21 février 2008

Pierre Paulin, le design au pouvoir





Sièges "dos à dos" et "face à face"


La galerie de la Manufacture des Gobelins et du Mobilier National présente, jusqu'au 27 juillet, une formidable exposition consacrée au designer français - pour l'occasion tiré des coulisses qu'il a toujours fréquentés - Pierre Paulin. Intitulée "le design au pouvoir", la rétrospective retrace la carrière d'un sémillant artiste de 80 ans passés, conjuguant l'inventivité la plus libre à un esprit artisanal et à une rigueur technique admirables.
Collaborateur du mobilier national depuis 1968, Pierre Paulin a, dès les années 50, contribué à définir la grammaire d'un nouveau style en conçevant des meubles destinés aux administrations et aux nouveaux modes de vie domestiques qui surgissaient alors. Dans une forte optique de confort, et de service public...





Avec l'arrivée de Georges Pompidou au pouvoir, c'est à un signe fort que le jeune designer est appellé: "la France a besoin de modernité" lui dit le président fraîchement élu, qui lui laisse carte blanche pour réaménager l'Elysée - sans toucher aux murs, exigent les monuments nationaux, et sans que cela ne fasse aucun bruit, demande le chef de l'Etat.
Voila Pierre Paulin chargé d'une mission originale: exprimer l'essence du pouvoir dans un espace domestique. Il aménage, à grâce à des parois de plastique tendues de textiles, de nouveaux espaces. Dans la salle à manger, un étonnant plafond à caissons habités par un lustre composé d'innombrables tiges de cristal... Et un mobilier d'une élégance indéniable! Tels, ces chaises corolles et la table de la salle à manger:

Les fauteuils et table basse des salons de réception

Pour Mitterand, Paulin créé un magnifique bureau de métal peint, tendu de cuir bleu ciel, curieusement asiatique; et une chaise pivotante en rotin que l'on regrette de ne pas pouvoir essayer.




Un siège et un canapé assortis au bureau...





Quelques exemples de formes emblématiques, "iconiques" conçus par Pierre Paulin: les fauteuils "tongue" et autres exemple de sièges. Paulin a révolutionné la conception de l'assise et de la conception des sièges, dès les années 50. Dans les années 70, il utilise des coques de polystyrène garnies de mousse Pirelli et tendues de textile élastique. On peut citer aussi les fameux Ribbon Chair (plus de batterie pour les photographier...) et les sièges de la grande galerie du Louvre!





Une chose splendide: la "table cathédrale", en verre et métal...






Les photos me permettent de revenir sur la muséographie exceptionnelle de cette exposition. Exposées sur des miroirs, les oeuvres se reflètent sur de grands miroirs... au plafond. D'où un vertige assez enivrant! Les éclairages intelligents, auxquels s'ajoutaient les feux du soleil déclinant, créent un prisme kaléidoscopique dans lequel les oeuvres déploient leur complexité.
La mise en rapport des oeuvres de Paulin avec des pièces et des tapisseries issues des stocks du Mobilier National permettent de replacer ce fantastique créateur dans la tradition des arts décoratifs - ainsi, la mise en rapport des meubles de l'administration avec le mobilier de campagne de Napoléon dont Paulin s'est inspiré, ou l'installation de chaises et structures de fauteuils dans l'escalier.
Tout fait de la visite de cette exposition un moment de dilection et d'exaltation dont Jean-Baptiste et moi nous sommes rassasiés longuement!


Galerie des Gobelins, XIIIème arrondissement, M° Gobelins, jusqu'au 27 juillet...

17 février 2008

Questions (pédantes) sur la modernité

Jean-Baptiste, je voulais m’entretenir avec toi sur un sujet qui revient souvent dans nos conversations : celui de la modernité. Je sais que c’est un thème sur lequel tu te poses bien des questions ; mais je voudrais mettre à plat les choses en te demandant ce soir comment définis-tu ce concept de modernité?
Cela va être compliqué ! On pourrait essayer de donner une date de naissance à la modernité, mais le problème, c’est que chaque retour sur un événement renvoie à un événement qui l’a précédé. Si l’on veut situer la naissance de la modernité au XIXème avec l’explosion des techniques, on se rend vite compte que les racines sont plus éloignées dans le temps ! Je vais limiter la modernité au monde qui apparaît en gros au XIXème siècle, c’est-à-dire qu’elle correspond à toutes les périodes post-ancien régime…
Cela m’intéresse : ne crois-tu pas que la « révolution française », formule que je place à desseins entre guillemets, constitue le socle fondateur de cette modernité ? Je veux parler non seulement de l’événement, mais surtout d’un phénomène qui cristallise un long processus, et qui engendre une structure idéologique inédite dans laquelle nous baignons toujours.

Oui, évidemment, il y a certains éléments fondamentaux de la modernité qui sont largement antérieurs à la révolution française, mais sur le plan politique celle-ci représente un moment de rupture, en tous cas pour l’occident : il y a quelque chose qui commence, très nouveau. La révolution française représente une rupture avec l’idée même de tradition.
Tu rejoins ce que je voulais dire en parlant d’un long processus qui aboutirait à cet événement, et modifierait profondément les structures de la civilisation occidentale. Je pense que tu évoques Hannah Arendt en parlant de la faillite de l’idée de tradition ?

Oui, et pas seulement, même si elle représente ma principale référence sur ce plan. Mais pour en parler judicieusement il faut avoir comme elle des compétences d’historien que je n’ai pas. Je vais clarifier mon idée sur la modernité en résumant mon propos en une seule phrase : « nous avons mangé les fruits du passé sans faire advenir de nouveaux printemps ».
Tu veux dire que nous sommes en position d’être des héritiers…

… mais nous ne préparons aucun héritage ! Nous n’avons rien à transmettre. Ou plutôt, nous ne voulons pas transmettre. Pour tenter une première définition, la modernité serait l’attitude d’une civilisation qui vit sur ses acquis et ne prépare pas un terreau favorable pour les générations futures.
Pourtant, nous vivons dans les sociétés occidentales un moment où les préoccupations « écologiques » et de « développement durable » n’ont jamais autant pesé sur l’ « économie » et la vie des états. Finalement, on voit que le monde, en tant que patrimoine, est surtout conçu comme un écosystème naturel à préserver, plus que comme un système humain de relations et de pensée que l’on devrait habiter et poursuivre ?

Oui ! D’autant plus qu’avec ces préoccupations écologiques, on a vu apparaître des conceptions de l’homme comme plus grand prédateur, animal dangereux pour la vie, et finalement, on jugerait préférable qu’il disparaisse en tant qu’homme. L’idéal de vie que propose la modernité est un mode de vie « animal », c’est-à-dire centré sur le cycle vital de consommation et de procréation, de génération et de corruption, de satisfaction des désirs. L’homme n’est plus appellé à construire un monde qui va durer, et donc à habiter une terre dans laquelle il prend conscience de sa dimension de mortel et s’inscrit dans une histoire : il est appellé à s’occuper de sa vie biologique, de ses pulsions et de ses désirs : le monde humain est réduit à la sphére du monde animal, la sphère immédiate de la satisfaction des instincts désirants.
Ce qui explique le fait que nous ne pouvons plus préparer l’avenir, puisque l’homme n’est plus inscrit dans une histoire, appelé à poursuivre un monde qui existerait après lui : « après moi, le déluge ! » - ce qui était finalement le cri de guerre plus ou moins avoué de mai 68. Dans ce cadre, l’idée de tradition n’a plus de sens, pas plus que celle d’immortalité qui implique un désir de transmettre et un sentiment de responsabilité envers le monde qui va durer au-delà de nous.
Je voudrais que l’on en revienne à la révolution française, et peut-être, à l’idée même de révolution. Il me semble que ce concept renferme en lui la clef d’un basculement décisif, que pour ma part, je place à la source de ce que j’appelle « modernité ». C’est le moment où la structure du temps collectif se déplace depuis un schéma chrétien, avec une tension de progrès vers une eschatologie et une résolution finale - qui est le fruit de la grâce du salut, vers un schéma paganisé où le messianisme est politique, et où la révolution, le « grand soir » représente un mythe fondateur.

La modernité rompt avec la tradition médiévale, dont le travail de sape commence dès le XIVème siècle : ce long processus philosophique aboutit à mes yeux à la fin du XVIIIème siècle, avec Kant et Hegel qui à mon sens révolutionnent la conception du « monde » pour l’un sur le plan de l’individu – avec les questions de la connaissance et de la morale, pour l’autre, sur le plan du collectif avec une grande pensée de l’histoire dont je pense qu’elle marque encore profondément notre espace politique. Avec ces deux pensées, l’homme n’a plus besoin de Dieu ni du secours de la tradition principalement supportée par l’Eglise romaine.

Il me semble que notre pensée politique reste hégélienne, et ce aussi par le biais de Marx et des idéologies qui en découlent, dans le sens où elle aspire à la réconciliation, passant par une phase négative de « révolution ». Toute l’idée de la gauche politique est dans cette conviction qui nie la présence intrinsèque, dans la nature humaine, du mal et de la mauvaise intention. La gauche procède par bonne volonté vers une réconciliation temporelle. Mais ça ne marche pas. L’idée que la politique pourrait résoudre les conflits est absurde, elle en est plutôt le grand chef d’orchestre !

J’ai lu récemment un livre d’entretien d’un philosophe bien oublié, Julien Freund, et j’ai été frappée par sa pensée du conflit. Julien Freund explique que l’hégélien, socialiste, pacifiste Jean Hyppolite avait refusé de diriger sa thèse car l’idée centrale en était qu’il n’y a « de politique que là où il y a un ennemi ». Julien Freund critique très justement les droits de l’homme qui sont l’héritage le plus lourd de la révolution française. Il développe une pensée du conflit comme nécessaire et essentiel. Mais cela demanderait des heures de développer tous ces points. Il faudrait aussi parler des effets pervers de la morale kantienne, mais je ne suis pas assez qualifiée pour cela.

En définitive, la gauche nait avec la modernité. Mais en porte-t-elle tous les maux pour autant ? Question provocante sur laquelle nous réfléchirons peut-être bientôt.

15 février 2008

La lente mise au jour d'une blessure



J'ai découvert Pascal Quignard par le biais de l'enthousiasme de mon amie Chloé, qui m'avait offert le fameux Tous les matins du monde après m'avoir permis de visionner le très beau film qui avait été adapté à partir de ce petit ouvrage. Si le film est particulièrement fidèle à l'esprit du texte, il ne dispense pas de le lire tant la densité émotionnelle très intense qui se dégage de ce livre qui se lit en quelques dizaines de minutes est particulière. Peut-être parce que Quignard excelle à faire jaillir en écriture les musiques dans lesquelles s'incrustent les personnages, interprètée dans le film par un mythe de mon enfance, le catalan Jordi Savall.
Dans Terrasse à Rome, même procédé romanesque, court et compact, mais le vecteur de l'action n'est plus la musique: le héros défiguré vit par le médium de la gravure. Dans tous les cas, les personnages sont en extrême souffrance, en incapacité de mettre au jour leur être et leurs désirs; la viole si déchirante, la gravure si pénétrante, viennent soutenir leurs vies et en dessiner les contours qui restent un langage personnel, impropre à la sociabilité. Musique, gravure: le motif de la vie des personnages, qui les isole et les contruit, est aussi ce qui dessine la structure de l'action romanesque à travers l'écriture de Quignard.
Dans les escaliers de Chambord, l'action est plus complexe et plus longue, le personnage principal moins esquissé et moins énigmatique. Mais la souffrance reste, tenace, lancinante, et elle se diffuse dans tout le roman, éclabousse tous les personnages - plongeant le lecteur dans un marasme assez terrible. Contrairement aux deux autres textes évoqués, où la raison, la source originelle de la souffrance du personnage est exposée d'emblée, les escaliers de Chambord racontent l'histoire d'une délivrance. Les 400 pages du roman sont le récit de la lente mise à jour de la blessure du héros: d'où une action plus agissante, moins contemplative que dans les matins et la terrasse; inscrite dans une structure différente, celle du monde des jouets anciens dont le héros est marchand et adorateur.
Plus construit, il ne m'a pas laissé la saveur fulgurante, qui va droit au coeur, que donne dans les matins en particulier, la brève exposition d'une intense tragédie. Fastidieux, le roman progresse entre des personnages névrosés et douloureux, bizares et incapables de vivre des relations supportables avec les autres. Le dénouement un peu positif ne vient pas vraiment soulever une brise plus légère sur ce lourd tableau, lourd de nostalgie et de solitude. Reste une écriture singulière, parfois fulgurante, mais à la longue, pesante.

"Nous nous aimions. Quel est le nom de qui j'aime?" Ils burent. Laurence s'était éprise de la bière à la cerise. Elle évoquait cette rencontre rue de Lille, sous l'averse, la banquette de velours jaune, l'ascenseur ancien. Elle évoquait un moment qui avait été d'une certitude et d'une fusion totales, injustifiables. C'avait été une union, une harmonie aussi aisées et aussi naturelles que l'était la rencontre éternelle de la mer et du sable. Une union aussi aisée et naturelle que la rencontre de l'enfant avec la détresse. Une harmonie aussi aisée et naturelle que la rencontre du soleil et de la vision dans les yeux des mammifères. Une harmonie aussi aisée et naturelle que la rencontre des dents et d'une proie déchirée et qui hurle"
p. 359, éd. Folio.





14 février 2008

L'arche et l'écrin

Après vous être promenés sur les rives du fleuve royal à Chateauneuf sur Loire, vous poursuivez votre escapade vers Saint Benoît sur Loire, en passant par Germigny des prés. Arrêtez-vous alors pour découvrir quelque chose d'unique...
Outre le mémorable café du village où un panneau indique que l'on peut "niquer en consommant" depuis des années (!), Germigny abrite une des plus anciennes églises de France. Commandité par Théodulfe, proche de l'empereur Charlemagne, cet oratoire a été consacré en 806. Le rayonnement du monastère de Saint Benoît sur Loire, fondé au VIIème siècle, et ce petit joyau préservé font de ces bords de Loire un berceau de civilisation chrétienne... Admirablement restaurée il y a quelques années, l'église désormais paroissiale abrite des trésors au coeur de son ventre en forme de croix grecque.




Dans l'abside du choeur, une piéta bourguignonne poignante.



Mais le site est célèbre pour cette Arche de l'alliance; mosaïque "en cul de four", de style byzantin, unique en France! Les spécialistes de la querelle de l'iconoclasme n'ont pas fini de la commenter...



Je dois avouer que mon affection toute particulière va aux fonds baptismaux, coincés derrière une grille épaisse au fond droit de la nef. Tout dans ce bas relief inspire la force du sacrement... "Celui-ci est mon fils bien-aimé, en qui j'ai mis tout mon amour"


10 février 2008

Calmement ensoleillé

Nous avons profité d'un dimanche en famille et d'un soleil tout éclatant pour baguenauder à Chateauneuf sur Loire. Nous ne nous lassons décidément pas des charmes de cette petite bourgade ligérienne!









J'aime beaucoup les deux halles et leurs jeux d'architectures qui laissent apprécier l'ampleur bourgeoise que devait avoir la ville au siècle dernier. Au fil de ses ruelles s'y apprécie aujourd'hui une torpeur provinciale dans laquelle on verrait très bien prendre forme l'intrigue d'un roman de Mauriac...




La calme et puissante beauté du fleuve, parsemé de plaques d'argent sous le soleil généreux, n'appelle aucun commentaire... Mes photos ne permettent pas d'apprécier à sa juste valeur l'architecture du pont de fer bleu, oeuvre de la société Baudin implantée dans la cité. Quelques "gabarres" sont amarrées sur les berges de l'ancien port. Nous n'avons pas poussé jusqu'au musée de la Marine de Loire, installé dans le (joli) château.





La promenade du Chastaing, bordée de rangées de marronniers, permet de suivre le fleuve sur son point le plus haut. C'est effectivement ici même que la Loire, qui auparavant poursuivait sa course vers la Seine, opère à un repli stratégique pour se déployer finalement dans la fameuse vallée, écrin de tant de douceurs et de merveilles!



Pour ne pas laisser la grandiloquence en reste, la promenade est placée sous le patronnage de Maurice Genevoix, fameux auteur régional ("Ma Sologne, c'est pas de la merde" - les desprogiens s'y retrouveront!)

08 février 2008

Où l'on constate qu'un martyr peut en cacher bien d'autres

Après avoir commis plusieurs romans aux titres puissamment évocateurs (Jubilations vers le ciel, Goncourt du permier roman en 1996, Anissa Corto, Partouz...), des poèmes (Transfusion) et réalisé un film à succès (adapté de son livre), Podium, l'inconoclaste Yann Moix a produit un texte sur Edith Stein dont on ne puisse douter qu'il ait été, aussitôt, mis à l'index par la Sainte Eglise Romaine.
Mort et vie d'Edith Stein
a été publié chez Grasset en décembre 2007.
On ne peut être que fasciné à juste titre par la figure de cette sainte au destin si singulier. Et je trouve passionnant que des auteurs s'emparent de ces prophètes que sont les saints pour mettre au jour certains débats... C'est en un sens ce que fait Yann Moix, avec des intuitions assez justes par moment. Mais la vulgarité de son propos saute au visage tant elle est gratuite. En voulant rendre Edith proche du lecteur, l'auteur parvient surtout à le choquer par un ton déplacé qui ne se justifie nullement.
Et l'on se rend compte dès l'incipit que le motif de l'écriture n'est pas tant la philosophe du Carmel que le propre nombril de M. Moix. On peut ainsi profiter des ses modestes conceptions théologiques et de quelques leçons de morales prononcées sur un ton peu délicat, mais toujours bienvenues.
" Hé, lecteur, tu as fait quoi de ta vie?
Je sais que tu triches, que tu n'es pas très sincère, que tu (te) mens. Tu ne sais pas que faire de tes journées, tu as peur de rester tout seul chez toi. Tu trembles peureux, et je sais que : tu as peur de la peur. Vaguement, tu déprimes. Tu te promènes, tu fais quelques "achats", tu te trémousses dans quelques lits, avec des corps frôlés: tu jouis, hop hop (c'est fait, arrrgh). Tu te fais croire, parfois, devant une feuille blanche, que toi aussi tu as des idées: que toi aussi tu es un gros malin, que tu as des choses politiques, thermodynamiques, poétiques, philosophiques à dire.
Tu prends des notes. Tu écris ton journal. Tu confies des choses à ton "blog". Ca pour bloguer tu blogues. Tu dois pas prier des masses, tel que je te connais (je ne te jette pas la pierre, je ne prie pas non plus)." (p. 47)
On reste confondu devant l'étendue du désastre spirituel qui s'exprime (et devant la catastrophe littéraire on pleure). On se souvient arrivé à la fin du chapitre que l'homme est ainsi fait qu'il ne reproche aux autres que ce qu'il est incapable de regarder en face chez lui-même...

Mais le plus choquant n'est pas tant sujet - qui reste assez intéressant, c'est le ton avec lequel il est traité qui est contestable. La plus choquant, c'est l'écriture abominable, et donc l'expérience de lecture éprouvante, que ce jeune homme nous inflige. Je pensais avec amusement aux réflexions de Renaud Camus sur la distorsion de la langue française en progressant dans ma lecture, tant la structure des phrases de Yann Moix est désagréable à appréhender. La lecture est comme saccadée par les répétitions et les reformulation, interrompue brutalement par une phrase sans fin, dispersée par des dialogues reconstitués dans un style oral d'une vulgarité ahurissante - mais la cerise sur le gâteau, c'est la ponctuation!

Je ne peux résister au plaisir de vous faire partager la passion que semble éprouver Yann Moix pour le motif de ponctuation des deux points. Probablement parce qu'il s'agit d'un des plus délicats à manipuler? Les deux points surgissent à tout moment, remplaçant les virgules (passe encore), mais aussi totalement gratuitement, créant un pénible hiatus entre deux morceaux de phrase béants... Mais trêve de commentaire, laissons parler les faits:
"Un (beau!) jour, Edith participe à une course dans la montagne. Elle est obligée de passer la nuit entière dans une ferme perdue. Quand elle se réveille, au petit matin, elle assiste à une prière : ce sont ses hôtes qui : communient" (p. 65)
"Ce sont les idées qui, chez Edith, mènent : au Seigneur : c'est dans l'unisson des concepts que la foi se fraie le nécessaire passage jusqu' : au ciel" (p. 84)

"L'antisémistisme a gagné, gagne chaque jour, chaque heure, en : technicité. En : inventivité. En : imaginativité. En : créativité. En : scientificité. En : rationalité." (p. 135)

Triple martyr donc : celui d'Edith que lequel s'interroge l'auteur, celui de la langue française qu'on assassine, celui du lecteur qui bute à chaque page sur des phrases construites (intentionnellement qui plus est!) en dépit du bon sens.
Quand je pense que ce garçon est diplômé de l'ESC Reims et de l'IEP de Paris, je me pose des sérieuses questions sur la formation de nos élites...
Je conseille par contre à tous ceux qui veulent découvrir Thérèse Bénédicte de la Croix (notamment les fan d'Etty Hillesum, qui devraient s'y retrouver!) ce livre très mince mais très complet qui offre une introduction passionnante à la richesse de sa personnalité.


Tout cela n'enlève évidemment rien aux incomparables mérites de l'irremplaçable amie qui m'ofrit ce livre (sans l'avoir lu s'entend) avec les meilleures intentions du monde (et d'ailleurs, un peu d'appréhension sur mon jugement final!)...

06 février 2008

Quimper - Musée des Beaux Arts



Sur les conseils de ma merveilleuse tante, je n'ai eu de cesse, sitôt débarquée à Quimper, de me précipiter au Musée des Beaux Arts. Cela n'a pas été trop compliqué, celui-ci étant situé dans un "palais à l'italienne" (dans le Finistère... il fallait oser!), lui-même situé très stratégiquement à côté de la cathédrale st Corentin, en face de la statue de Laënnec, gloire locale bien oubliée (j'ai constaté avec surprise que j'étais la seule à savoir qu'il était l'inventeur du stéthoscope).


J'ai une affection particulière pour les musées des Beaux Arts provinciaux, qui renferment de vraies merveilles aux côtés de croûtes terrifiantes, mais très amusantes! Ces collections souvent de bric et de broc en disent long sur une région, sa bourgeoisie collectionneuse, ses artistes locaux... Son patrimoine aussi. On se promène dans ces musées plus ou moins déserts avec désinvolture, sous le regard plus ou moins concuspiscent ou surpris des surveillants de salle sortis de leur torpeur provinciale par votre pétulante visite... (on est dans le second degré, je précise!).
Le musée de Quimper est très riche, les collections sont variées et intéressantes, et les sbires particulièrement charmants et pour certains d'une culture admirable! Les photos sans flash étant autorisées, je vous ai rapporté quelques petits souvenirs - parfois un peu flous, c'est le prix à payer!
On commence par le plus drôle... J'avoue ne pas avoir compris la sombre histoire de légende convoquée pour justifier tant de chairs lascivement exposées... Il n'y a probablement rien à comprendre!


Patrimoine local: une belle vue de Quimper depuis les bords de l'Odet, par Eugène Boudin, merveilleux paysagiste bien connu des amateurs du genre.


Le musée consacre une vaste et passionnante salle à Max Jacob, né à Quimper en 1876. La fameuse école de Pont-Aven (1886 - 1894) est très bien représentée (je n'ai malheureusement pas de photos) avec des oeuvres de Sérusier et de Bernard notamment, qui viennent rappeller combien Nabis et Fauves sont redevables envers Gauguin et ses sectateurs.
Je me rends compte également en lisant la plaquette que nous avons loupé la salle "moderne et contemporain" où l'on évoque Asse, Bazaine, Tal Coat... Dommage! A la vérité, il nous aurait fallu bien plus de temps que nous n'en avions pour honorer les richesses de l'endroit.
Une des perles du musée est ce sublime portrait de Mademoiselle de Cabarrus par Chassériau (1848). On ferme les yeux et on s'imagine subitement dans un roman de Stendhal...




Autre splendeur: Vierge à l'enfant de Sano Di Pietro, datée du milieu du XVème, que je ne me lasse pas de détailler tant je la trouve fine, élégante... Le teint transparent de la Vierge, la douceur de l'expression de l'enfant qui tient dans ses petites mains un fruit et un petit oiseau. Je ne sais pas si le peintre évoque par là le passage de l'évangile de Matthieu où il est question des petits oiseaux et du prix infini de chaque créature aux yeux du Père?
Quoiqu'il en soit, le jeu des regards et des mains entre la mère, son enfant et les anges est absolument renversant.





Enfin, pas de photos pour une exposition temporaire formidable consacrée à Raymond Humbert. J'avais eu l'occasion de découvrir ce peintre à Orléans il y a quelques années et je suis ravie de le recroiser. Je me souvenais très bien de ses réécritures d'estampes, engendrant une méditation infinie sur le flux et le reflux, sur le temps et l'impossible permanence de l'être... Grands travaux à l'encre réalisés en Bretagne, au contact avec la mer, le vent et les rochers...


Mais il y a aussi cet émerveillement continu de l'artiste devant son jardin de Laduz, dans l'Yonne, rayonnant de couleurs, qui n'exprime pas sur un petit format toute son intensité réelle...