03 août 2007

Black is black

Pour Christine.
L'été et son cortège de paresses et de plaisirs faciles s'accompagne d'un traditionnel relâchement littéraire, moment de grâce où l'esprit oisif s'autorise tout ce que, pris par le pièges de ses altières ambitions, il n'avait pas daigné considérer durant les saisons actives.
On se jette avec délices sur les conseils beauté de Glamour, sur le supplément sexe de Cosmo et les recettes de cuisine d'Isa, sans l'ombre d'un complexe quoi que l'on soit déjà belle, cordon bleu, célibataire chaste, continente et catholique. Ben oui, l'été c'est comme qui dirait le monde à l'envers, et c'est ça qui est chouette.

Quand on a éclusé la pile, on se rabat avec enivrement sur les Veillées des Chaumières de sa grand-mère, leurs romans feuilletons et leur courrier des lecteurs (euh, lectrices).


On retrouve avec joie les vieux livres chéris, lus et relus, comme on étreint avec émotion les amis depuis longtemps éloignés.


On passe des après-midi entières à repasser l'intégrale de Lucky Luke, de Gottlib et à découvrir les péripéties de Largo Winch qui nous avaient échappées depuis notre dernier séjour chez les petits cousins.



On se jette avec ambition dans les romans fleuves et les sagas en dix-sept volumes (intransportables qui pèsent trois tonnes dans la valise, mais depuis le temps qu'on veut les lire, on ne s'arrête plus à ce genre de détails et on tire le fardeau avec un sentiment digne et important de devoir accompli et de supériorité culturelle ronronnante).
Mais surtout, la lumière de l'été est propice aux épanchements de la plus noire des littératures...
L'été, c'est la saison du polar, sous toutes ses formes, burlesque et classique, noir noir et noir café - cigarettes, rouge sang et glauque, malicieux et tortueux.
Je dois avouer qu'il y avait des siècles que je ne m'étais penchée sur le sort du genre en question. Heureusement, l'été est arrivé, et par tradition dans ma république, l'été, c'est la saison du polar.
Rien de tel pour s'aérer les neuronons qu'une bonne orgie de romans policiers, de préférence longues séries, qui permettent de se familiariser avec les mécanismes pervers de la construction de l'intrigue, propres au cerveau d'un auteur... Et avec les héros, policiers fatigués et assassins tordus. Ajoutez à celà les excès de boisson et les atmosphères nerveuses saturées de sueur et de tabac... Hum...
Après une crise de Van Gulik et du génial Juge Ti en avril, je me suis résolue à rattraper un retard facheux et grâce à une collègue compatissante décidée à me sauver de la déroute je suis partie à l'assaut de deux stars mondialement reconnues (que je ne connaissais même pas) : Fred Vargas, gloire franco-polardienne, et Henning Mankell, métaphysique suédois. Oui, depuis Da Vinci Code (Dieu sauveur, prend pitié de nous), il faut le dire: le thriller n'est pas mort, le roman intelligent existe et il peut même avoir du succès. La preuve par deux.

Est-ce une nécessité suédoise, depuis Swedenborg, que d'être métaphysique de posture et de ton? Le polar conçu par Mankell ne se limite en tout cas pas à un exercice de style narratif destiné tenir en haleine le lecteur avide de sensations fortes. Je crois en toute bonne fois qu'Henning Mankell - pour l'anecdote, gendre d'Ingmar Bergman, doit être considéré comme un écrivain à part entière. Et ce n'est pas crime de lèse style que de le reconnaître.
Les multiples facettes de sa personnalité et de son talent trouvent leur expression dans cette forme "grand public" qu'est le thriller: une façon bien démocratique de poser avec la distance romanesque quelques questions en l'air.
Le policier désabusé, divorcé, fatigué qu'il s'est choisi pour héros incarne cette tentation de la démission - jamais déposée - devant un monde qui change trop vite, saturé de violence et de folie. Les intrigues de ses romans se déploient autour de grands thèmes sociaux, comme pour en souligner la gravité et mettre en abîme l'hystérie collective qui se réveille trop souvent.
Que ce soit l'immigration (Meurtriers sans visages), la chute du bloc soviétique (Les chiens de Riga), la décadence des valeurs religieuses dans le fanatisme et le phénomène sectaire (Avant le gel), l'extrême droite et les traces encore fraîches de la seconde guerre mondiale (Le retour du professeur de danse), les incroyables et effrayantes possibilités numériques (Forteresse digitale) - pour ne citer que ceux qui me sont passés sous la dent: le pauvre Kurt Wallander, sa fille Linda et le policier Stephan Lindman sont confrontés à un vaste état des lieux sans aménité ni complaisance. Tout cela dans un contexte récurrent de violence mais aussi d'instabilité familiale, à travers le divorce de Wallander et la lente dégénerescence - puis la mort - de son père.
Les portraits et la psychologie des personnages sont remarquables de finesse et de vérité, les intrigues sont parfaitement construites et les dénouements accélèrent sensiblement le rythme cardiaque - quoiqu'il ne faille pas chercher à pister l'assassin jusqu'à la fin. Le but de Mankell n'est pas de mener son lecteur par le mystère: bien souvent, les fils du récit croisent et recroisent les points de focalisation entre les différents protagonistes ce qui accroit la nervosité du lecteur presque omniscient... L'auteur distille les informations et le lecteur assiste impuissant aux fausses pistes... Puis sursaute lors d'un retournement imprévu!
Un vrai bonheur de lecture, à s'offrir les volets fermés dans le silence de la nuit, sans lâcher le livre du début jusqu'à la dernière page...


