans l’univers !] Dès lors, la condition de l’accès à la verticalité est bien l’Assomption de l’horizontalité : comprenez, la Croix de Jésus, synthèse géniale, où se rencontrent la condition horizontale de l’homme et le jaillissement vertical de la vie qui vient de Dieu ! C’est bien parce que le Christ a assumé la condition humaine jusqu’à la mort que l’homme peut entrer dans la verticalité de Dieu.
(2) La recherche de l’unité protectrice. Dieu veut montrer à l’homme que la nouvelle Arche n’est pas la ville de Babel construite selon l’humaine mesure. Elle est à la mesure de Dieu : c’est la Création elle-même. Dieu a donné la Création à l’homme pour qu’il l’habite, qu’il s’y enracine, et l’aime selon sa bonté. L’homme, rassemblé dans une unicité, est sécurisé, et se complaît pour ainsi dire en lui-même ; cela ne saurait le faire vivre sans l’étouffer, à la longue… Dieu le pousse au large, vers les étendues inconnues du monde à habiter.
En ce sens, je suis d’accord avec G L qui dit que Babel est « le moment où Dieu institue la différence comme constitutive du monde ». Cependant, on ne peut affirmer que cette division corresponde à un anathème jeté de toute éternité sur « tout dessein d’unification » ! L’unification est faite par le Christ qui réunit tout en Lui sur la Croix ; l’homme qui croit pouvoir unir par ses propres forces se trompe, il sera la proie du désespoir. Dieu disperse l’homme pour le pousser à faire l’unité dans la différence, selon le modèle Trinitaire (j’en reviens toujours aux mêmes convictions !) ; et ce qu’Il brise n’est pas une unité en soi, mais une unicité. De toute éternité, l’Unité est en Christ, en qui tout a été fait, le ciel, la terre, le visible et l’invisible.
***Amen, amen, amen, gloire et louange à notre Dieu, à son Verbe adoré, à son Esprit très vivifiant !

11 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour Agathe,

pour commencer deux remarques: la première concerne la qualité d'intelligence et de prière de ce texte sur Babel que vous nous offrez... Il me renvoie à mes propres contradictions: lorsque je rédige mes textes, tout hésite entre la pure analyse dépassionnée et la prière pure et simple. Chez vous, les conclusions d'articles sonnent comme de retentissantes fins d'homélie, c'est assez singulier.
L'autre remarque, plus triviale: trêve de compliments sur mes textes, vous finirez par me faire rougir dans ma solitude blésoise de ce beau mois de septembre.

A propos de votre texte, et des perspectives qu'il offre: c'est assez étonnant, les coïncidences qui ont lieu en ce moment. En début de mois, Juan Asensio disait chez moi que l'esprit et la matière ne doivent faire qu'un en art... J'expliquais lundi et cette nuit que Grande Jonction est le roman de Dantec où enfin l'homme tente d'habiter en Créature le monde créé qui lui a été donné... Et voici maintenant votre texte qui replace tout ceci dans la perspective de Babel. A croire qu'au moment même où il est reproché au pape d'être trop cérébral, trop théologien et pas assez homme d'amour et de paix pour les peuples de la terre, les chrétiens neutralisent par avance cette critique d'une foi désincarnée et n'apportant nul bienfait physique en cette vie. Je crois que c'est bien moins le christianisme que la gnose qui a toujours eu le monde et le fait d'être incarné en horreur. Le corps - simple formulation personnelle... - est bien moins le tombeau de l'âme que son fragile sanctuaire. De même pour le monde, non point adversaire mais accueil de l'Esprit...
Sur l'argument de votre texte, je vous lis avec plaisir et assentiment, donc!
Dernier détail avant d'aller travailler à mes chers et interminables articles: mon intérêt pour Babel vient d'un dessin animé que j'avais regardé dans mon enfance: Nadia Secret of Blue Water (qui passait au Club Dorothée, entre autres...), où les rescapés de l'Atlantide qui ont trahi leur roi légitime entreprennent de reconstruire une immense tour de Babel qui serait en fait une sorte de super canon laser... Comme toujours, l'important pour nous pas de savoir si les créateurs ont été fidèles au mythe, que de comprendre ce qui les a intéressés, et la logique interne de leur démarche. J'essaierai d'analyser tout cela, un jour, peut-être...

