31 mars 2008

"Il arriva sans avoir été attendu..."

Solennité de l'Annonciation du Seigneur

"Il arriva sans avoir été attendu, il vint sans avoir été conçu. Seule la mère savait qu'il était fils d'une annonce de la semence portée par la voix d'un ange. [...] Seules les femmes, les mères, savent ce qu'est le verbe attendre. Le genre masculin n'a ni constance ni corps pour héberger des attentes. Je mesure la circonstance aggravante que représente l'ignorance physique de la forme du verbe attendre"
Erri De Luca, Noyau d'olive, "Avent", 2002,
éd. Gallimard 2004 pour la traduction française,
repris en Folio, 2006.


L'Annonciation de Nicolas Poussin, que l'on peut admirer en ce moment au musée des beaux-arts de Lyon dans le cadre de la belle exposition autour de l'acquisition de la Fuite en Egypte, manifeste avec plénitude la capacité d'accueil de Marie - qui est aussi une attitude d'adoration. On est bien loin de la surprise que décrivent les évangiles: la jeune femme s'abandonne totalement à la force de Dieu que le dynamisme du corps tendu de l'ange semble incarner. Je reste très frappée par la position très inhabituelle du corps de la vierge, assis en tailleur, jambes écartées (!) dans un équilibre serein.
Au fond, le rideau qui évoque toujours le voile du temple qui se déchirera lors de la crucifixion, mais dont le retombé appelle également la tente de la rencontre où Sarah reçoit l'annonce de sa maternité.

24 commentaires:

Léopold a dit…

Beau tableau en effet (et la réflexion de De Luca est aussi très belle). De façon générale, j'ai remarqué depuis longtemps que les Vierges des peintres avaient plutôt tendance à prendre "sereinement" l'annonce qui leur était faite! (Ici on dirait presque qu'elle fait du yoga!) Sans prétendre à une culture encyclopédique en la matière, je ne connais guère que deux contre-exemples: la sublime Annonciation de 1333 de Simone Martini, où la Vierge ne me semble guère rassurée (on lirait presque du dégoût sur son visage), et l'Ecce Ancilla Domini de Dante Gabriel Rossetti, qui peint Marie comme une adolescente apeurée, prostrée sur son lit, terrifiée presque par l'ange.

Avec sa Marie extatique, Poussin, comme tu le remarques, va très loin dans l'exaltation de l'acceptation mariale. Exaltation justifiée certes! Mais qu'un peintre - de temps en temps - se permette de sortir de ce canon esthétique nous rappelle aussi le caractère "scandaleux", hors-norme, de l'Annonciation, et le choc et le trouble vraisemblablement ressentis par une jeune fille mise devant une telle situation. L'acceptation n'allait pas forcément de soi, et ce n'est pas en minorer la portée que de le rappeler, bien au contraire. :-)

Anonyme a dit…

Voir l'ouvrage de Michael Baxandall, l'oeil du quattrocento sur les phases successives de la Vierge à l'Annonciation (surprise, refus, acceptation ...)
voir aussi moi blog
http://transition.ultim-blog.com

A bientôt

Anonyme a dit…

"Elle est seule au milieu du monde, comme la vierge dans les peintures de Fra Angelico : recueillie dans une sphère de lumière [...] C'est une jeune mère. On se dit en la voyant que toutes les mères sont ainsi, de très jeunes filles, enveloppées de silence, comme la robe de lumière entre les doigts du peintre".
de Christian Bobin, dans "La Part manquante" (on ne se refait pas -:) )
Je ne connais pas Erri de Luca, mais après avoir lu l'extrait que vous cites, je sens que je vais me précipiter chez mon libraire !

Anonyme a dit…

l'extrait que vous citeZ !
(pas encore réveillée !)

Anonyme a dit…

Merci Léopold, je ne connaissais pas l'Ecce Ancilla Domini de Rossetti. C'est un tableau vraiment surprenant ! (au passage merci aux moteurs de recherche ;) )

Ce tableau de Poussin est en effet très beau. Et comme Flore tout cela me donne fortement envie de lire Erri de Luca (avec lequel nous pouvons nous demander quel sont les liens qui lient l'attente à l'accueil) !

Didier Goux a dit…

Ah ? Vous vous y mettez aussi, à ces petites citations luciennes (si je puis dire...) ?

Je vous signale tout de même qu'en italien, la particule demande la majuscule : Erri De Luca.

Léopold a dit…

@ Ulrich: merci pour la référence! j'y jetterai un oeil, voire les deux, dès que j'en aurai l'occasion.

@ Jean-Baptiste: oui, les moteurs de recherche sont bien utiles; j'ai failli mettre des liens mais ça ne rentrait pas dans la largeur de la colonne et ce n'était pas vraiment utile (la preuve).

