23 juillet 2007

Comme dans un tableau impressionniste

Samedi, nous avons profité du beau temps et de la mobilisation masculine autour de la moisson, pour aller nous promener entre filles maman et moi. Le petit village de Grignon (45), entre Lorris et Bellegarde, organisait une grande fête autour du Canal d'Orléans.


Ce canal, rejoignant au nord de Montargis celui de Briare - bien plus fameux, constitue en aboutissant au Loing un point de passage entre vallée de la Loire et vallée de la Seine: chargé donc d'enjeux économiques à une époque où les transports routiers étaient pour le moins laborieux. Un patrimoine que le département entend exploiter et réhabiliter afin de séduire les parisiens et les touristes amateurs d'aventures à la fois culturelles et bucoliques. Bonne opération séduction donc que ce week-end de fête aussi sympathique qu'instructif.


Le village de Grignon constituait pour ainsi dire une place névralgique sur le tracé, situé au coeur du "Point de partage" entre les deux vallées, zone d'approvisionnement en eau essentielle pour assurer suffisamment de force au courant...


Dans le village se situait les locaux administratifs, dans une belle maison de maître XVIIIème (avec un remarquable pigeonnier).


Mais le site est surtout connu (localement il va de soi) pour ses trois écluses dont l'architecture est remarquable. Ces ouvrages de génie civil des grands siècles constituent décidément un patrimoine inestimable!


Mais le patrimoine ne se limite pas aux monuments. C'est toute une mémoire collective qui était sollicitée de façon intelligente pour cette fête dont la première édition proposait des animations d'anciens métiers, concerts de groupes de mariniers, exposition historique et sociologique, promenades guidées dans le village, et pour couronner le tout un grand spectacle son et lumière!
Le village était bouclé et l'on se promenait tranquillement au milieu de réminiscences parfois amusantes de ce passé révolu.


Nous avons dîné de moules frites au bistrot de la berge, anciennement dénommé... "l'Assurance contre la Soif"! Dans cette ambiance festive, entourés de badauds et bercées par les chants d'un groupe de mariniers, nous nous sentions comme dans un tableau impressionniste.



Je ne peux pas ne pas profiter de cette ambiance marinière pour tirer mon chapeau à Bruno, le chéri de mon amie Christelle, qui a monté une entreprise de construction de bateaux de Loire traditionnels et de promenades autour de Chateauneuf sur Loire. Pourvu que le vent qui tourne le tourisme régional dans le sens du fleuve royal et de ses patrimoines lui soit favorable...

La moisson, comme si vous y étiez!

Pour papa (hommage) et pour Chloé (dommage) !

Petits veinards, aujourd'hui je vais vous faire partager une des joies les plus sublimes de l'existence: monter sur une moissonneuse qui moissonne un champ. Ben oui, pour de vrai, et gratos en plus. Bon, vous êtes prêts, ready, aware? Go!
Le lieu, le voici:

Une modeste parcelle de blé dur (celui qui sert à faire des pâtes et de la semoule), située en bordure de forêt - c'est-à-dire en terre sableuse, humide sur les bordures, sèche au soleil. Le blé a souffert de la sécheresse précoce, puis des averses violentes: il est couché et ne laisse pas augurer d'un résultat formidable.
Admirez au passage la splendeur du paysage, entre Beauce et Orléanais, où le ciel se déploie majestueusement.

La bête, la voilà:

Le quasi dernier cri de chez John Deere, magnifique, et aux commandes, le héros du jour et de toujours, papa, communément appellé Etienne. (applause!)
Un bon ouvrier a de bons outils, un paysan joue une année de travail en quelques jours de moisson: mieux vaut mettre toutes les chances de son côté avec une machine performante. Celle ci a trois ans, abrite 300 chevaux (oui, oui, ça fait 50 fois ma Punto!) valeur à neuf 180 000 euros. Oui, vous avez bien entendu, c'est effectivement le prix de votre appartement.
C'est pour cela que papa possède cette machine en coopérative sous la forme d'une CUMA: Coopérative d'Utilisation de Matériel Agricole. Le principe est simple: 4 gars ou plus achètent en commun un outil et règlent selon l'utilisation qu'ils en font. Le but du jeu: réduire les investissements bien sûr, et par là se donner la possibilité de travailler avec des outils plus performants.
Mais aussi travailler en groupe, développer une solidarité et un lien dans un métier où l'on se retrouve rapidement seul face à son tracteur. Car le grand enjeu est d'utiliser en commun les outils, étant entendu que tout le monde a besoin des mêmes appareils au même moment... Réquisit: un minimum d'organisation et pas mal de bonne volonté!
Ici, le cas est exceptionnel puisque papa moissonne avec 4 collègues! Un total de 330 hectares. Une chose inconçevable pour beaucoup de paysans qui mènent leur barque (et leur moisonneuse) seuls: le pari était osé et ça fonctionne! Les cumistes se retrouvent le matin pour graisser, nettoyer et réviser la machine. Un roulement s'effectue dans la journée entre conduite de la machine et livraisons du grain à la Coopérative ou encore stockage dans les fermes. Ainsi, les journées sont moins longues et les pauses sont permises pour manger!
Mais revenons à notre affaire.
Avant de commencer une parcelle, il faut réaliser un échantillon de grain afin de contrôler l'humidité. On va choisir alors un coin du champ représentatif et faire quelques mètres. Auparavant, Papa règle la machine: c'est technique!

Pendant ce temps, ses collègues sont dans l'expectative.

Et c'est parti!


Ensuite, papa grimpe sur le toit pour aller récupérer l'échantillon dans la réserve de grain que l'on appelle d'un nom rigolo, la trémie. Il mesure l'humidité grâce à un petit appareil, mais le diagnostic est peu sûr. Il indique 11.2 ou 15.4.
Les hommes décident de commencer la récolte de la parcelle pendant que l'un d'entre eux ira porter l'échantillon à la coopérative pour confirmer le verdict par téléphone portable (cet engin a lui aussi bien facilité le travail des moissonneurs!)

On avance donc. Mais quelques mètres plus tard, il faut s'arrêter: des mottes de terre on été ramassées par la coupe. Etant donné du fait que le blé est couché, la coupe rase plus la terre qu'en temps normal... Papa descend et déblaie tout ça.

Mais les soucis techniques ne sont pas terminés! Les moissonneuses ne tournent que quelques jours par an, et ce de façon intense. Une panne est un drame! Et de nombreux pépins surgissent. Ici, le coupable est un des couteaux de la coupe qui s'est cassé, et ça fait un drôle de bruit. Papa a l'oreille, un coup d'oeil sur la coupe au bout du champ, et le problème est identifié! Zou, on s'arrête.

Tout est prévu!

Papa, il est trop fort.

Les couteaux fonctionnent comme des ciseaux et sont très tranchants. Plus en détail, voici la coupe: sur l'image ci- dessus vous voyez bien les rabatteurs, et les couteaux. ci-dessous le tambour et derrière le convoyeur. Impressionnant, non?

Allez papa, un dernier effort, et c'est reparti!
Je passerai bien la soirée là, moi, et je rêve de repartir faire des vendanges et mille travaux agricoles fatiguants mais O combien épanouissants. En attendant, je vais rentrer faire à manger!

La poussière de blé, ça pique les yeux et ça fait éternuer. Vivent les cabines climatisées! Et les chaumes, elles, me piquent les petons. Vite, mon vélo!

22 juillet 2007

Summertime is summertime


Malgré le temps instable, plus de doute possible: c'est l'été, c'est les départs en vacances, c'est les mioches au centre aéré, et surtout, c'est la moisson! Des horaires décalés et pas mal de temps en famille pour tenir le rythme durant cette période intense, suspendue aux caprices de la météo.
Pas trop de champ libre donc pour vous causer de tout ce qui m'enthousiasme en ce moment, d'ailleurs je baigne dans l'enthousiasme car l'été est la saison que je préfère, même quand il est pourri notez bien.
L'été, c'est la saison des fêtes de village et des balloches, des polars lus d'une traite en une seule nuit, des retrouvailles avec les vieux amis et les livres préférés, lus et relus, des journées interminables, des Picon bières et des Martini, des tomates et du basilic.
On est détendu, le monde tourne à l'envers, et c'est bien bon. Tellement que j'en ai plein les mirettes!
L'actualité éditoriale recèle en outre une excellente surprise en cet été 2007: la réédition par le Cerf des lettres de Jourdain de Saxe à Diane d'Andalo, livre fort convoité que j'ai commandé aussitôt. Je l'attends impatiemment et je gage que vous entendiez parler d'ici peu de temps...
Quand je pense qu'il y a des gens qui s'ennuient...

