08 février 2008

Où l'on constate qu'un martyr peut en cacher bien d'autres

Après avoir commis plusieurs romans aux titres puissamment évocateurs (Jubilations vers le ciel, Goncourt du permier roman en 1996, Anissa Corto, Partouz...), des poèmes (Transfusion) et réalisé un film à succès (adapté de son livre), Podium, l'inconoclaste Yann Moix a produit un texte sur Edith Stein dont on ne puisse douter qu'il ait été, aussitôt, mis à l'index par la Sainte Eglise Romaine.
Mort et vie d'Edith Stein
a été publié chez Grasset en décembre 2007.
On ne peut être que fasciné à juste titre par la figure de cette sainte au destin si singulier. Et je trouve passionnant que des auteurs s'emparent de ces prophètes que sont les saints pour mettre au jour certains débats... C'est en un sens ce que fait Yann Moix, avec des intuitions assez justes par moment. Mais la vulgarité de son propos saute au visage tant elle est gratuite. En voulant rendre Edith proche du lecteur, l'auteur parvient surtout à le choquer par un ton déplacé qui ne se justifie nullement.
Et l'on se rend compte dès l'incipit que le motif de l'écriture n'est pas tant la philosophe du Carmel que le propre nombril de M. Moix. On peut ainsi profiter des ses modestes conceptions théologiques et de quelques leçons de morales prononcées sur un ton peu délicat, mais toujours bienvenues.
" Hé, lecteur, tu as fait quoi de ta vie?
Je sais que tu triches, que tu n'es pas très sincère, que tu (te) mens. Tu ne sais pas que faire de tes journées, tu as peur de rester tout seul chez toi. Tu trembles peureux, et je sais que : tu as peur de la peur. Vaguement, tu déprimes. Tu te promènes, tu fais quelques "achats", tu te trémousses dans quelques lits, avec des corps frôlés: tu jouis, hop hop (c'est fait, arrrgh). Tu te fais croire, parfois, devant une feuille blanche, que toi aussi tu as des idées: que toi aussi tu es un gros malin, que tu as des choses politiques, thermodynamiques, poétiques, philosophiques à dire.
Tu prends des notes. Tu écris ton journal. Tu confies des choses à ton "blog". Ca pour bloguer tu blogues. Tu dois pas prier des masses, tel que je te connais (je ne te jette pas la pierre, je ne prie pas non plus)." (p. 47)
On reste confondu devant l'étendue du désastre spirituel qui s'exprime (et devant la catastrophe littéraire on pleure). On se souvient arrivé à la fin du chapitre que l'homme est ainsi fait qu'il ne reproche aux autres que ce qu'il est incapable de regarder en face chez lui-même...

Mais le plus choquant n'est pas tant sujet - qui reste assez intéressant, c'est le ton avec lequel il est traité qui est contestable. La plus choquant, c'est l'écriture abominable, et donc l'expérience de lecture éprouvante, que ce jeune homme nous inflige. Je pensais avec amusement aux réflexions de Renaud Camus sur la distorsion de la langue française en progressant dans ma lecture, tant la structure des phrases de Yann Moix est désagréable à appréhender. La lecture est comme saccadée par les répétitions et les reformulation, interrompue brutalement par une phrase sans fin, dispersée par des dialogues reconstitués dans un style oral d'une vulgarité ahurissante - mais la cerise sur le gâteau, c'est la ponctuation!

Je ne peux résister au plaisir de vous faire partager la passion que semble éprouver Yann Moix pour le motif de ponctuation des deux points. Probablement parce qu'il s'agit d'un des plus délicats à manipuler? Les deux points surgissent à tout moment, remplaçant les virgules (passe encore), mais aussi totalement gratuitement, créant un pénible hiatus entre deux morceaux de phrase béants... Mais trêve de commentaire, laissons parler les faits:
"Un (beau!) jour, Edith participe à une course dans la montagne. Elle est obligée de passer la nuit entière dans une ferme perdue. Quand elle se réveille, au petit matin, elle assiste à une prière : ce sont ses hôtes qui : communient" (p. 65)
"Ce sont les idées qui, chez Edith, mènent : au Seigneur : c'est dans l'unisson des concepts que la foi se fraie le nécessaire passage jusqu' : au ciel" (p. 84)

