25 août 2007

Simone Weil et l’intelligence transfigurée

En 1942, Simone Weil, en quête de réponses aux questions qu’elle se pose quant à la foi catholique, sollicite Jacques Maritain qui lui recommande le père Marie-Alain Couturier [1] , op. Elle lui écrit à deux reprises, en septembre, puis au mois de novembre - une longue lettre au ton abrupt et définitif, développant 35 points « de non-retour » quant à sa propre conception de la foi. Pour elle, il s’agissait de mettre à plat les obstacles conceptuels qui se présentaient sur la route d’un potentiel baptême. Baptême qui n’aura jamais lieu, et l’on ne s’en étonne pas à la lecture de ces pages pleines de feu et d’intuitions acérées, mais aussi de mauvaise foi et d’idées fantaisistes lancées avec fougue et conviction…


Au-delà des obstacles que peuvent représenter la partialité et le manque d’objectivité de Simone Weil, je voudrais me concentrer ici sur l'analyse du rapport entre foi et intelligence développé dans le vingt-sixième point [2] de la seconde de ces lettres. Ce texte très court - même pas deux pages - permet d'entrer dans la pensée de Simone Weil de façon intéressante car il expose sa théorie de l'âme. Il est peut-être nécessaire de rappeller ici que la philosophie de S. Weil, si elle vise avant tout à définir une vie politique acceptable, se fonde sur une métaphysique qui lui est propre. Au fil de son oeuvre éclatée et mal connue se dessinent une théologie, une cosmologie et une psychologie personnelles; en bref une métaphysique au sens classique du terme dont les axes principaux sont les suivants:
- Le monde créé est issu du retrait de Dieu qui a abandonné sa toute-puissance pour instaurer des mécanismes physiques, des lois naturelles qui régissent l'univers de façon nécessaire (Cosmologie). L'instauration de cette nécessité définie comme un "écran" est la condition de possibilité de la liberté humaine, qui se trouve comme "protégée" de Dieu et de sa gloire. La vie humaine a pour vocation de rejoindre l'ordre surnaturel - celui de la Charité - en renonçant à la volonté de toute-puissance et en se rendant obéissant à l'ordre naturel.
- Dieu est retiré de la Création et il se montre comme le souffrant, absolument obéissant: le Christ crucifié (Théologie). La théologie de S. Weil comporte de nombreux autres aspects qu'il ne semble pas utile de développer ici.
- L'âme humaine est le point de contact de l'homme avec le surnaturel, c'est-à-dire avec la "logique" divine, tandis que son corps est pris dans le réseau de nécessités de la logique naturelle (Psychologie). Cette théorie de l'âme implique une anthropologie que S. Weil développera en particulier dans ses derniers écrits, afin de déterminer les conditions de vie politique les plus aptes à favoriser l'épanouissement de la personne dans cet enracinement à la fois terrestre et surnaturel.
Le texte du paragraphe 26 de la Lettre à un religieux décrit d'abord la structure de l'âme humaine telle que la conceptualise S. Weil. Cette structure est fortement hiérachisée, et dominée par deux facultés principales: la "faculté d'amour surnaturel" qui constitue pour ainsi dire le sommet de l'âme, et "l'intelligence, qui est la plus précieuse après l'amour". Des autres facultés évoquées, S. Weil ne dit rien sinon qu'elles doivent avec l'intelligence se subordonner à la faculté d'amour. S'agit-il des fonctions vitales? S. Weil est peut-être trop anti aristotélicienne pour le reconnaître, mais peu importe pour le propos qui nous intéresse. La fonction de l'âme est donc définie, et ce de façon implicite, comme la zone de contact en l'homme entre le réel naturel et le réel surnaturel.
Si l'on admet que les facultés passées sous silence constituent celles qui permettent d'assurer la survie du corps au jour le jour, l'intelligence, quant à elle, permet d'appréhender la logique naturelle des mécanismes mondains. La faculté d'intelligence est définie comme "faculté qui permet d'affirmer ou de nier"; en d'autres termes, elle est assimilée à la fonction de jugement, de "prédication" qui permet l'identification du réel, sa désignation, la distinction entre vérité et mensonge. Quant à la faculté d'amour, elle est la plus élevée des parties de l'âme car elle est "la seule qui soit capable de contact et par suite d'adhésion" à l'égard des "mystères de la foi"; donc, des vérités de l'ordre du réel surnaturel.
