22 septembre 2006

Petite exégèse sans prétention - ou de la nécessaire distinction entre christianisme et platonisme

Notre ami Gai Luron, qui se revendique néo platonicien et hégélien, ouvre dans un récent post un débat passionnant. Ce jeune philosophe, n’oubliant pas la première loi du genre, l’étonnement, découvre avec surprise combien sont proches les récits des origines de l’humanité que l’on trouve chez Platon (dans le Banquet) et dans le livre de la Genèse. Hélas, comme des générations de philosophes, Gai Luron tombe dans le piège consacré : plaquer sur le christianisme les schémas platoniciens ! Erreur, fatale erreur, qui conduit à tant de malentendus sur la nature de la foi chrétienne ! En tant que prophète par l’onction de mon baptême, il me faut faire entendre la vérité sur la Révélation, et je ne peux taire les arguments qui se bousculent en moi pour démontrer à notre ami combien, en fin de compte, Yahvé se situe loin de Zeus…

D’autant que cette interprétation platonicienne de la Genèse porte de lourdes conséquences morales. Ce qui est en jeu, effectivement, c’est une question cruciale pour l’humanité : celle de la différence des sexes ! Et celle, qui en découle et qui nous taraude tant, de la sexualité humaine. Examinons donc ce que ces deux mythes des origines nous disent de la différenciation sexuée, et nous aurons peut-être de nouvelles surprises.

Je me replonge dans mon Banquet, 189d-191d (je ne cite pas le texte que vous trouvez dans le post de Gai Luron, la traduction de Luc Brisson est valable). Ce qui me frappe, c’est l’autosuffisance des hommes créés, parfaitement manifestée par leur forme sphérique. Or, la sphère est dans le vocabulaire symbolique (qui est celui du mythe) la perfection, la plénitude. A ce moment de l’humanité, la différence des sexes est présente, mais de façon fusionnelle puisque les individus sont confondus, et pleinement satisfaits. Il n’est pas question d’une recherche mutuelle, d’un désir de rencontre entre les individus – il est simplement question de leur mode de déplacement personnel ! Cette auto satisfaction et l’orgueil des hommes est une offense pour les Dieux : d’où cette PUNITION de la part de Zeus, qui sépare les sphères.
Or, dans la Genèse, on trouve un schéma complètement différent ; même si, effectivement, l’homme, « Adam », est le « glèbeux », le fils de la terre, à l’image de Dieu. Effectivement, que se passe-t-il ? Prenons le deuxième récit de la Création (Elohiste) en Gn 2. A ce moment des origines, Adam est modelé par Yahvé. Il faut noter que ce n’est pas Adam en tant qu’homme qui existe alors, mais en tant que GENRE : l’humain ; puisqu’il n’existe évidemment pas encore de différence sexuelle (NB : argument inéluctable contre lequel toutes les féministes du monde devraient s’incliner ! L’homme n’est pas créé avant la femme, et ce n’est pas le signe d’une prétendue supériorité mâle instituée par ce poison de judéo christianisme : au contraire, la création de la femme est l’acte qui créé l’homme en tant que mâle, puisqu’elle fait apparaître le sexe masculin par différence avec le sien).
Dieu, nous l’avons dit, a créé l’homme à son image : c’est-à-dire ouvert sur l’autre et capable d’aimer. Il s’avise du fait que, l’homme étant ainsi, il est impossible qu’il soit seul sur terre. Alors, Il créé les animaux ; c’est-à-dire, la différence des espèces.
Cf. Gn 2, 18-20 : « Yahvé Dieu dit: "Il n'est pas bon que l'homme soit seul. Il faut que je lui fasse une aide qui lui soit assortie." Yahvé Dieu modela encore du sol toutes les bêtes sauvages et tous les oiseaux du ciel, et il les amena à l'homme pour voir comment celui-ci les appellerait: chacun devait porter le nom que l'homme lui aurait donné. L'homme donna des noms à tous les bestiaux, aux oiseaux du ciel et à toutes les bêtes sauvages, mais, pour un homme, il ne trouva pas l'aide qui lui fût assortie ».
Mais l’homme ne peut se satisfaire des animaux, de ces autres dans lesquels il ne se reconnaît pas. La différenciation des sexes provient donc de ce fait : l’homme est, à l’image de Dieu, un être en recherche, et il a besoin d’une altérité qui soit la fois proche de lui, de même nature, et mystérieuse, différente. Voila pourquoi Dieu fait apparaître au sein du genre humain une différence :
Cf. Gn 2, 21-23 : « Alors Yahvé Dieu fit tomber une torpeur sur l'homme, qui s'endormit. Il prit une de ses côtes et referma la chair à sa place. Puis, de la côte qu'il avait tirée de l'homme, Yahvé Dieu façonna une femme et l'amena à l'homme. Alors celui-ci s'écria: "Pour le coup, c'est l'os de mes os et la chair de ma chair! Celle-ci sera appelée "femme", car elle fut tirée de l'homme, celle-ci!" ».
L’homme, le « masculin » né de la création de la femme découvre aussitôt leur différence et leur commune origine. On se trouve donc dans un schéma complètement différent du platonisme, où la séparation des sexes est liée à une punition divine ! Ici, Yahvé créé l’altérité au sein de l’humanité, afin que l’homme soit vraiment à son image, Lui qui est altérité et unité au sein de la Trinité. Comme Dieu est Un et Trois, l’homme et la femme sont appelés à être deux et un : Cf. Gn 2, 24 : « C'est pourquoi l'homme quitte son père et sa mère et s'attache à sa femme, et ils deviennent une seule chair ». Je me rapporte pour étayer mon propos à la grandiose encyclique de Benoît XVI :
Deus est Caritas, paragraphe 11 : « À l’arrière-plan de ce récit [la Genèse], on peut voir des conceptions qui, par exemple, apparaissent aussi dans le mythe évoqué par Platon, selon lequel, à l’origine, l’homme était sphérique, parce que complet en lui-même et autosuffisant. Mais, pour le punir de son orgueil, Zeus le coupe en deux, de sorte que sa moitié est désormais toujours à la recherche de son autre moitié et en marche vers elle, afin de retrouver son intégrité. Dans le récit biblique, on ne parle pas de punition; pourtant, l’idée que l’homme serait en quelque sorte incomplet de par sa constitution, à la recherche, dans l’autre, de la partie qui manque à son intégrité, à savoir l’idée que c’est seulement dans la communion avec l’autre sexe qu’il peut devenir «complet», est sans aucun doute présente ».
De fait, l’homme biblique ne recherche pas une unité perdue dans une fusion comme les êtres de Platon : il recherche à faire l’unité dans la différence
– ce qui est nettement plus à sa mesure et digne de lui, non ?

