13 mars 2006

Providence, Providence - Episode 3

La véritable foi en la providence revient donc à ce que Sénèque déterminait comme l’attitude du sage : l’adhésion à la volonté de Dieu dans la conformité à l’ordre du monde car
« sur le plan des événements, la notion de conformité à la volonté de Dieu est identique à la notion de réalité »
Se conformer à la réalité c’est accepter la volonté de Dieu
; se rendre obéissant à la volonté divine, c’est supporter les épreuves et les bénédictions de la fortune, et rejoindre l’harmonie de l’univers, étant
« certain que l'univers dans sa totalité est conforme à la volonté de Dieu […] ; c'est-à-dire que dans cet univers le bien l'emporte sur le mal. Il ne peut s'agir là que de l'univers dans sa totalité, car dans les choses particulières nous ne pouvons malheureusement pas douter qu'il y ait du mal »
Dieu ne peut empêcher le mal mais il donne la grâce pour vivre dans le bien. Le devoir de l’âme vertueuse défini par Sénèque de « s’abandonner au destin » prend donc un sens impersonnel. On ne s’abandonne pas au destin que Dieu a écrit pour nous mais au mécanisme impersonnel de la grâce qui permet de la faire fructifier en nous, en obéissant à la nécessité à l’œuvre dans l’univers.

Alors
dans cette obéissance on rejoint Dieu. Chez S. Weil, cette inspiration stoïcienne est développée jusqu’à son extrême grâce à l’analyse de l’incarnation. C’est Dieu lui-même qui nous rejoint dans l’obéissance à la nécessité. Si Dieu ne peut empêcher le mal et la souffrance qui sont de l’ordre de la nécessité à l’œuvre dans le monde, sous peine de supprimer la liberté, il vient souffrir cette nécessité afin de la transfigurer en Lui. C’est là le sens de la passion et de la résurrection de Jésus. Si le Dieu de Sénèque répondait à l’homme qui lui pose la question de la souffrance :
« Comme je ne pouvais vous y soustraire, j’ai armé vos âmes contre tous les assauts [par la vertu]. Souffrez avec courage ; par là vous l’emporterez sur moi-même : je suis en dehors de la souffrance ; vous êtes, vous, au-dessus d’elle »
le Dieu chrétien va plus loin. Il pourrait nous dire : « Comme je ne pouvais vous y soustraire, je suis venu transfigurer cette nécessité et vous donner la grâce. Souffrez avec courage car j’ai traversé la souffrance. Vous n’êtes pas au-dessus d’elle et moi-même j’ai accepté de la subir, c’est pourquoi vous pouvez la dépasser grâce à moi ». Le Christ aurait pu dire, comme Démétrius dans le texte de Sénèque :
« Je n’éprouve ni contrainte ni violence ; je ne suis pas l’esclave de Dieu, j’adhère à ce qu’il veut »
et à sa suite, tout chrétien peut le dire.
Il ne s’agit plus là d’un esclavage du destin, qui fait que l’homme est commandé comme une marionnette. Au contraire, il y a une adhésion libre de l’homme à la volonté de Dieu pour lui – qui n’engage peut-être pas des évènements pré déterminés, puisque la volonté de Dieu est que nous vivions en Lui dans l’amour, et cela peut prendre de multiples formes. L’esclavage est reconnu par l’homme comme sa condition, et il choisit en conséquence le meilleur maître, Dieu, plutôt que la logique mondaine.
La figure du Fils qui vient partager la condition humaine transfigure la figure paternelle à laquelle Sénèque rapporte Dieu, la dépassant et l’enrichissant. Le Père n’envoie pas les épreuves mais apprend effectivement à les surmonter. L’amour de Dieu n’est pas exempt de cette nature maternelle qui console :
« La mère, au contraire, le réchauffe sur son sein, toujours elle veut le tenir à l’ombre, éloigner de lui les pleurs, le chagrin, le travail »
puisque Dieu, par l’expérience de la croix, a un vécu de la souffrance. Cette transfiguration de la souffrance par le Christ engage un rapport à la mort nouveau :
que Dieu ait tremblé devant la mort redonne à l’évènement de la mort tout le poids tragique et existentiel dont le stoïcisme voulait la priver en la rendant presque inexistante.

L’amitié qui était caractérisée par Sénèque comme le rapport de l’homme à Dieu devient donc filiation au pied de la Croix… Dans les épreuves, l’homme vertueux avait l’occasion de réaliser pleinement son humanité, rejoignant le sens même du mot vertu, qui indique la disposition à se perfectionner et à rejoindre son essence. On peut considérer que
l'évènement de la passion, ouvrant sur celui de la résurrection, est celui de la réalisation pleine de l'humanité , car il constitue l’épreuve suprême par laquelle Dieu passe et transfigure la condition humaine ; par là il lui donne d’accéder à sa plénitude qui est la vie du Ressuscité. Ce n’est donc pas Dieu qui donne l’épreuve pour accomplir en l’homme l’humanité, mais Dieu prend sur lui l’humanité, et avec elle les épreuves de la vie terrestre, pour accomplir la vraie nature de l’homme qui est de lui être indissolublement lié.

Bref, que dire d'autre sinon: Amen, amen, gloire et louange à notre Dieu !

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Toujours autant de joie à te lire. Je note aussi que tes considérations rejoignent un point que nous avons abordé avec Marie hier soir : le fait que le Christ, Dieu, ayant connu la souffrance, compatit avec nous lorsque nous souffrons. Autre point intéressant à relever : Dieu ne nous envoie pas les épreuves et surtout, il nous laisse LIBRE !Je n'ai pas fini de digérer tout ça... Enfin permet moi cette réflexion, certes triviale, mais que mon tempérament fougueux ne peut taire : après t'être rendu magistralement l'auteur de cet exposé, crois-tu encore que le monde pourras se passer de TA réflexion?...
Voilà, en toute amitié, merci.

Pax.

Anonyme a dit…

Merci de ces louanges cher Thomas! Evidemment, je ne compte pas priver le monde de ma réflexion, que j'espère n'être que l'humble réceptacle de l'Esprit de Dieu! Comme le dit Simone Weil "j'ai la certitude d'avoir en moi un dépôt d'or pur": lumière à transmettre, témoignage de l'esprit humain, capable de Dieu, fait pour le reconnaître, qui se tourne vers son Créateur et désire entrer dans une adoration perpétuelle par la raison et le savoir. C'est bien pourquoi je suis décidée plus que jamais à glorifier Dieu par les qualités d'intellection qu'Il a bien voulu, dans sa grande miséricorde, m'accorder! Mais nous sommes tous essentiels au plan de Dieu et à la révélation de la VERITAS! Bienheureux les pauvres d'esprit! Nous sommes à égalité dans la Création, ne l'oublions pas: tous aimés d'une même folie d'amour de Dieu!
Gloire au Père, au Fils, et au Saint Esprit qui me tisonne pour les siècles des siècles!