Ainsi divisée, l'âme est conçue comme une structure dynamique orientée vers la faculté d'amour dominante; la vie de l'âme semble assimilée à une montée en puissance de sa capacité de contact avec le monde, de compréhension de celui-ci dans toutes ses dimensions (naturelle et surnaturelle) à travers un processus de transfiguration qui passe par la subordination à la grâce divine. Ainsi, on ne pourra pas penser la vie de l'âme sans l'enraciner dans la vie de l'Esprit - avec un grand E. Le rapport de la foi à l'intelligence n'est plus conçu comme un conflit de facultés adverses, mais comme une collaboration féconde entre faculté humaine et vertu qui vient de Dieu, et plus particulièrement de l'Esprit Saint, puisqu'il s'agit ici des vertus dites "théologales". La dynamique de l'âme passe par une mécanique des vertus théologales; celles que la théologie catholique affirme capitales pour la vie chrétiennes, car issues d'un don gracieux de l'Esprit Saint.
La vie de l'âme est conçue sous le mode de la finalité: S. Weil dit qu'elle est "orientée vers une transformation après laquelle elle sera tout entière et exclusivement amour". Cette téléologie de l'âme est soutenue par la vertu d'espérance. Cette orientation doit amener l'âme dans l'ensemble de ses parties à se "subordonner" à la faculté d'amour surnaturelle - autrement dit, à s'ordonner selon la charité. C'est cette subordination que S. Weil appelle la foi. Par le jeu conjoint des vertus théologales - Spirituelles et des facultés humaines, l'âme atteint sa plénitude dans "l'exercice de la faculté d'amour surnaturel", la charité. La psychologie de S. Weil rejoint ainsi admirablement le grand texte de 1 Corinthiens 13 par trop fameux. Le cheminement de l'âme vers cet accomplissement passe par un accomplissement de chacune de ses facultés "qui doivent y trouver chacune son bien propre".
Si donc "les mystères de la foi ne sont pas un objet pour l'intelligence en tant que faculté qui permet d'affirmer ou de nier", on conçoit parfaitement qu'ils soient l'objet de la contemplation de la faculté d'amour surnaturelle de l'âme. Est-ce à dire qu'il soit impossible de réfléchir sur ces mystères?
En fait, dans la grande tradition mystique à laquelle elle aime à se rattacher, S. Weil va décrire l'entrée dans l'intelligence des mystères de la foi selon le mode de la nuit spirituelle décrite par Jean de la Croix. La subordination à la faculté d'amour implique un dépassement des autres parties de l'âme - et particulièrement de l'intelligence qui est réduite au silence. Il faut laisser l'amour entrer en l'âme en abdiquant - temporairement - de notre pouvoir de juger. Cette épochè est bien entendue temporaire:
"Quand l'intelligence, ayant fait silence pour laisser l'amour envahir toute l'âme, recommence de nouveau à s'exercer, elle se trouve contenir davantage de l'umière qu'auparavant, davantage d'aptitude à saisir les objets, les vérités qui lui sont propres"
En laissant l'amour la transfigurer, l'âme accroît sa capacité d'intelligence du monde qui l'entoure tout en abordant les réalités surnaturelles. Cette découverte de la vérité du monde s'opère par un travail conjoint des facultés naturelles de l'âme et des dons surnaturels de la grâce, comme on l'a montré: on rejoint par là l'idée fondamentale de la liberté de l'homme devant Dieu, qui refuse de s'imposer à sa créature de peur d'en faire son esclave. En outre, ce processus est celui de l'accomplissement de l'âme qui développe ses facultés par l'entrée dans la mécanique des vertus théologales. L'homme donne un acte d'obéissance, et c'est Dieu seul qui accomplit cette subordination de l'âme à l'amour.
On retrouve la structure platonicienne de la pensée de S. Weil dans la description de l'état de l'âme bien ordonnée par l'amour. La simple contemplation amoureuse, qui ne cherche pas à saisir ni à comprendre, est bien l'état de la theoria, de la contemplation par-delà l'effort dialectique. Aussi S. Weil renvoit-elle à l'exemple du beau:
"De même, quand on fait parfaitement attention à une musique parfaitement belle (et de même pour l'architecture, la peinture, etc.), l'intelligence n'y trouve rien à affirmer ni à nier. Mais toutes les facultés de l'âme, y compris l'intelligence, font silence et sont suspendues à l'audition. L'audition est appliquée à un objet incompréhensible, mais qui enferme de la vérité et du bien. Et l'intelligence, qui n'y saisit aucune vérité, y trouve néanmoins une nourriture"[3]
Le mystère de la beauté se trouve ainsi rapporté au mystère de la foi, thème courant chez l'auteur, accentuant la touche platonicienne: le Kalon k'Agathon qui réduit au silence l'intelligence pour mieux l'éclairer. Ou: l'entrée de l'intelligence dans la gloire de la résurrection?