"L'antisémistisme a gagné, gagne chaque jour, chaque heure, en : technicité. En : inventivité. En : imaginativité. En : créativité. En : scientificité. En : rationalité." (p. 135)

Triple martyr donc : celui d'Edith que lequel s'interroge l'auteur, celui de la langue française qu'on assassine, celui du lecteur qui bute à chaque page sur des phrases construites (intentionnellement qui plus est!) en dépit du bon sens.
Quand je pense que ce garçon est diplômé de l'ESC Reims et de l'IEP de Paris, je me pose des sérieuses questions sur la formation de nos élites...
Je conseille par contre à tous ceux qui veulent découvrir Thérèse Bénédicte de la Croix (notamment les fan d'Etty Hillesum, qui devraient s'y retrouver!) ce livre très mince mais très complet qui offre une introduction passionnante à la richesse de sa personnalité.


Tout cela n'enlève évidemment rien aux incomparables mérites de l'irremplaçable amie qui m'ofrit ce livre (sans l'avoir lu s'entend) avec les meilleures intentions du monde (et d'ailleurs, un peu d'appréhension sur mon jugement final!)...

22 commentaires:

Anonyme a dit…

Nos élites n'en sont pas et qu'allez-vous vous fourvoyer avec les petits maîtres à la mode !

Sémiramis a dit…

M. Anonyme,

Il est peut-être bon de boire de la piquette de temps à autre pour mieux goûter ensuite les grand crus...

Anonyme a dit…

Je ne sais que : dire sur ces lignes de Moix : c'est affreux : !

Je préfère penser à Edith Stein et me dire qu'il me faut absolument la lire. Merci de me le rappeler !

Sémiramis a dit…

Oui, j'avoue que moi même j'ai très peu lu ses écrits (je n'ai d'ailleurs pas lu Husserl non plus, ce qui me semble la propédeutique nécessaire...)

Au sujet de Moix, il vaut mieux effectivement ne rien ajouter... ;-)

Anonyme a dit…

Bonjour Elise,
La ponctuation est devenue un moyen de se faire remarquer, soit par son absence totale - voir Sollers (qui a dû se prendre pour Faulkner !!!) - soit par son utilisation anarchique.
Je me suis toujours demandé si certains de mes élèves n'avaient pas lu Sollers, justement, lorsque je devais corriger des copies (21X29,7) sans la moindre ponctuation ...

Sinon, un grand merci pour la référence du livre sur Edith Stein, Thérèse Bénédicte de la Croix. J'ai lu, il y a déjà longtemps "La Femme et sa destinée" et j'en ai gardé une impression assez mitigée (vision très traditionnelle de la Femme, il me semble). Il faudrait que je le relise.

Sémiramis a dit…

Ma chère Flore,

Je doute que vos élèves aient lu Sollers puisque les jeunes ne lisent plus grand chose de nos jours (d'ailleurs moi-même, je ne lis Sollers que dans le Nouvel Obs, c'est suffisant...)

Ceci dit, vous participez quotidiennement au martyr de la langue française et à ce titre je m'humilie devant vous!

En ce qui concerne Edith, je ne connais pas ce livre, mais il est possible qu'il ne soit pas très exaltant. Il ne faut pas oublier que son auteur est une jeune femme juive des années 30-40 probablement restée "vieille fille" pour parler un peu vulgairement, passionnée par Husserl et Saint Thomas, qui a fréquenté beaucoup de catholiques, de dominicaines et de carmélites...

Je ne connais pas du tout à vrai dire la pensée d'edith Stein (je ne suis pas une grande initiée aux joies de la phénoménologie!). Il y a un autre livre intéressant sur elle, et aussi sur Arendt et Simone Weil: celui de Sylvie Courtine Denamy, "trois femmes dans de sombres temps". Les biographies "intellectuelles" des trois philosophes y sont croisées. Mais l'approche est très partiale (en faveur de Arendt) et incomplète à mon sens.

Bon week-end!

Anonyme a dit…

Cet après-midi, dans une salle d'attente, je prends par hasard "Le Point" de cette semaine et je tombe sur la critique du livre de Moix. Je ne résiste pas au plaisir de vous en transmettre les dernières lignes :

"On a également beaucoup reproché à Moix son utilisation prétendument anarchique du deux-points. Contresens total car, en bon dynamiteur de syntaxe, non seulement l'écrivain supprime la plupart des négations mais sacralise le deux-points dans un authentique exercice de kabbaliste. Et il faudrait l'en blâmer ?" C'est signé d'un certain Albert Sebag.