A suivre... je divise mon propos interminable pour vous le rendre plus digeste!

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Chère Belle Lurette,

Il est possible en effet que je plaque des schémas néoplatoniciens et hégéliens sur le christianisme ; je me défendrai en disant que le christianisme est un platonisme mais ce serait insuffisant et facile.

Mais, si je puis me permettre, vous calquez des schémas du Nouveau Testament sur l'Ancien ; ainsi, vous interprétez la Genèse à partir de l'amour divin ; mais rien ne dit que Dieu est amour ou Charité dans l'Ancien Testament. Ca c'est la percée du Nouveau. Vous interprétez la création à l'aide de la Trinité ; je crois - à ma modeste échelle - qu'il serait plus intéressant d'affronter la Genèse en tant que telle, sans l'apport de concepts gréco-chrétiens comme la Trinité, ou spécifiquement christiques comme l'amour. Ce que je constatais, c'était la correspondance entre la Genèse en tant que Genèse et certains mythes platoniciens.

Vos remarques sur l'altérité me semblent tout à fait pertinentes ; mais répondent-elles vraiment à la question d'une création à l'image divine ? A la Tour de Babel ?

En fait, j'avoue avoir beaucoup de mal à comprendre pourquoi, dans la Bible, l'homme rechercherait l'unité si, d'une certaine manière, il ne l'avait pas déjà un peu connue. C'est le fameux paradoxe d'Augustin : on ne cherche à connaître que ce que l'on connaît déjà.

Bien à vous,

Thibaut

Anonyme a dit…

Oui, vous avez raison en tous points. Mon interprétation de la Genèse et du premier testament est telle parce que je suis croyante, et c'est en quoi il est très bon que les non croyants s'en mêlent: ils affrontent le texte en tant que tel. Encore faut-il le faire intelligemment. Mais, si je me refuse à croire à une actualisation de Dieu dans l'histoire, je crois cependant que la révélation s'actualise dans le temps. Il y a une présence de Dieu à l'humanité de plus en plus vraie, en attendant la parousie (que l'on peut sûrement rapporter à une "remeatio"?). En ce sens Dieu devient de plus en plus uni à l'homme au cours de l'histoire, jusqu'à l'unité de tous en tous à la fin des temps. concernant cette unité, elle est effectivement un retour mais je voulais me garder du piège de l'apocatastase: c'est-à-dire, de voir dans la béatitude finale un RETOUR à l'état prélapsaire.
Merci encore***

Anonyme a dit…

En bon hégélianisme (mon dieu que je me sens dogmatique tout d'un coup), rassurez-vous, il ne peut y avoir de retour à l'état prélapsaire, car ce serait nier la nécessaire dimension de progrès contenue dans le procès (au sens de mouvement) spirituel.
Mais je me suis laissé dire que vous n'étiez pas hégélienne, ce que j'approuve pleinement, car je douterais fort qu'un Chrétien pût être réellement hégélien.