[1] Il s’agit de celui-là même qui fonda la Revue « Art Sacré » et qui sollicita Le Corbusier (couvent de la Tourette) et qui dialogua avec Matisse (construction de la chapelle du Rosaire à Vence)
[2] Lettre à un religieux, in Oeuvres, p. 1005-1006.
[3] C'est moi qui souligne.

16 commentaires:

Anonyme a dit…

Je viens de lire avec grand intérêt cette présentation de l'âme selon Simone Weil, ce qui suscite en moi moult interrogations, et autant d'étonnement ; au fond, cette partition de l'âme conçue comme intermédiaire entre ici bas et l'au-delà est tout ce qu'il y a de plus classiquement néoplatonicien, que ce soit chez Plotin / Jamblique ou chez Eckhart, Ficin, etc. Ce qui m'étonne davantage, finalement, c'est le fait que Weil maintienne l'idée même de l'âme au XXè siècle ; c'est en effet un terme considéré comme obscur, qui veut tout dire et son contraire dans la tradition (intellect, partie immortelle, principe vital, etc.) ; tu présentes l'âme de Weil selon sa "fonction" qui serait celle d'un point de contact, c'est-à-dire un point de passage, mais cela délivre justement sa fonction et non sa nature : qu'est-ce que l'âme pour Simone Weil ? Là j'avoue que ça m'intéresserait, indépendamment de la question "à quoi sert-elle ?" Je pose cette question parce qu'au fond, même l'idéalisme allemand, de Hegel et Schelling, a pris acte du kantisme et évite de parler de choses un peu vagues, dont l'âme fait figure de paroxysme (Hegel en parle dans l'Encyclopédie, mais il la définit très précisément, dans un sens très surprenant du reste). D'où mon étonnement très Aude Lancelin : "comment peut-on encore parler de l'âme alors qu'on est post-kantien!" Non, je plaisante, mais quand même : que signifie l'âme indépendamment de sa fonctionnalité ?

Anonyme a dit…

Je ne me lancerai évidemment pas dans les débats qui, chers amis philosophes, vous préoccupent. Je remercie juste notre Belle Lurette, de nous avoir proposé ce post sur la fonctionnalité de l'âme chez S. Weil qui nourrit intéressament la foi duchrétien !
Petit clin d'oeil à Vivaldi via la dernière citation de Weil : comme un avant-goût du Paradis !

Bien à vous tous.
FF.

Sémiramis a dit…

FF : oui, comme le chant liturgique préfigure celui des armées angéliques! Merci de ta fidélité!

Coincoin: A vrai dire je m'attendais à cette objection de ta part mais n'avais pas - honte sur moi - eu la rigueur de séparer la question de la fonction de l'âme et celle de sa nature. Je vais avoir besoin de travailler un peu pour te répondre...

Deux précisions toutefois, pour te faire "patienter":

- l'âme n'est pas précisément l'intermédiaire entre ici bas et au delà car cette division n'existe pas dans la philosophie de SW... Il n'y a qu'une seule création mais deux ordres de la nécessité : la nécessité naturelle qui correspond à la causalité physique, aux mécanismes naturels etc; et la nécessité surnaturelle qui correspond à l'amour de Dieu. L'âme est effectivement le "point de passage", la zone de "béance" pour ainsi dire qui ouvre sur le surnaturel.

