14 mai 2007

Carmen au théâtre du Châtelet

Mon exaltation était à son comble, jeudi dernier, lorsque le rideau du théâtre du Châtelet se leva! Quoique connaissant par coeur les airs et les dialogues, j'ai pu expérimenter avec délices combien assister à la représentation d'une oeuvre est la source d'une découverte fondamentale.
Le grand mérite de la mise en scène de Martin Kusej a été de me révéler l'extrême violence de l'oeuvre, qui s'affirme visuellement, et que l'on ne se figure pas forcément à l'oreille. Si les choix musicaux de Bizet traduisent la tension dramatique qui monte en puissance peu à peu, ce que la mise en scène fait apparaître nettement, c'est le caractère tragique de l'oeuvre.
La tragédie s'impose dès les premiers mouvements, dès l'ouverture, avec l'exécution d'un inconnu que l'on comprendra finalement être celle, préfigurée, de Don José. Ouvrant et bouclant la représentation, la scène de l'exécution donne à celle-ci un caractère cyclique fataliste qui fait basculer l'oeuvre du drame à la tragédie. La scène des cartes, et l'angoisse réelle de Carmen qui lit les cruels desseins de la Providence dans celle-ci, éclaire de façon décisive l'oeuvre telle que les choix de la mise en scène ont voulu nous la montrer. La mort omniprésente, comme liée indissolublement à l'amour.
La mort de José n'est pas spécifiée dans le livret original, pas plus d'ailleurs que celle du torero Escamillo et de la fiancée abandonnée, Micaela. Le choix de les mettre en scène est pourtant très juste. Nul ne subsistera donc de ces personnages déchirés par les passions amoureuses, et les meurtres et corps sanglants donnent lieu aux plus belles scènes, esthétiquement parlant, de la représentation. Les corps de Carmen et du Torero qui se croisent lors de la scène finale restent présents dans l'esprit...
Sur le plan musical, la prestation de Marc Minkowski et de l'orchestre était fabuleuse. Le parti a été pris de transformer en dialogues parlés les dialogues chantés, qui donnent une fluidité à l'écoute, mais ne permettent pas à mes yeux de se figurer la vraie nature des sentiments qui animent les personnages. On pouvait d'autant mieux perçevoir les rapports entre les protagonistes, qui ont tendance à être unifiés par le chant. Don José apparaît sûrement comme beaucoup plus faible que son personnage ne l'est dans l'original: il est la victime, moins de Carmen que de sa propre faiblesse qui l'entraîne dans une passion destructrice. Carmen, quant à elle, est justement campée, à mon avis, en femme libre, pas si cruelle que ça. Elle pose ses choix, assumant leurs conséquences fatales.
La violence est en réalité sous-jacente dans chaque scène, et parfaitement exprimée par la mise en scène, et sous la modalité, très intéressante, de l'opposition entre masculin et féminin. Opposition qui prend la forme d'une bataille rangée entre les troupes soldatesques et les cigarrières: deux groupes parallèles qui marchent au pas, les femmes adoptant la conduite martiale des hommes...
Dès l'ouverture, la pauvre Micaela est la victime des assiduités des soldats qui s'ennuient. Sa relation pitoyable avec José se soldera par sa mort. Les cigarrières provoquent les soldats et les manipulent avec effronterie. Carmen, pourtant amoureuse de José, lui fait subir un odieux chantage affectif pour le forcer à la suivre dans la montagne. Elle même est poussée à partir, alors qu'elle ne le voulait pas, par les chefs de sa bande... La complémentarité entre hommes et femmes semble n'apparaître que dans la scène ou les brigands supplient les femmes de les suivre, car "quand il s'agit de tromperies, il faut avoir des femmes avec soi!"
Le rapport hommes/femmes semble définitivement brouillé par les données d'un jeu de pouvoir qui se solde par plusieurs bains de sang.
Cet affrontement est synthétisé et sublimé lors de la scène finale de l'assassinat de Carmen où le choeur, qui entoure le couple qui se déchire, commente le combat, dans l'arène, entre le torero et le taureau... Violence de la jalousie, violence du désir sexuel, violence de la possessivité... l'amour est-il un combat sans merci?

Jusqu'au 28 mai, avec Sylvie Brunet dans le rôle titre, Nikolai Schukoff, Genia Kühmeier, Teddy Tahu Rhodes, Gaële Le Roi, Nora Souzourian... Diffusé le 14 juin à 20h sur France Musique.


10 commentaires:

Anonyme a dit…

Bon bah voilà, je sais ce qu'il me reste à faire le 14 Juin... Merci !!

Anonyme a dit…

Il aurait fallu que Don José surmonte ses passions! En-est on jamais capable?

Anonyme a dit…

peut-être un combat sans merci contre notre orgueil et notre égoïsme...
à la grâce de Dieu. et que Sa volonté soit fête !

Anonyme a dit…

Rabi Agathe,

Don josé n'est pas maitre de ses passions a cause de sa vie de militaire trop étriquéeet de son égo.
Carmen est effectivement une femme lirbe qui pose ses conditions sans concessions. Et elle a bien raison. Sa liberté n'est a vendre a aucun prix. Don José la veux, et il se trompe, car Carmen "chante" pour elle meme, il n'est pas défendu de chanter.... Or Don José tente de l'en empecher.
Tout cela est fort curieux, et je continuerai d'investiguer sur cette question.
Ce que je vois, c'est une femme fatale parce que completement libre. Une femme cesse-t-elle d'etre libre alors qu'elle fais le serment de rester fidèle a son compagnon. Tant de questions que nous posent en effet cette oeuvre..
Agathe, une fois de plus, nous avons besoin de vos lumièreses

Salutaions spéciales a mon bienheureux F.F.,

Anonyme a dit…

Jette donc un petit coup d'oeil
à cette version très spéciale:

C'est un extrait du film "Les Chinois à Paris" de Jean Yanne.
Il l'a tourné en 74,
à l'époque où le maoïsme faisait recette,
il y imagine une occupation de la France par les Chinois, et bien sûr il y joue le rôle du collabo le plus actif qui, contre une généreuse subvention reprend l'Opéra de Paris
et y fait jouer
un opéra sino-français:

"Carmeng"!

http://www.youtube.com/watch?v=EHsIUdeVkg0

Sémiramis a dit…

FF --> De rien, comme on dit, you're welcome!

Raph --> Entre orgueil et égoïsme, probablement, mais ce ne sont malheureusement pas les seuls facteurs. Je n'ose espérer être guidée un jour par la seule volonté de Dieu en ce domaine! Mais prions!

Ano --> Carmen reste fidèle à José tant qu'elle l'aime; elle n'est pas malhonnête avec lui lorsqu'elle lui dit ne plus l'aimer, c'est lui qui refuse d'accepter de la perdre... Car il est incapable de surmonter ses passions: la preuve, il préfère la tuer plutôt que la voir appartenir à un autre. Elle lui a été fidèle mais elle ne lui a pas promis ETERNELLE fidélité! et toc.

Tertius --> Toujours le mot pour rire, cher ami. Je vais aller voir ça! Bises!

Sémiramis a dit…

Tertius, EXCELLENT! merci pour ce grand moment de bonheur!

Anonyme a dit…

Joli jeu de moy Raph!Mais fais attention aux torréador tadatralalala!

Anonyme a dit…

Cherchez la faute d'orthographe!HI!HI!HI!

Sémiramis a dit…

Très mystico lapointien tout ça... Le calembour catho, une nouvelle tendance?