21 avril 2007

Holy and Funny... MAMAC, les collections permanentes

Salle Nouveau Réalisme: Accumulation d'ailes de Dauphine par Arman, Raymond Hains (droite).

De cette petite phrase de Ben, artiste bien fameux de l'Ecole de Nice [1] peuvent découler bien des considérations sur le fait même du musée. Peut-être est-ce revenir sur des banalités que de souligner combien mettre à part l'objet que l'on considère comme oeuvre d'art, dans un lieu spécifique dont l'accès est réglementé, n'est pas un acte anodin. Un acte déterminant une séparation de la culture d'avec la nature... Extraite du cours normal du temps, l'oeuvre d'art accède grâce au musée à une dimension artificielle de la vie, comme suspendue entre une usure qu'on lui refuse et une éternité qu'elle ne peut par essence pas posséder. Dans le temps comme dans l'espace, le musée est un lieu d'artifice, de refus du mouvement de génération et de corruption à l'oeuvre dans la nature...
Visiter un musée n'est donc pas une expérience si simple que cela. Il faut accepter de se heurter à une sphère spatio-temporelle déroutante, un univers silencieux, ou l'on refuse de vous parler des oeuvres qui résonnent étrangement, ou bien qui ne résonnent pas du tout. Il faut refouler les complexes que vous donnent forcément un lieu où tout se montre mais rien ne s'explique. Il faut s'extraire du quotidien...

Salle Ecole de Nice: La Cambra de Ben Vautier
"Comment savoir si c'est de l'art ou pas?": finalement, n'est-ce pas là le questionnement qui traverse inlassablement l'art depuis le XIXème? Celui de l'explosion de cette temporalité figée de l'art, glaciale et sacralisée. De la limite à définir à l'art. La "Cambra" de Ben en rend compte avec humour, mini musée rigolo synthétisant peut-être, d'une certaine façon, le parcours que proposent les collections permanentes du MAMAC. L'oeuvre n'est pas sans référence au Merzbau de Kurt Schwitters, soulignant l'influence, à mon sens énorme, du mouvement Dada sur la suite des recherches formelles et plastiques en Europe.
Le MAMAC offre un vaste panorama de cette gigantesque expérimentation sur les limites de l'art, l'explosion des cadres, des techniques, des couleurs, des matériaux, du concept même de musée, qu'ont recherchée la plupart des grand artistes du XXème siècle. Qu'est-ce que l'art finalement, sinon ce que l'on désigne comme tel selon d'arbitraires critères? Et si, à la fin, il n'y avait plus aucun critères?



"Parfois je suis pessimiste et je pense :

- la culture c’est pour impressionner les pauvres

- la culture n’est qu’une histoire de tour operator pour vous faire acheter des cartes postales

- la culture sert à avoir l’air intelligent quand on passe à la télé

- la culture sert de prétexte à envahir les autres peuples (pour leur apporter la culture)

- la culture vous élève au rang d’oies que l’on gave de culture

- la culture c’est l’ethnocentrisme des peuples qui croient avoir le monopole du beau et du vrai

- la culture sert de miroir au pouvoir narcissique dominant

- la culture c’est le cadeau bonux de la société de consommation

- la culture permet d’avoir bonne conscience et justifie l’impérialisme

- la culture est un exercice d’égoïstes jaloux les uns des autres

- la culture doit vous faire croire que l’artiste est un être supérieur

- la culture c’est la boursouflure qui accompagne le bruit des bottes

- la culture culpabilise (dans un musée vous faites silence, pas dans un bar)

Parfois je suis optimiste et je pense :

- l’art nous apporte ce qui nous manquait

- l’art est un cri de vérité

- l’art c’est la découverte de l’autre

- l’art est une rencontre inoubliable l’art nous prend à la gorge

l’art nous fait rire aux larmes

l’art rend à chacun ses racines

Mais si, comme Duchamp l’a dit, « c’est le regardeur qui fait le tableau » la balle est dans votre camp

A vous de jouer"



Faire exploser les cadres: Support/Surfaces
Le groupe Support/Surface regroupa dans les années 70 des artistes qui cherchaient à se distinguer de la conception traditionnelle de la peinture. "La peinture en question": voici le nom de l'exposition qui réunit en 1969 Viallat et d'autres artistes moins célèbres. La prédominance alors du Pop art ne rompait pour ainsi dire pas avec l'enjeu figuratif, narratif, de la peinture. La démarche des artistes du groupe s'axe vers une recherche d'impersonnalité et de neutralité se distinguant également de l'abstraction lyrique qui avait dominé très largement les années 50.