Bien différentes sont les intrigues et les intention de la surprenante Fred Vargas. Médiéviste, chercheuse au CNRS, elle connaît depuis quelques années un succès amplement mérité et je me demande encore comment j'ai pu ignorer si longtemps de si bons livres vendus dans les gares!
Le polar de Fred Vargas est autrement léger et pétillant, en quelque sorte bien féminin. Les intrigues se contruisent à partir d'un scénario meurtrier chatoyant et follement sophistiqué, issu de l'histoire (la peste de Pars vite et reviens tard, les amis romains de Ceux qui vont mourir te saluent, la recette de Dans les bois éternels) ou de la littérature (Sans feu ni lieu) ou carrément sur le mythe et l'imagerie populaire (L'homme à l'envers avec le loup garou).
Fred Vargas joue à fond la carte populaire en posant de sympathiques et décalés personnages dans le genre pitorresque et des ambiances de bistrot plus vraies que nature, que ce soit dans le Mercantour, en Normandie ou en plein coeur de Paris. La psychologie des protagonistes est esquissée admirablement grâce à de petits détails récurrents qui leur donnent leur couleur et leur personnalité; tics de langage ou traits physiques, on sort d'un livre avec une expression en bouche ou un détail qui saute aux yeux.
Moins réalistes et plus fantasques que celles de Mankell - mais le but n'est pas d'être sérieux, les intrigues de Fred Vargas deviennent vite familières. On cotoie en général le coupable assez tôt, mais les soupçons sont orientés par sa perversité vers une innocente victime bouc-émissaire, et la culpabilité en tant que telle n'explose que dans les dernières pages... Alors les apparences éclatent et l'image lisse et respectable laisse apparaître les obsessions et le plus noir de l'âme humaine. On se fait donc rapidement à ce schème et l'on piste l'assassin avec autant de plaisir que de facilité.
Du polar ludique et joyeux, porté sur la couleur locale - donc touristique non? - volontiers cocasse et grotesque, de quoi ravir ses voyages en train et ses amis.
Rassurez-vous, je lis tout de même de saines (Nietzsche) et saintes (Jourdain de Saxe) choses mais je vous promets que vous en entendrez parler d'ici peu. Bons livres et bonnes lectures à tous!

16 commentaires:

Anonyme a dit…

Largo Winch. Mouais, je préfère XIII. D'ailleurs le dernier sort bientôt.

Sémiramis a dit…

XIII: je n'ai jamais réussi à les lire dans l'ordre, et du coup l'intrigue m'a toujours parue nébuleuse... Mais si tu les as tous, je veux bien m'y replonger!

Anonyme a dit…

aha, FRed Vargas, c'ets vraiment trop bien (surtout que dans ma promo à l'Ecole, on a un clone en tout points de Marc Vandoosler, c'est assez rigolo).

sinon, ma grande soeur m'a offert du Kundera. je veux vraiment pas être rabat-joie mais pendant qu'elle ne me regarde pas, je viens me confesser : ça me gonfle un peu pour le moment.

XIII, c'est bien au début, mais passé le tome XIII, ça devient vraiment n'import'nawak, le principe devient un peu lassant, surtout le côté : "on vous a dit ça? eh ben non, c'est pas vrai, tralala".
faut vraiment que je me mette à Largo Winch aussi.

sinon, je te conseille deux impayables séries 'assez courtes) . la première : De Cape et de Crocs, qui raconte l'histoire d'un loup hidalgo et d'un renard gentilhomme françois, au XVIIe siècle. la seconde, qui est close, en 6 volumes : Garulfo. l'histoire d'une grenouille devenue prince, et d'un prince devenu grenouille.

