25 mars 2006

Alzaia ou "les cordes sont faites pour être patientes"

Extrait de Alzaia, voici telle-quelle une digression de l’auteur sur le système judiciaire. Cet ouvrage est en fait un recueil de « cent et des poussières » d’articles d’Erri De Luca parus dans le quotidien italien Avvenire sous forme de pseudo-éditorial, placés en colonne sous le titre du journal. L’auteur y laisse vagabonder sa pensée sur des thèmes les plus variés, souvent en s’appuyant sur une phrase, une citation, un vers, un extrait de livre saint…
Choisi tout à fait au hasard dans les vastes rayons du Livre par une main des plus douces et innocentes, ce livre a, faute de faire partie de la grande littérature, ce soupçon d’intelligence qui fait d’un court article un grand sujet de réflexion pour son lecteur.
Tout les articles ne sont bien sûr pas d’un niveau olympique mais on dégage de cet ouvrage une impression des plus plaisantes.
A vous de juger…

<< « Le principe par lequel je décide, le voici : la faute est toujours certaine. » Cette phrase, prononcée par l’officier à l’adresse de l’explorateur, est extraite du récit de Kafka, La Colonie pénitentiaire. Elle concerne le condamné qui doit subir le supplice de la machine. Je crois que cette déclaration est à la base de notre pratique pénale, en dépit de la reconnaissance formelle de présomption d’innocence, établie par le code. Pour le magistrat enquêteur, l’inculpé est par définition coupable. La vérité n’est plus qu’une procédure démonstrative. Ce qui est en cause alors n’est pas un accident de la vie d’un malheureux, mais le débat sur la thèse de l’accusation. Toute justification est ressentie comme un outrage et un obstacle à l’enquête, mais de toute façon accueillie avec l’indulgence qu’on accorde aux enfants, à qui on reconnaît le droit de se défendre par le mensonge. Accuser est un métier difficile. Il y a longtemps, dans une de ses chansons, Fabrizio De Andrè s’adressait aux « hommes et femmes de tribunal » en leur chantant : « si j’avais été à votre place, mais à votre place je ne veux pas y être. » Je suis d’accord, moi non plus je ne tiens pas à être à la place de celui qui accuse, ni de celui qui juge. Je préfère de beaucoup la triste part de l’inculpé. Il est possible qu’il ne soit pas totalement innocent mais, selon les statistiques de la justice d’après lesquelles un inculpé sur deux est en fin de compte acquitté, il l’est sûrement à moitié. >>


Erri De Luca in Alzaia (Rivages poche/Petite bibliothèque)

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Je ne saisis pas encore les tenants et les aboutissants d'une telle prise de position mais en tout cas je trouve ça beau !!
Pax.

Sémiramis a dit…

Ce n'est pas tant pour la position que pour le style et la verve de l'auteur que j'ai citer ce passage. D'autres extraits vont suivre je pense.
Homo Xerox

Anonyme a dit…

La main des plus douces et innocentes te remercie de tels qualificatifs.Je n'ai pu m'empécher d'esquisser un sourire. Il m'est plaisant de voir que cet ouvrage choisit au hasard t'inspire un post! grande joie pour moi!Les autres extraits suivront quand... je t'aurai rendu le livre(je rougit)!Tes lecteurs vont me haïr en voyant que je te retire un objet d'écriture! Pardonne mon manque de rapidité mais j'attend l'éclair d'inspiration qui me dictera les brèves paroles (enfin...breves..) qui te marqueront, que tu m'as demandé d'apposer sur l'ouvrage...tout vient à point à qui sait attendre, non?

Anonyme a dit…

Et puis "les cordes sont faites pour être patientes"...