16 avril 2007

Le corps transfiguré

Pour le Père Simon Trotabas, avec ma gratitude joyeuse,
En mémoire et en action de grâces de la Vigile Pascale 2005

Liturgiquement et spirituellement, la semaine écoulée est exceptionnelle: c'est la semaine des sept dimanches, manifestant la permanence du mystère pascal depuis le dimanche de Pâques, le 8ème jour de la création... Occasion pour nous de méditer sur les fruits de la résurrection. Les lectures qui nous sont proposées durant l'octave pascale reprennent, conjointement, des textes des Actes des Apôtres, les différents épisodes des rencontres entre Jésus ressuscité et ses compagnons, et des psaumes d'action de grâce. On peut au premier abord peiner à établir l'unité entre ces textes qui semblent un peu hétéroclites. Pourquoi lire les Actes durant la semaine de la résurrection?
Tout simplement, parce que les Actes des Apôtres et les faits qui y sont relatés découlent aussitôt des récits de la Résurrection. L'Evangile d'Emmaüs [1] lu le mercredi de l'octave pascale manifeste pleinement cette filiation entre résurrection et apostolat: "A cette heure même, ils partirent et s'en retournèrent à Jérusalem. Ils trouvèrent réunis les Onze et leurs compagnons, qui dirent: "C'est bien vrai! le Seigneur est ressuscité et il est apparu à Simon!" " Le fondement de la vie apostolique est la proclamation du Christ ressuscité. Il est intéressant de constater, pour l'anecdote, que ce sont les femmes qui sont les premières porteuses de la nouvelle: "Quelques femmes qui sont des nôtres nous ont, il est vrai, stupéfiés. S'étant rendues de grand matin au tombeau et n'ayant pas trouvé son corps, elles sont revenues nous dire qu'elles ont même eu la vision d'anges qui le disent vivant" [2]. Les Apôtres peinent à croire: ils permettent à chacun de s'identifier et de recevoir l'appel à la conversion de tous, baptisés compris, qui résonne dans le texte d'Emmaüs.
Ce passage se présente comme un chemin catéchuménal
: la rencontre inattendue sur un chemin, l'entrée dans l'intelligence des Ecritures, le désir de rester avec le Christ ("Reste avec nous"), et la reconnaissance finale dans le geste eucharistique institué comme mémorial: "comme il était à table avec eux, qu'il prit le pain, dit la bénédiction, puis le rompit et le leur donna. Leurs yeux s'ouvrirent et ils le reconnurent..."[3].
J'ai toujours été fascinée par la subite disparition de Jésus aux yeux de ses disciples à partir du moment où leurs yeux s'ouvrent, et où ils le reconnaissent. Jusqu'à ce moment, effectivement, les anciens compagnons de Jésus se situent encore dans la perspective charnelle de l'Incarnation: ils sont incapables de reconnaître le corps de gloire de Jésus: "Jésus en personne s'approcha, et il faisait route avec eux; mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître" [4]. L'évangéliste souligne qu'ils ne sont pas encore entrés dans le vrai sens des évènements de la Pâque: "[...] Jésus le Nazarénien, qui s'est montré un prophète puissant en oeuvres et en paroles devant Dieu et devant tout le peuple, comment nos grands prêtres et nos chefs l'ont livré pour être condamné à mort et l'ont crucifié. Nous espérions, nous, que c'était lui qui allait délivrer Israël; mais avec tout cela, voilà le troisième jour depuis que ces choses sont arrivées!" [5].
Il est manifeste que les disciples, "gens sans instruction ni culture" [6], relisent les évènements selon une logique terrestre de la force, et pas encore selon la logique surnaturelle de la grâce... C'est au moment où ils reconnaissent Jésus, lors de la fraction du pain, que leurs yeux s'ouvrent enfin. La subite disparition du Christ aux yeux de ses proches manifeste clairement le passage, dans la vie des disciples et dans la nôtre, de la logique de l'Incarnation où le Christ est présent, à celle de la résurrection. Quarante jours après Pâques, nous célébrons l'Ascension qui consacre cette "disparition" du ressuscité: l'absence du Christ devient présence de l'Eglise, vivifiée