16 juillet 2007

Retour (aux sources)









Pamproux, Deux Sèvres, le village de ma famille maternelle - Le nom de ce village vient de la feuille de vigne, le pampre!
1- Vue de l'église saint Maixent et du prieuré depuis le village de saint Martin
2 - Vue des maisons de la rue de saint Martin depuis l'autre rive du Pamproux (c'est une rivière qui prend sa source au village et se jette dans la Sèvre Niortaise vers Saint-Maixent)
3 - Vaches en pâture près du moulin
4 - Vue du lavoir de Chabanne, sur le Pamproux - C'est ici que j'ai passé de nombreuses heures à barboter dans ma folle jeunesse, quoique l'eau soit glacée (c'est une des sources du Pamproux qui jaillit à cet endroit)
5 - Modillons du clocher de l'église paroissiale

08 juillet 2007

Relâche


Pause syndicale: je suis en vacances jusqu'à la semaine prochaine au fin fond des Deux Sèvres. Pas de publications donc, mais mon temps libre me permettra peut-être de rédiger par avance quelques articles en gestation depuis longtemps...
Je souhaite à tous mes lecteurs une belle fête de 14 juillet avec de très jolis pompiers et plein de flonflons, et me souhaite à moi-même un peu de soleil...

05 juillet 2007

L'impossible justice rétributive

Réunion aujourd'hui de "démultiplication" auprès des "collaborateurs" des informations concernant la nouvelle convention collective. Très attendue par l'ensemble de mes collègues et par moi-même. Mon syndicat a voté pour cette convention - un an de négo! - et ce que j'en sais m'apparaît positif.
Au-delà, une question me taraude actuellement, celle du juste salaire.
La réflexion s'était déjà imposée à moi durant les débats des présidentielles, avec la fameuse question de la pénibilité soulevée par S. Royal, le "travailler plus pour gagner plus" de Sarkozy. Plus je réfléchis, plus je me dis qu'un salaire est foncièrement injuste, en soi, par rapport aux autres, par rapport à la valeur des choses. De fait, la justice n'est pas de ce monde, et vouloir l'instaurer n'est finalement que la marque d'un messianisme humaniste bien dépassé depuis que le marxisme s'est cassé la gueule. L'argent ne constitue ni une récompense ni un fléau, simplement un moyen et il faut accepter définitivement que sa répartition est et sera toujours injuste! Malgré tout, il est nécessaire à l'équilibre de l'humanité de poursuivre la quête de la justice et d'affiner sans cesse un travail d'ajustement voué à l'échec.
Vanité des affaires des ce monde!
Je suis totalement fascinée depuis que je travaille en entreprise par le nombre de critères qui entrent en compte dans le calcul de ma rémunération. Lorsque j'étais étudiante, et que je travaillais durant les vacances, je prenais mon salaire comme une bénédiction du ciel, une grâce à laquelle j'avais collaboré le plus saintement possible, qui me permettait d'assumer mes choix collatéraux. Jamais je n'avais imaginé les infinis calculs cachés derrière cette fiche de paye où seule nous attire la case en bas, à droite... Tous ces critères, et une impossible justice!
Bref, pour résumer, de nouveaux critères qualitatifs vont entrer en compte dans ma rému. le système de rémunération conventionnelle est encore plus complexe: RCE, RCI, RCP + DI, et je ne parle que de la rémunération conventionnelle! Après il y a la RNC, la rému non conventionnelle. Beaucoup de complications pour quelques euros de plus qui ne changeront pas la donne. Globalement, les salaires vont augmenter de... 6%. 6% de pas énorme, ça fait un peu moins pire, c'est-à-dire, concrètement, 36 euros BRUT sur un mois... On aurait parfois l'impression d'être pigeonné moyen.

04 juillet 2007

Anna Karénine, décadence et conversion

"N'ai-je pas cherché de toutes mes forces à donner à ma vie une raison d'être? [...] Mais j'en suis venue au point de ne plus pouvoir m'illusionner. Suis-je donc coupable, si Dieu m'a créée avec le besoin d'aimer et de vivre? Et maintenant?" [1]
Je viens de terminer avec exaltation Anna Karénine. Depuis longtemps, je contemplais avec gourmandise ce gros volume avantageusement exposé sur le rayon russe de ma bibliothèque, et soupirais en attendant le moment propice, le fameux moment où l'on sent qu'il est temps d'ouvrir ce livre, là, maintenant, tout de suite, et de se mettre à lire avec bonheur et frénésie.
Premier constat, étonnant: Anna, contre toute attente, n'est pas l'héroïne du roman. Le point de départ, voulu par Tolstoï, était bien avec elle le personnage d'une femme adultère - d'ailleurs pensé originellement comme une cocotte, bien loin de la conscience morale et de la délicatesse d'Anna. Mais il est clair que le projet d'écriture fut vite débordé par le génie littéraire de Tolstoï, et ce qui devait être un roman moral et même moralisateur se transforme en une merveilleuse fresque familiale, portant une réflexion infiniment riche sur le statut du couple dans la communauté sociale.

Car les véritables héros du roman, ce sont les couples, à travers un jeu de chassé-croisé et d'échanges entre Anna, son mari (Karénine) et son amant (Vronski) - tous deux prénommés Alexis, comme par hasard; Kitty, son mari Kostia Lévine, et son amour de jeunesse Alexis (Vronski); Dolly (soeur de Kitty), affublée du pitoyable Stepan Oblonski (frère d'Anna): le triangle du couple Oblonski étant complété par les maîtresses de ce dernier... Ajoutons à cet imbroglio dont, je vous assure, on se sort parfaitement bien au fil des pages (et encore, je vous ai épargné les noms patronymique!), l'étrange et désincarné couple formé par le mari Karénine abandonné et la comtesse Lydie.
Anna ne représente finalement que la monade qui permet au lecteur d'entrer dans un univers passionnant, dont les traits, bassesses et grandeurs, sont rendus avec magie par la plume tolstoienne, mordante et impitoyable mais pleine de tendresse. Au tissu formé par les couples, il faut ajouter, indispensables dans la construction du roman, les enfants de chaque union. On pourrait passer une vie entière à disséquer et analyser cette magistrale leçon de littérature. Je me contenterai pour ma part de rassembler quelques idées pour vous proposer quelques pistes de lecture.
La trame de fond qui sous-tend les rapports des personnages est celle de la comédie sociale, du théâtre mondain - et, de façon plus spécifique, urbain. Cette idée directrice dans l'écriture de Tolstoi est rendue manifeste par la scène si fameuse où Anna, toujours mariée, vivant avec son amant, prend la décision d'aller au théâtre et doit subir l'opprobe de tous. Le jeu entre les différents couples est passionnant, jeu de miroir et d'oppositions.
Tolstoï peint avec complaisance le personnage de Lévine, qui incarne son propre personnage: le gentilhomme rural, inapte à la vie mondaine avilissante. D'une manière générale, le roman est construit sur une opposition ville/campagne au bénéfice évidemment de cette dernière. D'une grande rigueur morale, Lévine n'échappera pas aux sirènes de la corruption sociale - dès qu'il s'installe en ville, pendant les couches de sa femme Kitty. Malgré tout il incarne l'homme moral, l'homme vrai, à l'extrême inverse de son meilleur ami Stepan Oblonski, homme de plaisirs et d'indignités.
Au couple "idéal", sincère et vrai, que forment Kitty et Lévine à la campagne, s'oppose le mensonge permanent du couple de Dolly Oblonski. Stepan Oblonski trompe sa femme au su de tous, et le roman s'ouvre sur la découverte par la pauvre Kitty de l'infidélité de son époux. Malgré cela, le couple Oblonski n'est pas socialement remis en cause - il est normal qu'un homme trompe sa femme, devenue bien trop mère, et trop peu maîtresse. Il ne reste à Dolly que l'amour maternel.
Il en va bien autrement du couple Karénine. L'apparition de Vronski dans la vie d'Anna correspond à une libération, à une révélation de la vraie nature de l'amour, par rapport au mensonge permanent que représente son mariage avec Karénine. Tout comme Dolly, Anna Karénine ne vit que par et pour son enfant, Serioja. Emportée par sa passion pour Vronski, elle abandonne son fils et perd toute notion de l'amour maternel - elle sera incapable d'aimer sa fille, enfant de son adoré Vronski! Mise au ban de la société, Anna n'a plus au monde que son amant, et elle s'enferme dans un jeu constant de séduction qui n'est qu'un mensonge de plus - et qui rend finalement le personnage bien peu sympathique. Même sa vie campagnarde sonne faux, aux yeux de Dolly venue la visiter:
"[...] la jeune femme, après s'être un peu reposée, retourna au jeu et feignit de s'y amuser. Durant toute cette journée, elle se donnait l'impression de jouer la comédie avec d'autres acteurs, qui tous lui étaient supérieurs, et de gâter le spectacle par sa mauvaise interprétation" [2]
Anna construit un mensonge autour de sa relation avec Vronski, et elle cherche à l'enfermer avec elle - ce pour quoi il ne se laisse guère manier, et la seule issue sera ce suicide spectaculaire à la gare. Le discours moralisateur que laissait présupposer l'épigraphe [3] gît-il dans une apologie ironique de l'ordre social? Finalement, Anna a voulu fuir un mariage qui était une comédie, et une vie baillonnée, un renoncement à l'amour autre que maternel. Se donnant corps et âme à Vronski, elle entre dans une autre mise en scène de soi, obsédée par la peur de l'abandon qui réduirait sa vie à néant. Dolly, quant à elle, se maudit de sa lâcheté envers son minable époux, mais n'ose rien décider.
A mon sens, le roman va plus loin. On pourrait croire - c'était du moins ce que je croyais - qu'il allait s'achever avec la mort d'Anna, tragique apothéose de la passion destrucrice. Mais il n'en est rien; Tolstoï choisit de mettre un point final au récit avec la surprenante et émouvante confession de foi de Lévine, le gentleman paysan philosophe, athée et sceptique. Au couple passionnel voué à l'échec, allant contre les conventions, répond le beau et simple mariage d'amour de Lévine et Kitty [4]. Une demande en mariage muette inoubliable, à l'image de cet amour silencieux qui porte du fruit [5].
Ainsi, le sens moral du roman siège bien ici: dans cette description des mécanismes qui vont pousser un être vers le péché et la déchéance, coupé des autres et de Dieu, ou bien vers la foi et l'épanouissement au sein de la communauté humaine. Ce que Tolstoï veut montrer, et ce qu'il réussit parfaitement, c'est le rôle écrasant des convenances sociales dans ces processus... La lectrice contemporaine d'Anna Karénine peut imaginer ce qu'aurait vécu Anna aujourd'hui: un banal divorce, famille recomposée. Aurait-elle été plus heureuse? Elle se serait probalement moins culpabilisée...

Au fil du roman s'entremêlent les deux parcours d'Anna et de Kostia Lévine. Pendant qu'Anna se replie sur sa souffrance, sur le désir de retenir Vronski, et s'enfonce bien magré elle dans le mensonge - jusqu'au péché absolu du suicide, Lévine entre patiemment dans le mystère de la vie et de la mort, cotoyant son frère mourant et la venue au monde de son fils Mitia.
Patiemment, enseigné par sa femme dont il reconnait qu'elle a, comme toutes les femmes dit Tolstoï, une conscience innée de la vie et de la mort - qui lui font si peur, Lévine s'ouvre à l'existence des autres: le souffrant, le nouveau né, chair de sa chair. Au terme d'un parcours artificiellement décrit [6] mais néanmoins très expressif, Lévine découvre le vrai sens du mot Foi. Avec beaucoup de délicatesse, Tolstoï laisse son avatar conserver dans son intimité cette révélation. Sa confession de foi sera pour le lecteur, formidable conclusion d'une grande réflexion sur la décadence et la conversion.
[1] Anna Karénine, Classiques de Poche, p. 366
[2] Ibid. p. 772
[3] Issue de l'épître au Romains XII, 19: "c'est à moi que la vengeance appartient dit le Seigneur, c'est moi qui rétribuerai"
[4] Alors que Kitty avait d'abord éconduit Lévine, amoureuse du léger Vronski!
[5] Cf. p. 500 et sq.
[6] Cf. p. 953 et sq.
Ill: Ingres, portrait de Mme de Broglie.

03 juillet 2007

Embourgeoisement

Camille nous avait pourtant prévenus, les soldes s'annonçaient mal cette année! Malgré tout, cédant aux sirènes de la consommation triomphante, et à la douce perspective de baguenauder avec ma chère Gégé, je me suis lancée dans une grande opération de prospection avisée.
On commence par les classiques de la jeune femme encore un peu jeune fille, ayant des prétentions non seulement à la mode mais aussi à l'élégance; entendez par là un budget moyen de 100 euros pour une tenue habillée, 50 pour du quotidien. Ca tombe mal, pour moi c'est habillée tous les jours - sans toutefois être endimanchée. Subtilité...
Nous partons donc à l'assaut de Naf Naf et de la City. Trop dépitées, nous ne poursuivîmes pas jusqu'à Promod, H&M et autres Etam. Car pour ce qui est de concilier mode et élégance, c'était loupé. Des motifs atroces que même ma grand-mère n'oserait plus porter, des coupes à la structure ésotérique, des matières cheap déprimantes. Le gris souris bouffant autour des hanches, ça vous donne une classe d'enfer quand vous êtes vendeuse dans un concept store parisien, que vous pesez 35 kilos toute mouillée et que vous pouvez l'assortir avec des leggings carotte. Mais euh, permettez moi de douter.
Survolant d'un oeil altier les rayons horriblement bigarrés et mémérisant, j'attrape une robe rigolote pour le fun et me dirige vers les basiques.
Là, cruel dilemne: quelle taille emporter dans la cabine? On ne se rend pas compte de la complexité de l'existence. Figurez vous qu'un pantalon taille haute bien coupé me va parfaitement en taille 36. Par contre un taille basse appellera sur mes larges hanches un 40. Quand aux pantalons droits (je n'ose même pas imaginer le concept de "slim" sur mon corps qui ne l'est pas), ils me donnent l'air d'un knacky miraculeusement échappé des rayons de Carrefour qui, ça tombe bien, sont juste à côté.
Alors, entre problème de coupe, de taille, de couleur et de matière, je me sens un peu comme Hamlet devant le mystère de l'existence. Qu'importe, après tout, je mise sur le 38 (mauvaise idée...)!
Après un échec total je me rabats sur un classique de la femme busy et sexy: le tailleur jupe. Je trouve un assortiment sympa, veste 40 et jupe 44. C'est drôle, elle m'a l'air bien étroite pour du 44. Euh, 44 ça fait combien de tour de hanches ça? Mais enfin, c'est scandaleux, pourquoi un 44 me boudine-t-il autant? Pendant que la vendeuse m'explique complaisamment que c'est parce que le tissu contient de l'elasthane, et que c'est pour marquer les formes (j'avais pas compris, tiens), je me rebelle inérieurement. Non mais, jusque là, mes cuisses et moi entretenions des rapports amicaux fondés sur une estime réciproque. Je m'en voudrais de briser cet état de grâce à cause d'une jupe moche et mal coupée. Ma décision est prise, je remballe.

Eh oui ma vieille Elise, tu t'embourgeoises. On prend un sacré coup de vieux le jour où les soldes de Naf Naf vous dépitent, et que le salut se trouve chez 123. Je crois qu'un pas est franchi: j'ai enfin compris qu'il fallait que je m'habille dans les magasins pour dame, ceux où les robes arrivent à peu près au genou, et où les pantalons ne baillent pas ou niveau du string. Le royaume des jupes tulipes qui tombent délicatement sur les hanches, des chemisiers vaporeux en soie qui ne se lavent pas à la machine, des cabines d'essayage où l'on croise des dames BCBG et des étudiantes en fin de cursus qui cherchent le tailleur de leurs premiers entretien d'embauche. Donc, je repars avec cette jupe en soie noire magnifique, et ce chemisier en lin bien emboîtant. Il me reste les chaussures, et les sous-vêtements...
Embourgeoisement...