Il faudrait proposer à Monsieur Sebag une petite visite dans n'importe quel collège, lycée, n'importe quelle université (hélas !). Il y trouverait des "dynamiteurs de syntaxe" à profusion :-)
Quant au "kabbaliste"...

Bon week-end à vous aussi.

Anonyme a dit…

MERCI Flore! Je suis morte de rire :-)))))))))))))))))) !!!

Tout cela entérine parfaitement la thèse d'un complot judéo-maçonnique sur la littérature sous couvert de kabbale!

Unissons nous autour du drapeau, halte à la crucifixion de la langue française, qu'un sang impur abreuve nos librairies!!!

:-))))))))))))))))))))

Léopold a dit…

C'est amusant: quand j'ai vu Moix parler de son livre sur un plateau de télé il y a quelques semaines, je me suis demandé s'il en serait question ici!...

J'avais été frappé par la couverture aperçue d'un numéro de "La Vie" signalant l'ouvrage en question ainsi qu'un autre signé Alina Reyes et posant à la suite cette question: "Le christianisme devient-il sulfureux?" Oh! Oui, cent fois oui, rendons au christianisme son caractère sulfureux; hélas ce n'est pas de ça qu'il s'agit ici, j'en ai peur. Je veux bien reconnaître les meilleurs intentions à Yann Moix (en me fondant sur ce que je l'ai entendu dire lors de ladite émission, dont un certain nombre de choses qui m'ont paru tout à fait pertinentes), mais là, il est vrai qu'aussi bien le ton employé que le style utilisé dans les passages que tu cites ici, Elise, ne donnent guère envie de lire le reste (...et tu as réussi à tenir jusqu'au bout?).

Quant au sieur Sebag, il y a derrière son paragraphe une logique du même ordre que celle cultivée par ceux pour qui affirmer qu'Einstein était un cancre suffit à légitimer tout cancre en tant qu'il serait un Einstein potentiel. Qu'un certain nombre de grands auteurs, de Rabelais à nos jours, aient effectivement été des "dynamiteurs de syntaxe" (tiens, en parlant d'usage de la ponctuation, ça me fait brusquement penser qu'il y a une éternité que je n'ai plus rien lu de José Saramago...), je n'en disconviens pas; qu'il suffise de dynamiter la syntaxe pour accéder au rang d'écrivain majeur, c'est beaucoup plus douteux! En tant que potentiel-futur-collègue (si-tout-se-passe-bien) de mademoiselle (?) Flore, je confirme (hélas) qu'à ce compte, le nombre de grands écrivains - à tendance "kabbaliste" - en gestation au sein de notre système éducatif serait tout à fait stupéfiant...


PS: Elise, continues-tu à monter sur Paris pour y travailler à ton mémoire, ou prends-tu des vacances? Pour ma part j'y serai à partir de vendredi et pour toute la semaine suivante.

Léopold a dit…

PS n°2: me voilà moi aussi mort de rire face au complot judéo-maçonnique!!!

Attention au sang dans les librairies quand même, ça laisse de vilaines traces sur les livres ;-)

Anonyme a dit…

Merci de ton commentaire Léopold! Je suis tout à fait d'accord avec toi sur tout! Tu as parfaitement raison en cequi concerne la logique de la légitimation du cancre...
Mais au sujet de la "sulfurisation" du christianisme, il s'agit moins d'un processus de sulfurisation que la découverte par les auteurs à la mode de ce caractère sulfureux qui a toujours existé (on pense à Catherine de Sienne qui boit le sang au côté du Christ et s'en délecte... et à tous les autres!).

Yann Moix est un bon exemple de cette attitude "j'suis décadent mais en quête mystique" qui fait redécouvrir le chirstianisme sous un autre jour au grand public. Mais attention aux grands méli mélodrames mystico athées... Ceci dit, c'est un garçon intelligent et il dit des choses très justes!

Sur un plan pratique, je travaille à Paris tous les jours de la semaine: on peut donc se voir, ce serait très chouette, déjeuner ensemble ou bien prendre un café en fin de journée!