par le don de la Pentecôte qui clôt le temps pascal. Ce n'est plus effectivement le corps humain de Jésus qui nous est présent, mais son corps ressuscité, en la personne de chaque baptisé membre du corps mystique de l'Eglise, dont le Christ est la tête et le chef. De ce brusque glissement de perspective découle directement la naissance de l'Eglise: les disciples d'Emmaüs, qui quittaient Jérusalem tout dépités, courrent rejoindre les Onze pour leur annoncer à leur tour la Nouvelle. La dispersion, l'aveuglement, l'incompréhension et la déception se dissipent peu à peu. Précisément, Jésus doit disparaître pour qu'ait lieu la proclamation: tout comme le rappellent les anges aux disciples lors de l'Ascension "Hommes de Galilée, pourquoi restez-vous ainsi à regarder le ciel?" [7]: ils sont appellés à témoigner [8].
En ce sens, les récits évangéliques des rencontres entre le Ressuscité et ses disciples sont autant de récits de baptêmes. En rencontrant le ressuscité, en entrant dans le mystère de l'intelligence de la résurrection, chacun est appellé à vivre lui-même en résurrection; comme le souligne la deuxième préface de Pâque "nous te rendons gloire Seigneur, car la mort du Christ nous affranchit de la mort, et dans le mystère de sa résurrection chacun de nous est déjà ressuscité" [9]. C'est déjà là ce que nous proclamions lors de la vigile pascale en lisant la lettre aux Romains [10].
Il me semble que, floués par une habituelle intellectualisation de notre foi, nous n'insistons pas assez sur l'aspect corporel très fort de cette nouvelle. Les textes, pourtant, soulignent clairement cet aspect: si la résurrection change tout, la transfiguration définitive du corps humain de Jésus transfigure aussi notre corps! Si nous sommes ressuscités avec lui, notre corps reçoit déjà en puissance sa gloire, qui ne se révèlera qu'aux derniers jours. Lorsqu'ils entrent dans la compréhension de la résurrection, les disciples sont physiquement bouleversés: "Leurs yeux s'ouvrirent ", et leur coeur est "tout brûlant". Sur le plan sensible, et pas seulement sur le plan intellectuel, ils entrent tout entier dans la perspective surnaturelle de la résurrection. Ce sont jusqu'à leurs sens qui sont modifiés par ce baptême, tout comme les nôtres ont reçu cette puissance surnaturelle lors de notre baptême...
Par ce rapport transfiguré à leur corps, les disciples sont désormais capables de guérir les infirmes! D'où le récit de la guérison du mendiant de la belle porte lu le même jour que le récit d'Emmaüs [11]. Le jeu des regards dans ce passage est essentiel: c'est bien en posant un regard neuf sur le malade que la guérison se produit: "Alors Pierre fixa les yeux sur lui, ainsi que Jean, et dit: "Regarde-nous." Il tenait son regard attaché sur eux, s'attendant à en recevoir quelque chose. Mais Pierre dit: "De l'argent et de l'or, je n'en ai pas, mais ce que j'ai, je te le donne: au nom de Jésus Christ le Nazôréen, marche!" Et le saisissant par la main droite, il le releva". A partir de ce moment, le corps de l'infirme guérit, retrouve sa vocation première: celle de l'action de grâce et de la glorification du Seigneur: "d'un bond il fut debout, et le voilà qui marchait. Il entra avec eux dans le Temple, marchant, gambadant et louant Dieu". Tout comme le corps des disciples, par leur action apostolique, l'annonce et les guérisons, se fait instrument de glorification du Très Haut...
La rencontre avec le ressuscité, c'est notre baptême, renouvellé à Pâques chaque année: une transfiguration entière de notre être. Il est bon de nous rappeller que cette transfiguration n'est pas symbolique, spirituelle ou uniquement intellectuelle: elle est effective, réelle [12], et ce dans le plus intime de notre corps. Corps qui devient membre du corps ressucité du Christ. Impossible de vivre ce miracle sans l'alimenter par le sacrement de l'Eucharistie, source et sommet de notre vie de baptisé. Impossible de ne pas être illuminé par la joie d'être renouvellé, transfiguré...