Sémiramis a dit…

Kundera je n'ai jamais essayé... Pour le moment j'ai entamé le premier tome du journal de Julien Green, c'est délicieusement décadent. Je te recommande pour te changer un peu "Dalva", de Jim Harrison, que je viens de terminer et qui m'a exaltée. Une histoire de femme, de grands paysages sauvages, d'histoire familiale compliquée: génial!

Quant aux BD, j'en profiterai la prochaine fois que je passerai chez toi qu'en dis-tu?

Sémiramis a dit…

Ah, je suis d'accord avec toi pour XIII, ça fait un peu réchauffé quand même... Histoire de faire durer la série!

Anonyme a dit…

youpi ! plein de conseils de lecture !
dès que j'aurais fini Harry Potter... hihi !
bonnes lectures !

Sémiramis a dit…

Merci Raph, tu nous donneras aussi ton avis sur le Potter nouveau. Moi je n'arrive plus trop à me souvenir à quel tome je me suis arrêtée, ce n'est donc pas très pratique pour continuer. Mais bon, ce n'est pas comme si je n'avais rien à lire non plus!

Anonyme a dit…

Il faudrait imprimer les albums de Jean van Hamme (Largo Ouinche, XIII, Les Maîtres de l'Orge, Thorgal,...) ceux d'Arleston et Tarquin (Lanfeust et ses copains) et ceux de Zep (les blagues à Toto... euh Titeuf) sur papier recyclé.
Pas de censure, mais inutile de couper des arbres pour ça.

Je propose aussi d'imprimer Harry Potter, Dan Brown, Amélie Nothomb, Bernard Werber et Paolo Coelho sur ouate de cellulose et d'enrouler les textes autour de rouleaux de carton.

Sémiramis a dit…

Très bonne suggestion, très développement durable mon cher. N'empêche que ce genre de BD, c'est distrayant, et ça mange pas de pain à défaut de couper des arbres.

Excellente suggestion pour le papier Q. Lire aux toilettes c'est un des bonheurs simples de l'existence.

Anonyme a dit…

Le seul problème, c'est l'encre...

Anonyme a dit…

Je m'insurge, c'est sûr qu'il y a un petit côté " tout ce qu'on vous a dit est faux " un peu déplaisant dans XIII ( je l'ai surtout ressenti à la lecture du tome 2 ) mais ça reste quand même un série sympa. Surtout quand on la lit dans l'ordre. Et puis le major Jones...

Anonyme a dit…

ben, ça fait plaisir de voir que vous êtes tous en pleine forme ! chouette !
bon, moi, je suis en train de me faire piquer Harry Potter par le petit frère de l'amie qui me l'avait prêté. du coup, je vais lire autre chose... votre débat sur XIII et Largo Winch me fait d'ailleurs cruellement sentir mes lacunes en culture bédéaste. je vais p-e combler ce vide par une séance lecture à la fnac (très très sympa, les séances lectures à la fnac... sauf quand on se fait virer trois fois par le vendeur paske y'a plein de p'tits jeunes qui lisent des mangas et que ça l'énerve de rien vendre... rha, la vie n'est pas simple ! lol !)

Sémiramis a dit…

Ah mais tout à fait d'accord Tatianus, ne t'insurge donc pas.

Raph, pour éviter ce genre de désagréments, va à la bibli municipale, en général ces séries y sont disponibles en permanence!

Anonyme a dit…

Et beh, on en apprend sur vous !

Fred Vargas, n'est-ce pas cette dame qui soutient le terroriste Battisti ?

Côté polar, j'avais beaucoup aimé "Les barricades mystérieuses" de Sébastien Lapaque. Et avec un titre si évocateur ...
http://www.actes-sud.fr/ficheisbn.php?isbn=9782742716791

bonne soirée
D.

Sémiramis a dit…

Bonsoir D!

Ce sont les Veillées des Chaumières qui vous étonnent? ;-p

Ah oui, pour Fred Vargas, vous avez effectivement raison!

http://www.fluctuat.net/1724-La-Verite-sur-Cesare-Battisti-Fred-Vargas

Je ne le savais pas, et pour cause, ce n'est pas vraiment ma génération cette histoire!

Les barricades mystérieuses, y-a-t'il un rapport avec Couperin? C'est étrange. Je me le note sur ma... black liste!

Anonyme a dit…

Oh, j'aime beaucoup la Veillée ! Ce titre ravive en moi le souvenir de ma grand-mère.
Il y a du Couperin, en effet (au moins dans le titre).
Bonne soirée !
D.