13 mars 2006

Postérité stoïcienne et thématique chrétienne de la Providence dans la philosophie de S. Weil - 1

Ayant passé un week-end que je pourrais qualifier de lune de miel avec ce vieux Sénèque, je ne veux pas me priver de vous présenter les avancées philosophiques qui ont résulté de ce coup de foudre. Loin d'avoir délaissé Simone, elle s'est jointe à nous pour un grand moment de bonheur philosophique.


On trouve dans l’Enracinement, la dernière œuvre de S. Weil, écrite en 1942 à Londres, une longue dissertation assez virulente sur le thème de la Providence. La philosophe y rejette cette notion comme mère de beaucoup de maux, en particulier d’une conception fausse du christianisme, due à son institution comme religion officielle romaine. Ce texte attire particulièrement notre attention, sachant que S. Weil est fortement influencée par la philosophie stoïcienne dans sa pensée métaphysique, en particulier théologique et cosmologique. Que rejette-t-elle dans l’idée de Providence, à la lumière de ce que nous en dit Sénèque ?
On pourra voir ainsi comment
elle dégage de la conception chrétienne de la Providence une influence stoïcienne qu’elle désigne comme non évangélique et contraire à l’inspiration chrétienne initiale. La question qui se pose finalement est la suivante : dans quelle mesure l’idée de providence est-elle chrétienne ? Pour répondre à cette question, il nous faut d’abord remonter à la source stoïcienne de l’idée de Providence telle qu’elle nous a été présentée par Sénèque dans le De providentia. Puis, nous appliquerons la critique de S. Weil à cette conception afin de comprendre la distance entre la conception providentielle stoïcienne et la conception chrétienne.
L’article d’Henry Duméry consacré à la notion de providence dans l’encyclopaedia universalis nous précise d’emblée que
« si l’on s’en tient à l’histoire des idées, le concept de providence n’est pas d’origine judéo-chrétienne : il est d’origine hellénique, de facture stoïcienne »
Dans le stoïcisme, le terme de providence renvoie directement à celui de nécessité comme on a pu le voir chez Sénèque. Cette conception n’a donc rien à voir avec le Dieu de la Bible qui est le maître souverain de l’histoire. C’est avec les cercles chrétiens d’Alexandrie (avec Philon) et le néo platonisme chrétien que va se développer une conception chrétienne de la providence à partir de ce schéma. Mais le problème de la distinction entre le stoïcisme et le christianisme est plus général, et majeur. Effectivement dans le Stoïcisme, le monothéisme confessionnel s’est imposé progressivement (on parle du « Dieu » chez Cicéron et Epictète) ce qui a fourni au christianisme des catégories nouvelles qui lui ont permis de se couler dans la langue et le monde grec. Cela est très important, car l’idée d’anthropocentrisme dont on dit qu’elle est chrétienne, a été en fait affirmée par le Stoïcisme, et en partie par Cicéron. Alors, distinguer le christianisme du Stoïcisme devient un enjeu important et… pas forcément évident.
Ainsi quant à la question de la providence
on retrouve l’idée stoïcienne qu’il faut se plier au fatum dans une certaine forme de providentialisme en christianisme. C’est contre cette appréhension que saint Paul s’est battu fermement dans ses épîtres (en particulier la lettre aux Romains) en affirmant que seule la liberté personnelle est le lieu du discernement. Dieu ne donne pas les circonstances mais la manière de les vivre. Cf Luc 11, « combien plus le Père vous donnera l’Esprit Saint » : le Père n’est pas dit donner les choses mais la manière de les recevoir. D’ailleurs, Paul et Sénèque étaient contemporains, et certains chercheurs ont imaginé une amitié, ou du moins des rapports, entre les deux intellectuels. Certaines confusions dans la compréhension du destin dans le christianisme proviennent donc du fait que l’on n’a pas assez travaillé ce moment où Paul essaie de se défaire de ce schéma du « fatum ».

A suivre...

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