31 mai 2006

Jean Genet à Tours

Je n'ai pas vu l'expo dont tout le monde parle, qui se tient en ce moment au musée des beaux arts de Tours. Cependant je trouve dans cet évènement - et dans mon incapacité à faire ce que j'ai à faire de façon urgente - l'occasion de ressortir un petit livre que m'avait offert ma chère marraine - qui ne l'était évidemment pas encore - il y a 5 ans: l'atelier d'Alberto Giacometti, de Genet, publié aux éditions de l'Arbalète.
Très beau livre sur tous les plans, écriture, photos, sensibilité charnelle de la scupture. On comprend les termes de l'amitié entre les deux artistes: rencontre de deux solitudes qui se parlent par oeuvres interposées. De nombreux textes peuvent constituer la source de méditations. Je vous en livre un particulièrement beau de brutalité.


Il y a quatre ans environ, j'étais dans le train. En face de moi, dans le compartiment un épouvantable petit vieux était assis. Sale, et, manifestement, méchant, certaines de ses réflexions me le prouvèrent. Refusant de poursuivre avec lui une conversation sans bonheur, je voulus lire, mais, malgré moi je regardais ce petit vieux: il était très laid. Son regard croisa, comme on dit, le mien, et, ce fut bref ou appuyé, je ne sais plus, mais je connus soudain le douloureux - oui, douloureux sentiment que n'importe quel homme en "valait" exactement - qu'on m'excuse, mais c'est sur "exactement" que je veux mettre l'accent - n'importe quel autre. "N'importe qui, me dis-je, peut-être aimé par-delà sa laideur, sa sottise, sa méchanceté".
C'est un regard, appuyé ou rapide, qui s'était pris dans le mien et qui m'en rendait compte. Et ce qui fait qu'un homme pouvait être aimé par-delà sa laideur ou sa méchanceté permettait précisément d'aimer celles-ci. Ne nous méprenons pas: il ne s'agissait pas d'une bonté venant de moi, mais d'une reconnaissance. Le regard de Giacometti a vu cela depuis longtemps, et il nous le restitue. Je dis ce que j'éprouve: cette parenté manifestée par ses figures me semble être ce point précieux où l'être humain serait ramené à ce qu'il a de plus irréductible: sa solitude d'être exactement équivalent à tout autre.

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