"C'est pourquoi le peuple des baptisés, rayonnant de la joie pascale, exulte par toute la terre, tandis que les anges dans le ciel chantent sans fin l'hymne de ta gloire" [13]

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Ill: Photographies personnelles, avril 2007.
1- Fronton de l'église abbatiale de Lérins, Christ en mandorle entouré des évangélistes symbolisés.
2- Petits anges polychromes, tour de la cathédrale de Vence.
[1] Luc 24, 13-33, NB: la traduction citée est celle de la Bible de Jérusalem et non celle préconisée par le lectionnaire romain.
[2] Luc 24, 22-24.
[3] Luc 24, 30-31.
[4] Luc 24, 15-16.
[5] Luc 24, 19-21.
[6] Actes 4, 13.
[7] Actes 1, 11.
[8] On peut également penser au désir frustré des disciples dans l'épisode de la Transfiguration.
[9] Missel Romain.
[10] Rm 6, 3-11 (Bible de Jérusalem, c'est moi qui souligne) : "Ignorez-vous que, baptisés dans le Christ Jésus, c'est dans sa mort que tous nous avons été baptisés?
Nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême dans la mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous vivions nous aussi dans une vie nouvelle. Car si c'est un même être avec le Christ que nous sommes devenus par une mort semblable à la sienne, nous le serons aussi par une résurrection semblable; comprenons-le, notre vieil homme a été crucifié avec lui, pour que fût réduit à l'impuissance ce corps de péché, afin que nous cessions d'être asservis au péché. Car celui qui est mort est affranchi du péché. Mais si nous sommes morts avec le Christ, nous croyons que nous vivons aussi avec lui, sachant que le Christ une fois ressuscité des morts ne meurt plus, que la mort n'exerce plus de pouvoir sur lui. Sa mort fut une mort au péché, une fois pour toutes; mais sa vie est une vie à Dieu. Et vous de même, considérez que vous êtes morts au péché et vivants à Dieu dans le Christ Jésus".
[11] Actes 3, 1-10.
[12] Au sens étymologique de Res: la chose!
[13] Préface de Pâques, Missel Romain.

8 commentaires:

Anonyme a dit…

" Il est intéressant de constater, pour l'anecdote, que ce sont les femmes qui sont les premières porteuses de la nouvelle".

N'est-ce pas naturel ? N'est-ce pas par la femme que vient la vie ? Vous parlez un peu plus loin de renaissance "corporelle", ma question semble d'autant plus justifiée.

Sémiramis a dit…

Vous faites mouche Halio, c'est naturel et évident! Allez lire si vous voulez bien les commentaires sur le post sur le Da Vinci Code... Vous comprendrez un peu mieux cette petite phrase!

Valete! Et d'ailleurs vos question sont toujours justifiées, cher ami!

Anonyme a dit…

Je cherche, je cherche (ce qui me permet de découvrir plein de choses magnifique sur ce blog), mais je ne trouve pas le post sur le Da Vinci Code.

Help !

Sémiramis a dit…

"Ca casse pas 3 pattes à 1 canard"!! Vous l'avez commenté pourtant!

Merci pour les compliments au passage... Découvrez, découvrez, et commentez!

Anonyme a dit…

Je me souvenais de l'avoir lu, mais j'étais incapable de me souvenir du titre ni de la date (c'est l'age !). Merci j'ai donc retrouvé.

Sémiramis a dit…

No comment...(sourire)

Anonyme a dit…

Commentaire sur la résurrection de Jésus

je ne suis pas théologien, mais je comprends d'une autre façon la présence de Jésus à ses disciples après la résurrection, cela me semble être encore la présence tout à fait incarnée d'une personne que la mort n'a pas emporté. Il me semble que l'aspect glorieux de sa résurrection ne se produit qu'à partir de son Ascension . C'est ce que j'ai retenu de l’épisode où Thomas place son doigt dans les plaies de Jésus selon l’ évangile de st jean et dont j’ai recopié l’extrait sur le site où je m’exprime habituellement : http://jeanmarcdl.free.fr/humanite-dignite/article.php3?id_article=047

Y-a-t-il des traditions d’interprétations qui vont dans ce sens ? Une résurrection charnelle couronné par son aspect glorieux ?

Sémiramis a dit…

Bonsoir, merci de votre visite et de votre commentaire!

Non, la ligne d'interprétation que vous donnez n'existe pas à ma connaissance dans le christianisme - mais je ne serais pas aussi catégorique sur les hérésies! Affirmer que Jésus serait ressuscité d'abord dans la chair, puis glorifié, pose de gros problèmes théologiques. C'est le phénomène même de la résurrection qui est mis en question - et finalement transféré sur l'ascension.

D'ailleurs, rien ne dit dans le texte de Jean que Thomas plonge sa main dans le côté du Christ comme celui-ci l'y invite, et le texte parle ensuite de "celui qui croit après avoir VU"... Rien ne nous permet également de supposer que le corps de gloire de jésus n'a pas alors une forme de corporéité semblable à la chair, etc etc!!

Je donne mon interprétation de cet évangile dans cet article

http://hommesansqualites.blogspot.com/2008/03/de-lindcence-du-doute-celle-de-la-foi.html

Bonne lecture et à très bientôt! Amicalement