Sémiramis a dit…

Didier, merci pour l'info italienne! J'aurais pu le voir sur la couverture d'ailleurs.

Oui, j'avoue vous plagier de façon éhontée - en fait vous lire m'a donné envie de reprendre cet auteur que mon frère m'avait fait découvrir avec exaltation... Il y a déjà deux ans (il vaut mieux ne pas y penser...)

Bonne nuit!

Sémiramis a dit…

Léopold, merci de ces précisions! le yoga, c'est exactement ça!

L'attitude d'adoration est à mon avis une allusion à l'eucharistie. Mais c'est évident que cette sérénité des vierges, si elle est très belle et très rassurante, ne contribue pas à incarner Marie - bien au contraire...

Juste au passage, on peut dire d'une façon générale que les femmes peintes par Rossetti n'ont pas un air très serein, et elles sont toujours d'un style anorexique assez déprimant!

Bonne soirée et merci!

Sémiramis a dit…

Bonsoir Ulrich, merci de votre visite et bienvenue!
Au vu de votre blog, vous m'avez l'air d'un spécialiste du baroque: je tâcherai de suivre vos conseils!

Bonne soirée!

Sémiramis a dit…

Jean-Baptiste, il te faut effectivement lire De Luca (la citation de ce matin, je l'ai trouvée dans Noyau d'olive: fulgurant n'est-ce pas?)

Good night!

Sémiramis a dit…

Flore, je vous invite à vous précipiter effectivement chez votre libraire, et ce en toutes circonstances!

Christian Bobin! Ma grand-mère est fan (ne croyez pas que je me moque, c'est la vérité vraie!). Je n'avais pas trop accroché à l'époque, mais j'étais probablement trop jeune... c'était euh... il y a quelques années.

Good night! et à bientôt!

Catherine a dit…

Très bel extrait d'Erri De Luca, et tellement vrai.
Il me semble que je n'ai jamais vu Marie assise en tailleur. Merci pour cette belle peinture.

Didier Goux a dit…

Laissez donc ce Bobin là où il est !

Anonyme a dit…

@ didier goux
Ce serait dommage ! Connaissez-vous les deux titres suivants (parmi les premiers de C. Bobin) :
- L'Enchantement simple
- Le Huitième jour de la semaine
Sinon, je comprends parfaitement que l'on n'aime pas Bobin :-) . Mais si cela vous est possible, pouvez-vous me dire ce qui vous déplaît en lui (d'après les ouvrages que vous avez lus) ?
Merci d'avance !

Sémiramis a dit…

Catherine, vous penserez à cette vierge en faisant votre yoga n'est-ce pas? Bonne nuit!

Sémiramis a dit…

Didier, je ne vous cache pas que j'en avais bien l'intention ;-) !

Didier Goux a dit…

Ma chère Élise, si vous voulez assister à une belle empoignade de haut vol, sans vouloir faire de la retape, c'est ici que ça se passe.

Vous verrez notre ami Jean-Baptiste y briller de tout son éclat...

Didier Goux a dit…

Je trouve Bobin niais et pontifiant. Une sorte de Paulo Coelho à la sauce hexagonale.

"Il singe la profondeur", comme disait Léautaud, à propos d'André Suarès.

Anonyme a dit…

@ Didier Goux

"Je trouve Bobin niais et pontifiant"

>>> C'est effectivement le genre de critiques qui a commencé à apparaître après le succès du "Très-Bas". Je peux en voir les raisons (même si je ne suis pas toujours d'accord, loin de là).
Sinon, très honnêtement, je ne crois pas qu'on puisse comparer Bobin à Coelho pour qui "tout le monde est beau, tout le monde est gentil". La vision de Bobin est beaucoup plus sombre (même si l'espérance tempère cet aspect)et bien plus exigeante. Surtout - l'écriture de Bobin est d'un tout autre niveau.
Mais je vous remercie beaucoup de m'avoir répondu.

Sémiramis a dit…

Didier,

J'avais pourtant prévenu JB contre les ruelles mal famées de votre blog ;-) ! J'en ai eu quelques échos par l'intéressé mais vous ne m'entraînerez pas dans la polémique. Je n'ai déjà pas beaucoup de temps à consacrer à tous les gens intéressants qui m'entourent, alors les abrutis je ne vais pas aller les chercher non plus!

Sémiramis a dit…

De Bobin, je me souviens avoir lu l'Homme qui marche et m'être dit que ça ne servait pas à grand chose, ce genre de bouquin (mais une fois encore, j'étais alors bien jeune!) En plus, c'est si vite lu!

Bonne soirée!

Didier Goux a dit…

Voyons, Élise, je ne cherchais pas à vous y entraîner ! Moi-même, du reste, suis resté très prudemment hors de portée des deux snipers...

Sémiramis a dit…

Pardonnez moi, cher ami, je ne suis guère polémophile...