Anonyme a dit…

Je ne sais pas si le commentaire précédent a été publié ; je me permets donc de redire ce qui a déjà été dit...

J'admets pleinement vos analyses, subtiles et belles, notamment autour de Dieu qui remet l'homme à sa place (l'espace de la création) et qui signifie, en refusant l'humaine création, que l'homme doit se régler à mesure divine.

Mais, ce qui m'intéresse de façon primordiale, c'est le lieu de la réunification que vous évoquez : terrestre ou post mortem. Si l'ancien testament indique en creux le post mortem, les paroles christiques sont bien moins nettes ; c'est pourquoi, je ne suis pas certain qu'étudier Babel à travers les ambiguïtés christiques permette d'être fidèle au texte même (allons aux choses mêmes !)
Quel est le lieu de la réunification ??? Le Christ ne le dit pas, et est à ce titre moins précis que la Bible. Autant la Bible nous dit que l'Un n'est pas de ce monde, autant le Christ est plus évasif.

Question finale: si l'homme est enraciné dans le monde, est-il encore homme quand il le quitte ? C'est une des forces de la gnose, me semble-t-il, de pousser à fond le problème suivant : si l'homme est être au monde, pourquoi aurait-il à le quitter ? Si le salut n'est que post mortem, alors ça signifie que l'hommme n'est pas du monde, et donc, le salut est ante mortem. Raisonnement gnostique par excellence, un peu retors, mais qui me semble d'une très grande force. Retourner l'argument chrétien du salut post mortem en salut ante mortem en raison même de l'incohérence d'un homme défini comme enraciné dans le monde et qui n'accomplirait sa nature qu'en dehors de son monde, voilà qui m'avait subjugué dans mes jeunes années. J'avoue ne pas en être pleinement sorti...

Sémiramis a dit…

Merci beaucoup à tous les deux pour vos réflexions très riches! Je suis la plus heureuse des Belle Lurette!! Bon je vous réponds.

Bruno: c'est moi qui vais rougir, vous perçez le drame de ma vie, cette âme de prédicateur dans un corps de femme, cette propension à faire des homélies sur un blog par dépit de n'avoir jamais à les donner en chaire... Vous m'avez cernée!
Remarque triviale de ma part: vous êtes blésois? Alors nous sommes (presque) voisins je suis (presque) orléanaise.
Je suis ravie que ma prose vous renvoie à vos contradictions, c'est souvent ainsi que Dieu nous travaille et nous pousse vers l'unification de notre être, la résolution de nos paradoxes. Merci enfin de votre sincérité...

G L: une des convictions qui me fait vivre est que la création est bonne, et qu'il n'y en a qu'une. ce que vous appellez "lieu de la réunification" mériterait que je lui consacre un post entier. je le ferai bientôt, d'autant plus que j'ai du mal à me retrouver dans les conceptions que vous utilisez (gnostiques!).
Mais une chose est sûre pour moi: il y a UN monde, celui ci, pris dans le LOGOS. Et la recréation de la fin des temps sera une transfiguration. Je ne sens pas de contradiction car il me semble que l'homme, divisé par le péché, possède déjà son unité, car le Christ est ressuscité d'entre les morts! Le Christ ayant manifesté la victoire de l'un sur la division (pour parler en philosophe), l'homme possède en puissance son unité, et même plus, il la vit déjà dans la vie des sacrements qui lui fait connaître quoiqu'imparfaitement l'unité de tous en tous en Dieu. Cette unité ne peut être détachée de la vie et du monde, car le salut se joue dans la vie et dans le monde. C'est effectivement ce que je vis maintenant, la façon dont je le vis, qui apparaîtra à la fin des temps dans mon corps ressuscité et qui manifestera un corps de gloire où un corps de péché.
Je ne me sens pas à l'aise dans les conceptions qui séparent des mondes, le divers d'un côté, l'un dans l'autre monde... j'aime passionnément ce monde, qui est tissé par le réseau de sens du Logos éternel de Dieu.
je vous remercie pour vos réflexions... et vous embrasse**
Belle Lurette