- SW reprend de façon assez surprenante un concept usé et abusé par la réflexion catholique, passé à la moulinette thomiste etc. Or elle s'oppose toujours très violemment à toutes les formes d'aristotélisme et de thomisme. Cette utilisation d'un terme aussi connoté que, comme tu le soulignes, tout le monde évite de manipuler car il brûle un peu les doigts, signifie donc quelque chose - en fait soit l'une soit l(autre de ces deux alternatives, mais très honnêtement je ne suis pas très sûre de pouvoir affimer laquelle est la bonne:

- Soit le concept d'âme a un sens particulièrement construit dans sa pensée, qui se distinguerait nettement de l'anthropologie catholique qu'elle rejette en tant que fondée sur la scholastique (auquel cas il devrait y avoir des textes - ce dont je doute)

- Soit elle s'en fiche un peu et emploie le terme sans complexes. Voire même, elle le fait exprès! Elle en est tout à fait capable, la connaissant un peu...

J'avoue que je pencherais plutôt pour la seconde... La pensée métaphysique de SW n'est pas construite en tant que telle, il faut la recontruire entre les lignes. cela n'a jamais été sa priorité. C'est la réflexion sur la politique qui l'a amenée peu à peu à poser ces affirmations. Bon, je vais essayer de préciser un peu...

Anonyme a dit…

Ah; elle a fait sienne la maxime "de l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace !"

Merci pour tes précisions, Elise. Qu'as-tu pensé du petit texte hommage à Lustiger sur nezenlair ?

Sémiramis a dit…

Eh bien merci cher canard car je ne me trouve pas très précise en ce jour bien pénible.

En ce qui concerne ton post il est très intéressant et comme je suis toujours spamée sur NELR je m'en vais le commenter ici. La lecture de ton texte m'a tout d'abord donné envie de voir le film en question (si tu en es l'heureux propriétaire, merci de m'en faire profiter!). Belmondo en jeune prêtre (!) il ne faut pas louper ça!
J'ai été également heureusement surprise de cet hommage au Cdl. Je suis d'autant plus heureuse qu'écrire un texte comme celui-ci est probablement un des meilleurs hommages qu'on puisse lui rendre!
En revanche sur le propos j'aurais tendance à rejoindre la réaction de Camille: certes. Tu analyses bien l'inscription dans le récit évangélique de la passion des échos vétéro testamentaires, ok. Mais bon cette dimension ne dispense pas de commenter la portée théologique du cri (que tu caricature bravement)! L'évangéliste insiste lourdement sur le rapport entre ancien et nouveau testament. Fait numéro 1. Fait numéro 2: l'évènement de la passion est une rupture définitive dans la définition de la vie divine et humaine. C'est autre chose.

Finalement ton texte est charmant comme toujours, intéressant comme toujours, mais on a l'impression de prendre beaucoup de chemins détournés pour arriver à une conclusion qui n'épuise pas le sujet. Ceci dit je te renouvelle mes vifs compliments tant sur ta plume, que sur ton érudition et ta curiosité emprunte de bienveillance.

Good night!

Anonyme a dit…

Oui darling ; en fait le but du post était de désarmocer le caractère assez scandaleux du doute christique en ne le considérant justement plus comme un doute mais comme la reprise d'une tradition ; bref, d'une certaine manière, il lance ce cri comme l'on récite une prière en pareilles circonstances.

Anonyme a dit…

Je devais répondre à l'article d'Élise, mais je suis passer lire celui de coincoin ... Qui est très intéressant ! Bon, je ne sais plus trop quoi répondre.

En fait je n'ai pas suffisamment pensé la cri de Jésus sur la Croix, et ne connais pas suffisamment Simone Weil pour pouvoir donner une réponse intéressante aux deux articles !

Pour ce qui est du cri, je me demande s'il n'était pas nécessaire. La lamentation de David est celle d'un exclut temporaire qui doit réinvestir son peuple au travers d'actions mémorables. David se fait un nom. Il se fait un nom à l'intérieur de sa vie et de l'histoire de son peuple (Pères, mère). Il devait être abandonné afin de devenir, lui. Afin de ne pas se fondre en un peuple dans lequel l'homme est superflu. La lamentation de David doit-être celle de tous les juifs, c'est le moment dans lequel l'homme comprend qu'il ne constitue une histoire, qu'il se fait un nom, qu'il permet à ses pairs d'exister, en émergeant. Émergence d'un homme, des hommes, qui seule permet de créer un peuple, c'est à dire la réunion de plusieurs hommes autour d'une histoire (et non d'une humanité abstraite).