Anonyme a dit…

@Leopold

Ah ! merci de m'avoir ainsi rajeunie, même si je trouve merveilleuses les années d'automne ! Eh oui, la "mademoiselle" Flore est une heureuse mère et grand-mère, ainsi qu'une jeune :-) retraitée ...
Bon courage et tous mes voeux de réussite, Léopold, dans une carrière pleine de défis, de difficultés, certes, mais aussi de rencontres merveilleuses et de trésors cachés.

Léopold a dit…

Ciel, réjouir deux femmes en écrivant un commentaire, je n'aurais pas perdu ma journée :-)

@ Flore: merci pour les encouragements. Comme disait l'autre: nous entrerons dans la carrière quand nos aînés n'y seront plus, etc. Aux armes et hauts les cœurs (ça c'est pour rester dans le ton du message précédent!). Enfin, il faut déjà que je décroche le(s) concours, tant qu'il(s) existe(nt).

@ Elise: je parlais bien de rendre AU christianisme son caractère "sulfureux", et non de LE rendre artificiellement tel. Nous sommes d'accord, ce caractère a toujours existé. Les mystiques (dont j'aime moi aussi à fréquenter les écrits) en sont, effectivement, souvent un bon exemple; j'ai d'ailleurs cru comprendre que les "ultra-traditionalistes" ne les appréciaient guère... Mais, de façon plus générale, j'ai plus d'accointance avec un christianisme "scandale et folie", perturbateur des idées reçues et des comportements acquis (tel le discours des Béatitudes), que pour un christianisme "sulpicien", tièdement replié sur la défense de l'"ordre" et des "valeurs morales".

Sinon, content de voir que Moix "dit des choses très justes" malgré tout!

- En ce qui concerne le "plan pratique", as-tu accès à l'adresse courriel dont je me sers pour signer mes commentaires? Cela permettrait de mettre sur pied la chose sans trop s'étaler ici...

Didier Goux a dit…

Chère Élise, je sais que je tombe un peu comme un cheveu sur la soupe, mais je tenais à vous dire que vous me semblez être une belle personne et que nous (l'Irremplaçable et moi) sommes tombés d'accord, tout à l'heure, pour dire que nous vous aimions beaucoup.

(D'ailleurs - mauvaise nouvelle -, il n'est pas impossible que nous venions prochainement tester un bon restaurant orléanais...)

Sémiramis a dit…

Chers époux Goux,

Je suis coite. Merci...

...et alors à très bientôt, je pense que vous ne pourrez pas trouver le bon restaurant sans mon aide active!

:-))))

Sémiramis a dit…

Eh eh eh, ce brassage générationnel sur mon blog m'enchante!

Bonne soirée à tous et bonne semaine!

Anonyme a dit…

Je confirme à M. Goux qu'Elise est une bien belle personne.

Sémiramis a dit…

Bon, en cette journée consacrée aux amoureux je me console d'être délaissée avec ce témoignage d'adoration de mon Darling (béni soit-il!)

Anonyme a dit…

Vous voulez discuter avec Yann Moix autour de son livre sur Edith Stein ? C'est possible, ce lundi 18 février à partir de 18h30. Il répondra aux internautes à l'adresse http://rendez-vous.leforumcatholique.org/forum.php?id=40
Vous pouvez vous inscrire à la discussion en écrivant à l'adresse agoramag@free.fr avant 18h.
N'hésitez pas !

XA

Anonyme a dit…

Merci beaucoup pour cette information, dont je n'ai malheureusement pas pu profiter... Le chat était organisé par une organisation catholique???

Bonne soirée et à bientôt!

Guillaume R. a dit…

"La lecture est comme saccadée par les répétitions et les reformulation, interrompue brutalement par une phrase sans fin, dispersée par des dialogues reconstitués dans un style oral d'une vulgarité ahurissante - mais la cerise sur le gâteau, c'est la ponctuation!"
Hé hé, on ne s'improvise pas ciseleur de langue! J'avais tenté de lire Moix avec Podium il y a de cela quelques années.;
Je n'avais même pas fini ce livre (ce qui est rare chez moi, je n'aime pas laisser quoi que ce soit en plan!).
Mais je n'en pouvais plus.

Le seul point positif de ce livre de Moix est qu'il nous rappelle qu'il faut lire Edith Stein...

Sémiramis a dit…

Bonjour et merci de votre visite.

Effectivement, on n'en peux plus de Yann Moix! Mais le fait qu'il parle d'Edith prouve que sa démarche n'est pas tout à fait vaine.

Bon dimanche!