Anonyme a dit…

Oui, Agathe, je suis blésois pur porc! J'avais détecté que nous étions sans doute voisin, d'après les diocèses que vous mentionnez dans vos liens (merci, en passant, du lien vers mon site!). Une bien belle région... Je connais beaucoup moins bien Orléans et sa proche périphérie, mais toutes ces villes, avec Tours, me sont chères.
Ecoutez, je ne peux que vous inciter à vous continuer à prêcher de la sorte, sur le ton joyeux que vous avez su instiller dans votre Homme sans qualités.
Bien à vous,

Bruno

Sémiramis a dit…

Mais vous méritiez bien un lien, aux côtés de notre cher G L! Bon week-end à vous - je profite pour ma part des bonheurs tourangeaux!

Anonyme a dit…

SALUT Elise!!! ceci est un message pour te dire que je continue à te lire du cambodge, et que ca m'éclaire vraiment. Style nourritures terrestres (et spirituelles bien entendu). Bon courage à la banque. ET surtout.... continue à écrire, ton blog est un espoir d'apprentissage de la pensée pour le club des quiches en philo. (3615 CQEP). Je t'embrasse. Mag

Sémiramis a dit…

Merci Mag, quelle joie de savoir que l'on est lue jusqu'au bout du monde! Je continue à écrire pour la gloire de Dieu et le salut du monde, mais aussi pour mon plaisir et le vôtre. Les petits commentaires aiguisent mon envie d'écrire. Bon dimanche à toi Mag, je suis tes aventures par Mectiens interposés et te porte dans mes pensées et prières! Mille baisers à bientôt**

Anonyme a dit…

Cher amis philosophes et du bout du monde salut !

Je ne me sens pas la hauteur de gloser plus avant le post sur Babel. Je lis, je m'enrichie spirituellement et cela me comble.
Alors tout simplement merci, ayez à coeur de continuer à partager votre amour de la Sapientia et du Logos !!

Promis, quand j'aurai cinq minutes où si l'inspiration me vient je me lance dans les débats !!

Ciao tutti.

Anonyme a dit…

t'a vu 'BABEL', le film récent, là, d'Innaritù ? C'est génial.

Anonyme a dit…

Citation GL: "J'admets pleinement vos analyses, subtiles et belles, notamment autour de Dieu qui remet l'homme à sa place (l'espace de la création) et qui signifie, en refusant l'humaine création, que l'homme doit se régler à mesure divine."

Ainsi, les syndacats furent balayés, les ouvriers attachés aux machines de l'usine. Ils furent traînés par les anges vers un dur labeur, éternel et ô combien profitable. Dieu, le Père blanc, le Grand Architecte, le Plombier de l'Univers [genre, Beaubourg, tu vois] (aïe, ça va mal passer, ça) fumait un cigare dans son jacuzzi, entouré du fruit de ses stock-options. Et il se reposa, à tout jamais.*

Amen.

*: Le porte-parole du Royaume Céléste a cependant refuser de répondre à nos questions concernant les ouvriers.

Sémiramis a dit…

Mais c'est bien connu, cher ami, Dieu est un fumeur de Havane, comme nous l'enseignait notre divin maître, Serge. Etes vous pour votre part un fumeur de Gitanes?

N'y a-t-il pas quelque chose du Royaume des Cieux dans le capitalisme? Encore un gnostique, pffff. Bon, je vais bosser: capitaliser, etc. Joie!