Si Jésus se sent abandonné n'est-ce pas pour pour achever son "humanisation" dans la mort ? À la fois rappel pour les fidèles des lamentations de David : vous ne vous constituerez comme peuple de Dieu que dans l'émergence en chacun de vous d'un homme. Mais à la fois abandon véritable : Jésus ne meurt pas comme symbolisation divine de l'homme, mais comme homme qui ne peut achever dans la mort son être en devenir qu'en étant distinct de l'être «ipsum esse subsistens» qui est pur devenir à chaque instant achevé et recommençant de Dieu. En abandonnant son fils sur la Croix, Dieu se fait homme, et permet à l'homme d'émerger. L'abandon est nécessaire.

On pourrait rapprocher cela du nécessaire, du moins me semble-t-il, sentiment d'étrangeté au monde que la découverte/mise-en-forme de soi impose. À retravailler quoi !

Pour ce qui est de l'article sur Simone Weil de cette chère Élise, je ne sais plus que dire, mon cerveau fatigue !

Je deviens monomaniaque et je commence à tous penser sous le projecteur de la parole, du devenir, de la confiance en Dieu ... Un peu de repos me semble nécessaire afin d'aborder cet article avec plus de distance.

Bonne nuit !

Sémiramis a dit…

Pour coincoin (pas le temps de répondre à JB!): Ok ok mais il est évident que cette phrase a été placée dans la bouche de Jésus par un des auteurs de la Passion. A mes yeux, il y a une chance sur deuc pour que cette phrase n'ait jamais été prononcée à ce moment (billevesées diraient Onfray, Jésus est un concept!). D'ailleurs ce n'est pas l'important: l'important c'est qu'elle figure dans ce contexte, et ce qu'elle suggère, tant sur le plan de l'unité des écritures que sur le plan du "concept" de Dieu.

Bonne journée!

Sémiramis a dit…

JB: Wahoooooooooooooooooooooooooooooooou!

Bon tout tes com me boostent pour la journée! Je passerai du temps ce soir à te répondre, là je vais aller boire un bon café car un devoir avec un grand CA m'appelle!

Merci aussi pour tes messages d'hier!

Bonne journée et Amitiés philosophiques

Sémiramis a dit…

En te lisant JB, un seul mot me vient: AMEN! Tu aurais fait un jésuite parfait.

je suis curieuse de voir que va penser Coincoin de tout cela.

Anonyme a dit…

Elise, le "cri" est également rapporté par Mathieu, si je ne m'abuse ; je n'ai pas ma bible sous les yeux mais je crois que ce n'est pas un caprice isolé de ce cher Marc (l'évangéliste)

Monsieur Camille,

Merci pour ta lecture. Je suis très séduit par ton interprétation qui est de résonnance hégélienne, puisqu'elle considère la nécessité, au sens fort, de l'humanisation du Christ, afin que Dieu fasse l'épreuve, au sens fort également, de l'altérité ontologique.

Cela étant, cette solution très intéressante ne résout que la moitié du dilemme : le drame est en effet double, car se jouant aussi bien du côté du Père (comment Dieu bon peut-il abandonner son Fils messie ?) et du Fils (comment le Christ, s'il est divin, peut-il douter ?)
Ce à quoi répond ton interprétation, c'est à celle portant sur l'action du Père : il a besoin d'humaniser son fils au maximum en l'abandonnant ; ce à quoi elle ne répond pas, c'est à l'ignorance du Christ devant les desseins du Père. En effet, l'humanisation du Christ ne peut être le fait de celui-ci, et ne peut provenir que de son Père, dans le cas très précis.

C'est la raison pour laquelle il me semblait indispensable, pour que cette ignorance du Christ devant les desseins du Père soit désamorcée, de penser la lamentation christique non plus comme un désespoir original mais comme une reprise presque liturgique, presque traditionnelle de la prière, afin de ne plus voir dans ce cri un scandale singulier mais l'inscription du Christ dans la tradition de son peuple.

Cela étant, ce passage me convainc de plus en plus du fait que le Christ n'ait pas eu conscience de sa divinité avant sa mort.

Sémiramis a dit…

Et voila Coincoin on se lance dans ce que tu n'abordais pas dans ton article: l'impact et le sens de la passion au coeur de la vie divine... du concept même de Dieu!

Ton raisonnement de départ est juste, je pense: l'Incarnation est suscitée par le désir de Dieu de l'altérité humaine dont la liberté - qu'il a lui même voulue - lui échappe. Ok pr le mécanisme hégélien.

Mais il me semble que tu prends le problème à l'envers à propos de la Passion. Il y a effectivement un double drame.
Cependant il est difficile d'imaginer que le Père "abandonne" le Fils. Cet abandon n'est pas autre chose que le constat de l'impossibilité pour le Père d'intervenir dans l'histoire. C'est pourquoi je pense que SW a raison quand elle dit que Dieu a abdiqué de sa toute puissance pour donner au monde la causalité naturelle. Quant le Christ s'incarne, il éprouve jusqu'à la mort cette causalité dans laquelle Dieu n'intervient pas.
Je pense que le moment de la passion a été quelque chose d'atroce car le Père, consubstantiel au Fils, a éprouvé sa mort mais ne l'a pas vécue puisqu'il n' pas de corps! Dieu a vécu une déchirure interne sans pouvoir se défendre...

La passion ne correspond pas à un "dessein" du Père: elle correspond au moment de l'épreuve pour le Père et pour le Fils. Penser que Dieu a des "desseins" rend très difficile l'idée de la liberté...

En défintive tu inverses la logique en disant que le Père "a besoin d'humaniser son fils au maximum en l'abandonnant": ce n'est pas l'abandon et donc la mort qui humanise, c'est au contraire l'humanité qui créé la fracture et donc ce qui apparaît comme "abandon" et qui est rattaché par les écrivains des évangiles à la tradition juive. Dans le cas contraire, ce que tu supposes, Dieu voudrait la mort de Jésus pour accomplir l'humanité en lui. Ton raisonnement ne tient pas car en l'incarnation du Christ suppose sa mort dès le début!

Ce qui créé l'abandon, ce n'est pas la mort c'est la CRUCIFIXION: la haine, la violence, la souffrance. Si Jésus était mort dans son lit les choses auraient été différentes...

Finalement la question de la conscience du Christ est fort délicate. J'avoue que je n'ai pas trop d'avis sur la question et quand j'essaie de me représenter la chose je suis prise de vertiges. Je vais donc laisser le soin de ce débat aux philosophes modernes de la conscience. C'est un point sur lequel la philosophie pourrait nourrir la réflexion de façon décisive. N'oublions pas que la vérité est en processus de révélation....

Anonyme a dit…

«Dieu a vécu une déchirure interne sans pouvoir se défendre...»

Lumineux !

Sémiramis a dit…

Apporte nous encore tes lumières Monsieur Camille...

Au fait je t'attends pour te le top départ de notre joute amicale...

Anonyme a dit…

Elise, je viens de découvrir cet article.
L'idée que "Le monde créé est issu du retrait de Dieu " est typique de la mystique juive. J'ai retrouvé un texte de Marc-Alain Ouaknin qui en parle. Il est extrait de son ouvrage "TSIMTSOUM", Introduction à la méditation hébraïque, dont je vous cite ces quelques phrases :
"Une image : Dieu se retire de lui-même, en lui-même, pour laisser la place à l'Autre, à la création et à la créature. [...] Le Tsimtsoum est création de distance, de la religion proprement dite comme séparation, comme transcendance".
Cette conception de Dieu qui crée - en se retirant - est-elle compatible avec la vision chrétienne de la création ?

Sémiramis a dit…

Chère Geneviève,

Je sais que vous êtes partie pour quelques semaines mais j'avais laissé traîné cette réponse et m'en excuse!

Merci pour votre remarque qui m'intéresse vivement car je ne connais absolument rien au judaïsme. Mais les commentateurs de SW ont noté cette concordance entre certains éléments de sa pensée et la mystique juive, notamment la kabbale - lors même que SW était carrément hostile au judaïsme et qu'elle n'avait aucune culture juive, voire des a priori plutôt surprenants théologiquement parlant!

Je pense que cette conception est tout à fait compatible avec le christianisme. Mais nous en reparlerons!

Bonnes vacances. Je n'oublie pas que je dois aussi prendre du temps pour répondre au débat sur l'amour... vaste sujet!