26 mars 2006

HoMo XeRoX ou comment faire preuve de courage dans ce monde de brutes

A C.C. : Homo XeroX!

Convié par Chloé Chevalier, chef de chœur de son état et grande amie, à l’opéra de Tours, c’est sans a-priori que j’ai abordé cette soirée. Bon, j’avoue, étant invité à un programme contemporain, je m’attendais à quelque chose d’assez conceptuel ! Du reste, nous avons été servi…
Le thème du (de la/de cette) spectacle/performance/foutage de gueule/merde (rayer les mentions inutiles) n’importe pas ici. Pseudo mise en abîme d’extraits de Nietzsche couplée à une chorégraphie venue d’ailleurs, une musique à laquelle on ne peut se raccrocher et des chants inharmonieux, cette « chose » ne tire d’elle même qu’un seul intérêt (en sus du fait qu’on peut jeter des regards complices et amusés à sa voisine de gauche) : celui d’éprouver une vertu quelque peu désacralisée de nos jours, le COURAGE. Pour ceux du fond qui se demandaient encore à quoi servait l’art contemporain, voici un élément de réponse.

De là, deux façons de se montrer courageux :

La première, jouissant d’un petit succès dans les parterres (je n’ai pas pu observer ce qui se passait dans les balcons mais je suppose que les réactions sont assez équitablement réparties), est de partir au beau milieu de la représentation dans un plus ou moins grand fracas ; les mieux placés pour ce genre d’action étant ceux placés en plein centre de la rangée. Le tout étant de se décider à s’en aller dans un moment relativement calme dans le spectacle, se lever assez rapidement pour que le fauteuil se referme avec fracas et dans un mouvement ample, remettre son manteau , prendre son parapluie (les nuits tourangelles sont arrosées ces temps-ci) et d’affronter simultanément tous ses voisins pour qu’ils vous laissent évacuer. Du reste, il ne vous reste plus qu’à passer la porte de la salle que vous aurez soin de claquer subtilement. Vous aurez ainsi éprouvé votre courage pendant les quelques minutes qui auront suffi à exécuter votre plan de fuite.

Plus éprouvante pour votre vertu, la seconde méthode n’a pour seule difficulté physique que de rester assis sur son fauteuil pendant les quelques deux heures et des poussières de représentation. Poussés par l’impératif de l’article à écrire sur le-dit spectacle par ma comparse, nous avons opté pour cette solution. Ayant décroché de l’intrigue (euh, il y en avait une ?) au bout de vingt minutes, j’ai pu alternativement me pencher sur mon chèche fraîchement acheté, me gausser avec ma voisine, observer les représentants du premier groupe quitter la salle, regarder d’un œil les inepties contemporaines perpétuées sur scène… Mais, malgré ce large éventail de choses pouvant m’occuper, il a fallu supporter la musique lancinante, les décors et les effets de lumières psychédéliques, les chants, dialogues et autres pollutions sonores… et ceci pendant plus de deux heures ! Il faut donc pouvoir démontrer un courage important pour surmonter ces épreuves et l’ennui inhérent à ce genre de prestations. Du reste, il faut en sus se jouer des regards assassins de la femme assise juste devant nous. Cette même dame nous a même gratifié à la fin de la représentation d’une remarque acide :
>LA DAME : (acide) Vous auriez pu avoir la décence de partir.
>CHLOE : Nous aurions bien voulu mais j’ai un article à écrire et je devais rester jusqu’à la fin !
>LA DAME : (à la limite de la révolte) Eh bien vous auriez pu au moins vous taire. (se retourne)
>CHLOE : Eh pourtant, nous avons essayé !
Il faut croire que le courage est bien peu valorisé dans nos salles de spectacle...

Enfin, toute cette merde contemporaine s’est quand même achevée par de grands applaudissements couplés à des « BRAVO » répétés et sortis d’on sait quelle bouche ignare.

Les gens sont bêtes…

25 mars 2006

Alzaia ou "les cordes sont faites pour être patientes"

Extrait de Alzaia, voici telle-quelle une digression de l’auteur sur le système judiciaire. Cet ouvrage est en fait un recueil de « cent et des poussières » d’articles d’Erri De Luca parus dans le quotidien italien Avvenire sous forme de pseudo-éditorial, placés en colonne sous le titre du journal. L’auteur y laisse vagabonder sa pensée sur des thèmes les plus variés, souvent en s’appuyant sur une phrase, une citation, un vers, un extrait de livre saint…
Choisi tout à fait au hasard dans les vastes rayons du Livre par une main des plus douces et innocentes, ce livre a, faute de faire partie de la grande littérature, ce soupçon d’intelligence qui fait d’un court article un grand sujet de réflexion pour son lecteur.
Tout les articles ne sont bien sûr pas d’un niveau olympique mais on dégage de cet ouvrage une impression des plus plaisantes.
A vous de juger…

<< « Le principe par lequel je décide, le voici : la faute est toujours certaine. » Cette phrase, prononcée par l’officier à l’adresse de l’explorateur, est extraite du récit de Kafka, La Colonie pénitentiaire. Elle concerne le condamné qui doit subir le supplice de la machine. Je crois que cette déclaration est à la base de notre pratique pénale, en dépit de la reconnaissance formelle de présomption d’innocence, établie par le code. Pour le magistrat enquêteur, l’inculpé est par définition coupable. La vérité n’est plus qu’une procédure démonstrative. Ce qui est en cause alors n’est pas un accident de la vie d’un malheureux, mais le débat sur la thèse de l’accusation. Toute justification est ressentie comme un outrage et un obstacle à l’enquête, mais de toute façon accueillie avec l’indulgence qu’on accorde aux enfants, à qui on reconnaît le droit de se défendre par le mensonge. Accuser est un métier difficile. Il y a longtemps, dans une de ses chansons, Fabrizio De Andrè s’adressait aux « hommes et femmes de tribunal » en leur chantant : « si j’avais été à votre place, mais à votre place je ne veux pas y être. » Je suis d’accord, moi non plus je ne tiens pas à être à la place de celui qui accuse, ni de celui qui juge. Je préfère de beaucoup la triste part de l’inculpé. Il est possible qu’il ne soit pas totalement innocent mais, selon les statistiques de la justice d’après lesquelles un inculpé sur deux est en fin de compte acquitté, il l’est sûrement à moitié. >>


Erri De Luca in Alzaia (Rivages poche/Petite bibliothèque)

24 mars 2006

Le voeu de Louis XIII: ou la longue histoire du fameux rideau




En pleine extase ingresque, je me réjouis de vous révéler la source de ma passion pour la Madone Sixtine - dont je vous ai déjà entretenus. Effectivement, c'est par l'intermédiaire de ce surprenant tableau, dû au non moins surprenant génie d'Ingres, que la magie de l'oeuvre de Raphaël s'est d'abord révélée à moi.
Etonnant non? En fait, pas tant que cela; effectivement, le lecteur attentif aura remarqué la récurrence d'un thème graphique qui m'est cher: les fameux rideaux! Imaginez vous cet immense tableau dans son cadre habituel, celui de la cathédrale classique (rarissime et étonnante) de Montauban, ville natale du peintre. Ou, encore mieux, en plein en face du regard (on se trouve alors au niveau de Louis XIII) dans le cadre de l'exposition qui se tient actuellement au Louvre - que je vous invite d'ailleurs à visiter avec enthousiasme. Et voila nos rideaux qui s'écartent une nouvelle fois.
Mais cette fois, les anges ne sont plus si blasés; sans doute ont-ils pris leur parti de l'extraordinaire évènement révélé par Raphaël. Les voila dévoilant la Madone et son enfant, qui semblent avancer vers nous dans une sorte d'élévation- le mouvement des jambes de la Vierge et son pied nu le soulignent. Elle s'avance vers celui qui implore son intercession; et non vers le golgotha comme chez Raphaël...
A ses pieds: Louis XIII. Petite histoire: il faut dire que Louis XIII a été gâté par Marie. Saviez vous que la naissance de Louis XIV, en 1638, après 22 années d'union royale, et moult prières des souverains, est dûe à l'intercession de Notre Dame de Cotignac? Encore une fois, l'adjectif "étonnant" me vient à l'esprit! Le pieux monarque, en guise d'action de grâce, rédigea un acte de consécration de la France à la Sainte Vierge! Et voila l'occasion pour Ingres de "commenter" à sa façon la Madone Sixtine de son vénéré maître italien. Bon, on en pense ce que l'on veut, mais je trouve ce tableau magique. Cette Vierge et son enfant qui nous rejoignent dans notre intercession; le geste de Louis XIII qui leur tend ses attributs royaux, tout tourné vers eux... C'est beau. Tout cela mis en valeur par les rideaux ouverts.
C'est un peu comme si le secret des prières de chacun, dans l'intime du coeur, était caché lui aussi derrière ces rideaux célestes, préservant notre relation à Dieu; jusqu'à ce que la grâce les fasse paraître au grand jour et nous exauce.
NB: Ce qui est passionnant également, c'est de comparer le voeu de Louis XIII ingresque à celui de Philippe de Champaigne, tableau commandé par la mère de Louis XIV en action de grâce pour sa naissance, dans l'espoir que la foi guide son règne. Emouvant; mais là, l'intercession à des limites, vous en conviendrez... Je vous le réserve pour une prochaine fois, allez.

23 mars 2006

Une juste cause pour ste Rita

Quelques petits échos de mes pérégrinations parisiennes où j'ai eu la délicieuse surprise de découvrir l'église, que dis-je, la cathédrale (!!) de nos frères catholiques GALLICANS, et, si j'ai bien compris - dites moi si le démon m'égare - schismatiques.
La visite de ce petit ilôt de nostalgie et de persévérance (au nom de Louis XVI et de Bossuet, s'il vous plaît) ne fut pas sans intérêt. Après donc le témoignage engageant de l'ami tarte en mission auprès de st Lidoire, groupe qui est, nous le rappellons, dans la communion catholique romaine, me voila donc plongée dans quelques mètres carrés de piété aux couleurs XIXème siècle.
Je vous donne en vrac quelques informations qui pourront se révéler précieuses:
- Les jeunes filles désespérant de trouver un époux peuvent se confier à st Bonaventure en lui confiant une humble épingle à nourrice (avis aux désespérées).
- Outre un morceau de la VRAIE croix de st Pierre le sanctuaire s'enorgueillit de proposer à la vénération des fidèles une calotte ayant reposé sur le pontifical front de sa sainteté Pie X, qui me semble devoir être une source de grâces inépuisables...
- Les prospectus à l'entrée nous expliquent que leur église n'est pas une secte, et que d'ailleurs l'Eglise Catholique n'est rien d 'autre qu'une "secte qui a réussi": information pouvant toujours être utile pour résister à la propagande active qui règne autour de nous!
- Je vous invite également à solliciter l'intercession de leur évêque, dont la photo est plaisamment commentée par ces mots: "IL PRIE, IL FAIT PRIER, ET LE CIEL DE REPONDRE"... donc ça devrait être efficace, sinon on porte réclamation.


- Je n'ai malheureusement pas eu la possibilité d'assister à un office, heureusement de nombreuses photos m'ont donné un avant-goût, dont certaines de la consécration épiscopale du dit évêque; je me suis demandé si elle avait été célébrée par Mgr Lefebvre (si certains en savent plus...)


- Je vous passe moult détails, dont les drapeaux bleu blanc rouge autour de l'autel, et les albums photos croustillants où l'évêque en grande tenue évidemment, avec baggouze améthystée et tout et tout, est offert à notre contemplation accompagné de célébrités dont je ne veux pas ternir l'image, ou encore (pour des raisons que je n'ai pas voulu éclairer) d'animaux exotiques du type lama des andes.


Mais le clou de la visite reste l'effigie de cire, grandeur nature il va sans dire, du gisant de sainte Rita, patronne des causes désespérées! Quel heureux hasard! Ou bien est-ce la divine Providence qui a voulu accorder à nos frères dans le Christ une patronne aussi appropriée?
Alors, l'unité de l'Eglise Catholique, une juste cause pour sainte Rita? Je vous invite plus sérieusement à la prier en ce sens! Dans la communion catholique romaine apostolique, je vous salue bien bas.

13 mars 2006

Providence, Providence - Episode 3

La véritable foi en la providence revient donc à ce que Sénèque déterminait comme l’attitude du sage : l’adhésion à la volonté de Dieu dans la conformité à l’ordre du monde car
« sur le plan des événements, la notion de conformité à la volonté de Dieu est identique à la notion de réalité »
Se conformer à la réalité c’est accepter la volonté de Dieu
; se rendre obéissant à la volonté divine, c’est supporter les épreuves et les bénédictions de la fortune, et rejoindre l’harmonie de l’univers, étant
« certain que l'univers dans sa totalité est conforme à la volonté de Dieu […] ; c'est-à-dire que dans cet univers le bien l'emporte sur le mal. Il ne peut s'agir là que de l'univers dans sa totalité, car dans les choses particulières nous ne pouvons malheureusement pas douter qu'il y ait du mal »
Dieu ne peut empêcher le mal mais il donne la grâce pour vivre dans le bien. Le devoir de l’âme vertueuse défini par Sénèque de « s’abandonner au destin » prend donc un sens impersonnel. On ne s’abandonne pas au destin que Dieu a écrit pour nous mais au mécanisme impersonnel de la grâce qui permet de la faire fructifier en nous, en obéissant à la nécessité à l’œuvre dans l’univers.

Alors
dans cette obéissance on rejoint Dieu. Chez S. Weil, cette inspiration stoïcienne est développée jusqu’à son extrême grâce à l’analyse de l’incarnation. C’est Dieu lui-même qui nous rejoint dans l’obéissance à la nécessité. Si Dieu ne peut empêcher le mal et la souffrance qui sont de l’ordre de la nécessité à l’œuvre dans le monde, sous peine de supprimer la liberté, il vient souffrir cette nécessité afin de la transfigurer en Lui. C’est là le sens de la passion et de la résurrection de Jésus. Si le Dieu de Sénèque répondait à l’homme qui lui pose la question de la souffrance :
« Comme je ne pouvais vous y soustraire, j’ai armé vos âmes contre tous les assauts [par la vertu]. Souffrez avec courage ; par là vous l’emporterez sur moi-même : je suis en dehors de la souffrance ; vous êtes, vous, au-dessus d’elle »
le Dieu chrétien va plus loin. Il pourrait nous dire : « Comme je ne pouvais vous y soustraire, je suis venu transfigurer cette nécessité et vous donner la grâce. Souffrez avec courage car j’ai traversé la souffrance. Vous n’êtes pas au-dessus d’elle et moi-même j’ai accepté de la subir, c’est pourquoi vous pouvez la dépasser grâce à moi ». Le Christ aurait pu dire, comme Démétrius dans le texte de Sénèque :
« Je n’éprouve ni contrainte ni violence ; je ne suis pas l’esclave de Dieu, j’adhère à ce qu’il veut »
et à sa suite, tout chrétien peut le dire.
Il ne s’agit plus là d’un esclavage du destin, qui fait que l’homme est commandé comme une marionnette. Au contraire, il y a une adhésion libre de l’homme à la volonté de Dieu pour lui – qui n’engage peut-être pas des évènements pré déterminés, puisque la volonté de Dieu est que nous vivions en Lui dans l’amour, et cela peut prendre de multiples formes. L’esclavage est reconnu par l’homme comme sa condition, et il choisit en conséquence le meilleur maître, Dieu, plutôt que la logique mondaine.
La figure du Fils qui vient partager la condition humaine transfigure la figure paternelle à laquelle Sénèque rapporte Dieu, la dépassant et l’enrichissant. Le Père n’envoie pas les épreuves mais apprend effectivement à les surmonter. L’amour de Dieu n’est pas exempt de cette nature maternelle qui console :
« La mère, au contraire, le réchauffe sur son sein, toujours elle veut le tenir à l’ombre, éloigner de lui les pleurs, le chagrin, le travail »
puisque Dieu, par l’expérience de la croix, a un vécu de la souffrance. Cette transfiguration de la souffrance par le Christ engage un rapport à la mort nouveau :
que Dieu ait tremblé devant la mort redonne à l’évènement de la mort tout le poids tragique et existentiel dont le stoïcisme voulait la priver en la rendant presque inexistante.

L’amitié qui était caractérisée par Sénèque comme le rapport de l’homme à Dieu devient donc filiation au pied de la Croix… Dans les épreuves, l’homme vertueux avait l’occasion de réaliser pleinement son humanité, rejoignant le sens même du mot vertu, qui indique la disposition à se perfectionner et à rejoindre son essence. On peut considérer que
l'évènement de la passion, ouvrant sur celui de la résurrection, est celui de la réalisation pleine de l'humanité , car il constitue l’épreuve suprême par laquelle Dieu passe et transfigure la condition humaine ; par là il lui donne d’accéder à sa plénitude qui est la vie du Ressuscité. Ce n’est donc pas Dieu qui donne l’épreuve pour accomplir en l’homme l’humanité, mais Dieu prend sur lui l’humanité, et avec elle les épreuves de la vie terrestre, pour accomplir la vraie nature de l’homme qui est de lui être indissolublement lié.

Bref, que dire d'autre sinon: Amen, amen, gloire et louange à notre Dieu !

La Providence est-elle une notion chrétienne? - Episode 2

De manière très pertinente, S. Weil dénonce dans la conception chrétienne de la Providence une déformation due à son assimilation romaine. Mais il convient d’abord de restreindre sa mise en cause générale de la civilisation romaine au cadre de la philosophie. Il est juste d’affirmer que les concepts de la philosophie romaine, contemporains de l’apparition du christianisme, ont déformé certaines conceptions. Il est moins judicieux de jeter la pierre à toute la civilisation romaine, assimilant qui plus est ses conceptions théologiques à celles du judaïsme… mais cela n’est pas notre question ici.
La position de S. Weil sur la question de la providence est particulièrement intéressante car elle intègre la conception stoïcienne et la réajuste selon le cadre évangélique.
La notion mise en cause est celle de « Providence personnelle », que le christianisme ne saurait admettre
(on va voir pourquoi). Ce qui est chrétien, c’est une «Providence impersonnelle». En quoi cette conception de la providence est-elle distincte de celle de Sénèque ?
Sénèque met en valeur l’idée d’une préférence de Dieu pour l’homme vertueux, auquel il envoie des épreuves afin de développer sa vertu :
« Dieu, qui affectionne les bons, qui veut les rendre meilleurs encore et les plus parfaits possible, leur impose pour exercice quelque calamité »
Le plan de Dieu est dirigé vers les bons ; il leur envoie des maux pour les faire grandir en vertu. La perfection, dans la philosophie en général, et plus particulièrement ici chez Sénèque, est l’apanage d’une élite vertueuse. Il en va autrement dans le christianisme. Quelle est la perfection engagée ? Se référant au passage de Matthieu 5, 45-48
« […] afin de devenir fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. […] Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait »
S. Weil propose la conception d’un amour impersonnel de Dieu pour le monde qui doit être le modèle pour la conduite humaine. A la différence de Sénèque, Dieu n’a pas prévu, dans l’ordonnancement du monde, de favoriser les hommes vertueux en leur distribuant les coups et d’amollir les faibles en les comblant de fausses prospérités.
Au contraire, la nécessité à l’œuvre dans le monde, auquel Dieu se trouve lié (même position que chez Sénèque), est indifférente à « la qualité des hommes » :
« Ainsi c'est l'impartialité aveugle de la matière inerte, c'est cette régularité impitoyable de l'ordre du monde, absolument indifférente à la qualité des hommes, et de ce fait si souvent accusée d'injustice – c'est cela qui est proposé comme modèle de perfection à l'âme humaine »
La perfection de Dieu est dans l’impersonnalité de son amour qui est le même pour tout ce qu’il a créé. La perfection n’est donc plus le privilège d’une élite mais est à la portée de tous ceux qui veulent faire la volonté de Dieu. S. Weil reprend l’idée stoïcienne de l’ordre du monde selon une loi éternelle. Mais elle la dégage de toute son implication « providentielle ». Cela signifie-t-il que Dieu n’intervienne pas dans la création ? Comment définir cet ordonnancement du monde ?


L’ordre du monde, idée stoïcienne reprise par S. Weil, va être caractérisée par elle comme un mécanisme de la grâce. Il s’agit de définir Dieu comme absolument bon, c’est-à-dire de la même façon envers toutes les créatures, sans considération de leur vertu. Cette attitude de Dieu est exprimée par les paraboles sur la semence dans l’Evangile :
« La grâce tombe de chez Dieu dans tous les êtres – ce qu'elle y devient dépend de ce qu'ils sont ; là où elle pénètre réellement, les fruits qu'elle porte sont l'effet d'un processus analogue à un mécanisme, et qui, comme un mécanisme, a lieu dans la durée. La vertu de patience, ou pour traduire plus exactement le mot grec, d'attente immobile, est relative à cette nécessité de la durée »
Le mécanisme de la Providence divine qui était, chez Sénèque, mis en place par Dieu pour favoriser l’homme vertueux, devient impersonnel. Cependant l’attitude de celui qui veut vivre de la grâce conserve les mêmes caractéristiques : mise en valeur de la vertu de patience que nous avons trouvée chez Sénèque, obéissance. La grâce correspond à un mécanisme divin éternel. Tout dépend ensuite du terreau de la personne où tombe la semence divine. Sénèque affirmait :
« Oui, les destins nous conduisent ; et le rôle réservé à chaque homme fut fixé dès la première heure de sa naissance. Les causes s’enchaînent aux causes : nos destins publics et privés sont liés à toute une série d’événements qui les mènent »
L’idée d’une prédestination, qui reste très présente dans le christianisme (en particulier protestant) correspond bien plus à une conception stoïcienne que chrétienne. L’homme est libre de se soumettre à la volonté de Dieu, de la faire sienne : il n’est pas lié par un destin qui ferait de lui l’esclave de Dieu. C’est l’idée même que Paul développe dans ses épîtres, en lutte contre la conception du fatum prégnante dans le monde grec. Pour S. Weil on ne peut donc agréer l’idée d’un destin en christianisme : Dieu a mis en ordre une fois pour toutes l’univers selon le mécanisme de la grâce et il ne peut plus intervenir dans son fonctionnement. S. Weil va donc être amenée à rejeter la conception des miracles. Ce que l’on désigne comme « surnaturel » n’est que le fruit de l’ordonnancement providentiel du monde selon un mode impersonnel :
« la sollicitude dont les saints sont l'objet de la part de Dieu est de la même espèce que celle qui enveloppe les oiseaux et les lis [Cf Matthieu 6, 26-28]. Les lois de la nature règlent la manière dont la sève monte dans les plantes et s'épanouit en fleurs, dont les oiseaux trouvent la nourriture ; et elles sont disposées de telle sorte qu'il se produit de la beauté. Les lois de la nature sont aussi disposées providentiellement de telle sorte que, parmi les créatures humaines, la résolution de rechercher premièrement le royaume et la justice du Père céleste n'entraîne pas automatiquement la mort ».

Suite et fin au prochain épisode où vous saurez tout sur la mort et la résurrection de NSJC - ce n'est plus vraiment un scoop mais nous couvrons quand même l'évènement.
D'ici là : Pax vobis.

Postérité stoïcienne et thématique chrétienne de la Providence dans la philosophie de S. Weil - 1

Ayant passé un week-end que je pourrais qualifier de lune de miel avec ce vieux Sénèque, je ne veux pas me priver de vous présenter les avancées philosophiques qui ont résulté de ce coup de foudre. Loin d'avoir délaissé Simone, elle s'est jointe à nous pour un grand moment de bonheur philosophique.


On trouve dans l’Enracinement, la dernière œuvre de S. Weil, écrite en 1942 à Londres, une longue dissertation assez virulente sur le thème de la Providence. La philosophe y rejette cette notion comme mère de beaucoup de maux, en particulier d’une conception fausse du christianisme, due à son institution comme religion officielle romaine. Ce texte attire particulièrement notre attention, sachant que S. Weil est fortement influencée par la philosophie stoïcienne dans sa pensée métaphysique, en particulier théologique et cosmologique. Que rejette-t-elle dans l’idée de Providence, à la lumière de ce que nous en dit Sénèque ?
On pourra voir ainsi comment
elle dégage de la conception chrétienne de la Providence une influence stoïcienne qu’elle désigne comme non évangélique et contraire à l’inspiration chrétienne initiale. La question qui se pose finalement est la suivante : dans quelle mesure l’idée de providence est-elle chrétienne ? Pour répondre à cette question, il nous faut d’abord remonter à la source stoïcienne de l’idée de Providence telle qu’elle nous a été présentée par Sénèque dans le De providentia. Puis, nous appliquerons la critique de S. Weil à cette conception afin de comprendre la distance entre la conception providentielle stoïcienne et la conception chrétienne.
L’article d’Henry Duméry consacré à la notion de providence dans l’encyclopaedia universalis nous précise d’emblée que
« si l’on s’en tient à l’histoire des idées, le concept de providence n’est pas d’origine judéo-chrétienne : il est d’origine hellénique, de facture stoïcienne »
Dans le stoïcisme, le terme de providence renvoie directement à celui de nécessité comme on a pu le voir chez Sénèque. Cette conception n’a donc rien à voir avec le Dieu de la Bible qui est le maître souverain de l’histoire. C’est avec les cercles chrétiens d’Alexandrie (avec Philon) et le néo platonisme chrétien que va se développer une conception chrétienne de la providence à partir de ce schéma. Mais le problème de la distinction entre le stoïcisme et le christianisme est plus général, et majeur. Effectivement dans le Stoïcisme, le monothéisme confessionnel s’est imposé progressivement (on parle du « Dieu » chez Cicéron et Epictète) ce qui a fourni au christianisme des catégories nouvelles qui lui ont permis de se couler dans la langue et le monde grec. Cela est très important, car l’idée d’anthropocentrisme dont on dit qu’elle est chrétienne, a été en fait affirmée par le Stoïcisme, et en partie par Cicéron. Alors, distinguer le christianisme du Stoïcisme devient un enjeu important et… pas forcément évident.
Ainsi quant à la question de la providence
on retrouve l’idée stoïcienne qu’il faut se plier au fatum dans une certaine forme de providentialisme en christianisme. C’est contre cette appréhension que saint Paul s’est battu fermement dans ses épîtres (en particulier la lettre aux Romains) en affirmant que seule la liberté personnelle est le lieu du discernement. Dieu ne donne pas les circonstances mais la manière de les vivre. Cf Luc 11, « combien plus le Père vous donnera l’Esprit Saint » : le Père n’est pas dit donner les choses mais la manière de les recevoir. D’ailleurs, Paul et Sénèque étaient contemporains, et certains chercheurs ont imaginé une amitié, ou du moins des rapports, entre les deux intellectuels. Certaines confusions dans la compréhension du destin dans le christianisme proviennent donc du fait que l’on n’a pas assez travaillé ce moment où Paul essaie de se défaire de ce schéma du « fatum ».

A suivre...

Un court moment d'exaltation

Juste pour vous faire partager les délices que me procure la lecture d'Alexandre Dumas, je vous ai sélectionné un extrait grandiose - il n'y a pas d'autre mot...

"Apprendre n'est pas savoir; il y a les sachants et les savants: c'est la mémoire qui fait les uns, c'est la philosophie qui fait les autres [...] la philosophie ne s'apprend pas; la philosophie est la réunion des sciences acquises au génie qui les applique: la philosophie, c'est le nuage éclatant sur lequel le Christ a posé le pied pour remonter au ciel"

Fiou la la ça fait du bien des phrases pareilles. On n'en fait plus des comme ça, on n'oserait plus! Je vous laisse la digérer (pour une fois que je fais un post court, profitez en pour l'apprendre par coeur ça serait un bon leitmotiv durant le carême!!) et à bientôt.

07 mars 2006

Une petite pause bénédictine


Je ne résiste pas au bonheur de vous faire partager la beauté toute bénédictine de l'Eglise claustrale de Ligugé. Evidemment, avec le grégorien, c'est encore mieux...


Il faut vous imaginer la lumière qui se coule à travers les vitraux colorés... la paix... la beauté... la simplicité...