Claude Viallat
L'acte esthétique tend vers une ascèse très rigoureuse: s'astreindre à utiliser un motif répétitif, par effet de pochoir, tampon... sur des toiles sans châssis. Rien ne doit retenir l'attention de l'esprit, qu'un effet formel et coloré, une rencontre directe avec la peinture en tant que telle, et non plus en tant que vecteur d'une histoire, d'un message, ni même d'un sentiment ou d'une sensation...
Questionner le concept d'objet
Depuis l'urinoir exposé par Marcel Duchamp se pose la question de l'entrée au musée des objets du quotidien. La simple installation par un artiste (facétieux) d'un objet usuel dans ce lieu sacré, le musée, valide-t-elle son statut d'oeuvre? Le Nouveau Réalisme se constitue dans les années soixantes autour de cette "prise de conscience" de leur singularité commune: "nouvelles approches perceptives du réel". Il y aurait énormément de choses à dire sur ce mouvement foisonnant et passionnant, théorisé par le critique Restany.
L'objet usuel, industriel, le rebut, le déchet, la vieillerie, tous s'imposent dans l'art. Bientôt ce seront les matières périssables qui s'exposeront, bouleversant les canons de la durée de l'oeuvre (avec l'arte povera notamment, l'oeuvre de Beuys).
Les cadres explosent, les objets envahissent les surfaces et se les approprient, comme ils envahissent progressivement une société que Baudrillard théorise alors comme "société de consommation"...
Dans la lignée du Pop art ont lieu les premières performances. Ce n'est plus tant l'oeuvre qui compte sinon l'acte créateur, le moment de la création, et le corps créatif de l'artiste qui envahit l'espace de l'oeuvre, pour aboutir aux tendances ultra corporelles de l'art contemporain.
Accumulations d'Arman, Cuivres et Oiseaux
J'aime particulièrement ces cuivres dont l'assemblage évoque à lui seul la fanfare...
Yves Klein, l'admirable
Au sein du groupe des Nouveaux Réalistes, Yves Klein occupe une place particulère. Le MAMAC fait la part belle à l'enfant prodige de la ville de Nice avec une salle et une chronologie très détaillée, qui permet d'entrer réellement dans la démarche de cet artiste surdoué, stupéfiant d'intelligence et de bizarrerie.
Champion de judo, Yves Klein est issu d'une famille d'artistes. Sa démarche est influencée par la mystique rosi-crucienne à laquelle il adhère dans sa jeunesse, avant de rompre ensuite, et par la lecture de Bachelard, philosophe des éléments. Il peint ses premiers monochromes à la fin des années cinquante, après avoir mis au point son fameux IKB "International Klein Blue". Les oeuvres décorent les murs de la salle d'entraînement de son école de judo parisienne. On lui déclare alors que ces tableaux sont inprésentables: "rajoutez y un point, au moins"...


"Le premier homme dans l'espace" titre le journal du dimanche au dessus d'une photo de Klein se lançant dans le vide, depuis un mur dans une rue tranquille de la banlieue parisienne! En fait, cette performance résume ce qui intéresse Klein: la dialectique espace/corps, qu'il interroge à travers un rapport à l'espace du tableau totalement nouveau, puisqu'il passe par la couleur. Ce n'est plus effectivement le motif ou le cadre qui créent l'espace de l'oeuvre, mais bien la couleur en elle-même, à travers l'intensité magnétique d'un bleu très chargé en pigment, d'un rose ou de l'or pur. Après les monochromes, tout devient bleu chez Klein, éponges, lumière, bustes... Le bleu permet d'entrer dans une forme d'immatérialité de la matière qui absorbe le regard et apaise l'âme.

Très rapidement, Klein est amené à subvertir de façon radicale la notion de l'outil du peintre: ce sont les anthropométries, performances incroyables ou le corps de jeunes femmes (consentantes) badigeonné de bleu devient l'instrument, le motif et le sujet de l'oeuvre. Le peintre prend alors la position du grand architecte qui préside à la création...
La quête de l'harmoie céleste est sûrement ce qui peut le mieux définir l'oeuvre de Klein. Aux monochromes répond la "Symphonie Monoton", accord en ré suivi de 20 minutes de silence. Je repense à cette fameuse discussion des Faux Monnayeurs sur "l'accord parfait"...
A suivre...



Aucun commentaire: