21 février 2006

Chronique du blog oculaire ou Ulrich, sa vie, son œuvre.

A C.C. qui œuvre pour mon œuvre.


Après de nombreuses et obscures réflexions, après maintes tergiversations, après avoir erré dans d'obscures directions, je suis toujours aussi indécis quant au sujet de mon premier article sur notre merveilleux journal de l’homme sans qualités… C’est même pire que de l’indécision, c’est un manque total d’idées, un néant de pensées, un vide intellectuel que j'ai peine à combler. Bien sûr je me suis lancé dans quelques réflexions plus ou moins « philosophico-spiritualo-intello-[caser ici un mot savant ou deux]elles » mais rien de satisfaisant, du moins, rien qui ne m’ait satisfait moi.

Ainsi, à défaut de pensée, nous allons nous rabattre sur du vécu ; il faut bien faire avec ce qu’on a !

Eh oui, les étudiants en médecine peuvent aussi avoir une vie sociale ! J’insiste sur le fait qu’il ne tient qu’à eu d’en avoir une, la pression des études n’excuse pas tout. En effet, je trouve important dans une démarche d’entrée dans la vie adulte, car c’est bien de cela qu’il sied d’entreprendre à cet âge si crucial de la vie, d’avoir une vie justement. Il ne faut pas prendre pour la Vie les études. Il semble en effet que certains se retranchent derrière ce simulacre d’existence afin de repousser l’échéance de la transition pourtant inéluctable et ô combien nécessaire. Evidemment c’est la peur des responsabilités qui pousse nos apprentis hommes et femmes à agir de la sorte. Il est néanmoins plaisant de voir que cette stratégie d’évitement n’est pas spécifique à notre doux âge et se généralise à toute les générations dans maintes situations, à des degrés différents certes mais généralisée quand même.

De sorte que, la plupart de nos congénères (et nous avec) n’avons pas de grandes velléités à rentrer en conflit avec les autres. Nous préférons garder une certaine réserve afin de nous préserver des problèmes. Nous développons de fait et depuis notre plus tendre enfance, plus précisément depuis nos premiers rapports avec autrui, une sorte d’instinct de survie intellectuel qui, par réflexe nous permet d’éviter les ennuis. Comme dirais Caïus Bonus, « à vaincre sans péril, on triomphe quand même et on évite les ennuis » !

J’aimerais revenir sur la notion de réflexe exprimée ci-dessus. En effet, je n’allais pas, même si ce blog est résolument littéraire ne pas faire état de ma condition scientifique et ainsi j’en viens à faire un parallèle entre le réflexe physiologique et notre réflexe que je qualifie ici, peut-être à tort, d’intellectuel. Prenons l’exemple d’un arc réflexe nociceptif simple que nous avons tous connu : une lumière trop intense vient nous aveugler. Voici comment se déroule l’action : notre œil, par l’intermédiaire de ses bâtonnets capte l’information, la transmet au cerveau par l’intermédiaire du nerf optique, notre système nerveux intègre cette information et transmet l’ordre aux muscles commandant nos paupières de les baisser. Notre œil est sauvé ! Eh bien pour notre réflexe de survie intellectuel, le schéma est sensiblement le même si les effecteurs changent. Exemple : marchant dans la rue, plongé dans vos pensées, un homme vous bouscule d’une . Enervé, vous vous retournez plein de votre haine ordinaire, prêt à remettre à sa place ce paltoquet à la place qui est la sienne, c'est-à-dire dans les cordes, le sang a d’ailleurs déjà afflué en masse dans vos tempes et vous sentez la colère vous envahir quand soudain… vos yeux captent n’information « individu de grande taille, ressemblant plus à une armoire normande qu’à un homme et affublé d’une allure de bull-dog des plus sympathique» ==> /!\ WARNING /!\ ==> réflexe de survie !! on s’écrase et on évite le contact avec le cuistre qui aurais pu être pour nous des conséquences les plus désastreuses. Cela n’est en rien de la lâcheté, c’est juste se dire « notre vie était déjà assez compliquée avant ce heurt, pourquoi la rendre encore plus indigeste ? ».

Du reste, le post-adolescent qui nous préoccupe, car pour conclure, il est intéressant de revenir sur lui, applique sensiblement le même raisonnement. Il se promène paisiblement dans son adolescence et quand la vie adulte commence à venir le bousculer, activation du réflexe de survie, il refuse l’affrontement et s’en tire à bon compte en se réfugiant derrière un quelconque prétexte (les études en sont l’un des plus usités et des plus pratiques car même les autorités parentales si tant est qu’elle soit peu clairvoyantes se laissent attendrir par le bambin enclin au travail). Méfiance donc jeune étudiant/e, s’il est bien une priorité qu’il ne faut pas oublier en chemin, c’est de grandir !


Ulrich

20 février 2006

Faire une recherche sur ce site

L'ami Inactuel propose une méthode pour faire une recherche sur son blog, que je vous propose également, ne disposant pas d'un moteur de recherche intégré grâce à mon hébergeur...
Tapez le sujet de votre recherche sur Google de la façon suivante:
(mot) (espace) site:hommesansqualites.blogspot.com
Bon surf!

15 février 2006

Deux hérétiques chez les tradis, par Funny Friend

Funny Friend, toujours soucieux de l'unité de tous en Christ, vous fait partager une expérience étonnante: la messe du dimanche selon le rite catholique... d'avant Vatican II. Le concile n'ayant pas aboli ce rite, ceux qui désirent le suivre restent dans la communion catholique romaine - pour peu qu'ils en réfèrent à leur évêque bien sûr (collégialité, quand tu nous tiens...) et c'est le cas à Tours. C'est donc en pleine communion ecclésiale que l'on peut se rendre à la messe chez eux...
Je vous laisse savourer le récit des évènements, qui vous distraira un peu de mes considérations obsessionnelles sur l'amour de Dieu... Que tous ceux qui sont motivés pour prier ND du Rosaire pour l'unité de l'Eglise se fassent connaître!
Biens chers tous,
Un grand événement s'est produit ce week-end que le monde attendait depuis longtemps... Je suis allé rendre visite à nos frères tridentins accompagné dans cette tâche par un accolyte de renom, Tom-Tom, auquel je renouvelle ma profonde gratitude.

Cette participation à l'Eucharistie du Dimanche célébrée en langue latine (a priori ça je maîtrise), en l'église du Sacré-Coeur même si elle se voulait courtoise se plaçait d'abord et avant tout dans un souci d'Unité. Unité qui doit se faire évidemment entre les diverses confessions chrétiennes (amitiés au Père Nectaire) mais aussi fondamentalement entre catholiques.

C'est donc plein d'enthousiasme et, pour une fois libéré de tous préjugés négatifs, que j'ai franchi les portes de l'église. Il est un peu tôt, nous sommes les premiers arrivés. Pour nous accueillir, sur notre droite quelques chapelets à dispositions et sur notre gauche quelques livrets de chants avec tout l'ordinaire de la messe : au moins on aura pas à sortir les vieux missel du XIXème... Petit à petit l'église se remplit. A deux ou trois exceptions près c'est le même schéma : un couple de trentenaires BCBG avec au minimum 4 petits bambins ayant moins de 10 ans et un écart entre eux des plus réduit. Je ne suis pas trop surpris, après tout le contraire eut été étonnant !

La messe commence donc et déjà comme un malaise s'installe : chacun est "dans son trip" sans souci du voisin. Le prêtre arrive et commmence à réciter une prière : les fidèles sont à genoux (donc nous aussi...) et écoutent pieusement. Cette indication a toute son importance puisque dès ce moment la station "à genoux" devient pour chacun la principale.
Au fur et à mesure que la célébration se déroule je me forge cette conviction : le prêtre semble faire la messe pour lui !! Dieu merci, si le calendrier liturgique est différent, il n'en reste pas moins que l'ordinaire a peu changé, alors on arrive à suivre.

Un grand moment arrive : l'homélie. En français (nous sommes dans la partie "instruction du peuple") et tout à fait remarquable : le P.Leray n'a pas oublié de citer l'évangile de Marc que je m'attendais à entendre et qui n'est jamais venu, et de nous faire un bel enseignement sur la Journée des Malades. Je dois dire ici que je suis ouvert à toute demande de témoignage quand il s'agira d'instruire le procès en canonisation de ce prêtre qui, croyez-moi, vu son dévouement à la cause, le mérite.
La célébration continue ! Enfin j'arrive à me concentrer et à essayer de me "connecter" avec le ciel puisque le Christ nous rejoint dans la sainte Hostie. Je prie, mais me refuse à communier vu mon état.

La messe s'achève après une brève lecture sur une bénédiction de circonstance. Après avoir passé presque une heure à genoux nous décidons rapidement de ne pas nous éterniser... J'aurais aimé qu'un responsable de l'asssociation St Lidoire vienne nous retrouver pour engager un dialogue fraternel... Je crois que c'était trop demander, je n'avais pas été reconnu par la "tribu" !

Que retenir de tout ça ?! :
1°) Si la liturgie orthodoxe limite la participation des fidèles au minimum, chez les tridentins autant dire qu'elle est pratiquement inexistante (la rigueur m'oblige à préciser que l'on chante quand même un peu...).

2°) Je comprend mieux (et là se situe peut-être la vraie grâce de la journée) quel a pu être le malaise après Vatican II quand il s'est agit d'imposer à des gens une nouvelle liturgie et de bouleverser celle qui avait eu cours depuis des siècles !! Car une des raisons de mon "malaise" se trouve sûrement dans le fait que cette célébration était à des années lumière de ma culture religieuse !


Voilà un peu ce que je voulais vous partager. Je terminerai en disant qu'après tout ça j'allais tellement mal qu'il a fallu la messe de la cathédrale pour me requinquer. Je vous laisse à vos diverses missions apostoliques ou autres dans la Paix du Christ et sous la conduite bienveillante de St Dominique ! Amitiés.
Ps pour Elise : j'ai gardé pour nous un petit souvenir, un dépliant sur Notre Dame du Rosaire. Dans ce genre de cas il ne reste plus guère que la prière à la Théotokos.

14 février 2006

Amour chrétien, amour humain - 2 : de l'éros comme ouverture

Je vous renvoie à l’article précédent pour le contexte de la réflexion…
Suivant les propos du St Père, je vous invite désormais à étudier ce que l’on désigne sous le terme d’« éros », avec en tête cette question : le christianisme a-t-il détruit l’éros ? La conception chrétienne nie-t-elle l’amour que l’on désigne comme éros ?

Mais que désigne l’éros ? « L’amour entre homme et femme, qui ne naît pas de la volonté mais qui, pour ainsi dire, s’impose à l’être humain » nous dit le pape (3). Le concept d’éros est celui qui a été conçu par le monde grec (quand j’aurai mes Platon sous la main, je vous ferai un petit florilège choisi si vous voulez…) pour désigner cette expérience universelle et spécifiquement humaine de l’amour.

Ecoutons le Saint Père (4) : « les Grecs ont vu dans l’eros avant tout l’ivresse, le dépassement de la raison provenant d'une «folie divine» qui arrache l’homme à la finitude de son existence et qui, dans cet être bouleversé par une puissance divine, lui permet de faire l’expérience de la plus haute béatitude. Tous les autres pouvoirs entre le ciel et la terre apparaissent de ce fait d’une importance secondaire »

L’expérience de l’éros est celle d’un ravissement de notre être au-delà des limites de sa finitude propre - Eh oui j’entend tes grognements et tes ricanements, Matthieu, je vais m’expliquer ! - Par le concept de « finitude », la philosophie, en fait, la phénoménologie, entend désigner le propre de l’expérience humaine : l’homme s’éprouve comme être fini, déterminé dans le temps (la perspective de sa mort) et dans l’espace (l’expérience de son corps en contact avec le monde). L’homme est dans une situation tragique, car non seulement il est condamné à mourir, mais en plus il en a conscience à chaque instant.
Or l’amour est l’expérience d’une transcendance, d’un bouleversement des limites de cette finitude, puisqu’il est la promesse d’une éternité ; il est le désir et l’illusion momentanée d’une intersubjectivité poussée jusqu’à l’union fusionnelle de tout l’être avec l’autre (qui se réalise pleinement dans l’acte sexuel – je mets des balises pour la suite) ; union qui est négation de notre enfermement sur notre propre être, dans notre âme et notre corps.
L’amour qui submerge tout l’être le transporte et lui fait oublier la perspective de sa mort pour l’ouvrir sur une logique de vie. C’est en cela que le St Père dit que l’amour est « extase » : il est ouverture, béance de l’homme vers ce qui le dépasse (pour Heidegger, l’Etre). Bon, je crois qu’il n’y pas besoin de développer plus que ça : cette expérience résonne dans notre propre chair, avec un peu de douleur probablement… En ce sens, les grecs ont clairement lié éros et folie : l’expérience de l’amour dépasse et rejette toute perspective rationnelle. Elle en appelle à la personne dans son caractère affectif et surnaturel. Ce que l’éros désigne effectivement c’est une porte vers le surnaturel ; c’est l’expérience même de cette transcendance qui met l’homme en contact avec l’infini du Divin, qui le sort de sa finitude pour lui faire toucher l’infini. S’il s’agit d’une folie, c’est d’une « folie divine » que l’on parle.

Benoît XVI évoque ce qui découle du caractère sacré de cette expérience humaine de l’amour : une sacralisation de l’éros dans la religion antique : (4) « Dans les religions, cette attitude s’est traduite sous la forme de cultes de la fertilité, auxquels appartient la prostitution «sacrée», qui fleurissait dans beaucoup de temples. L’eros était donc célébré comme force divine, comme communion avec le Divin ». Le problème alors, ce n’est pas de nier que l’éros ait quelque chose à voir avec le divin, mais de dénoncer l’erreur contenue dans la sacralisation de l’amour comme fin en soi : (4) « L’Ancien Testament […] n’a en rien refusé l’eros comme tel, mais il a déclaré la guerre à sa déformation destructrice, puisque la fausse divinisation de l’eros, qui se produit ici, le prive de sa dignité, le déshumanise » : l’amour humain devient effectivement un moyen pour accéder à Dieu. Il est le lieu d’une instrumentalisation de la personne qui n’a aucun rapport avec l’amour – cela est aux antipodes de la conception chrétienne de l’amour. Cette conception de l’amour est très égoïste, puisqu’il s’agit d’utiliser l’amour dans le but de s’unir à Dieu ; alors que pour le chrétien, l’union à Dieu passe par l’union au Christ, dans l’accueil de l’autre justement.

Le St Père conclut le paragraphe 4 avec ces mots : « C’est pourquoi l’eros ivre et indiscipliné n’est pas montée, «extase» vers le Divin, mais chute, dégradation de l’homme. Il devient ainsi évident que l’eros a besoin de discipline, de purification, pour donner à l’homme non pas le plaisir d’un instant, mais un certain avant-goût du sommet de l’existence, de la béatitude vers laquelle tend tout notre être ».
L’éros ne peut donc être conçu que comme une ouverture vers une conception de l’amour plus haute, qui est déjà expérience de la béatitude promise au Royaume de Dieu. Il sera amené alors à dépasser cet égoïsme dans la recherche du Divin : à prendre en compte l’Autre de l’amour, pour entrer dans la véritable communion. Mais, pour y accéder, Benoît XVI nous indique que cet éros « ivre et indiscipliné » (la figure de Dionysos, pour nous remettre en mémoire certaines considérations sur Eros et logos chez S. Weil), doit se DISCIPLINER et se PURIFIER.
Ah ah… serait-ce là encore des relents du fameux sado-masochisme catho ? Mortifions-nous mes frères, et prenons patience jusqu’au prochain épisode ; pax vobis !

12 février 2006

Amour chrétien, amour humain – Episode 1

Sollicitée par Monsieur Camille, que je dois décidément considérer comme mon Socrate à moi – dans quel dialogue Socrate est-il comparé par son interlocuteur à une abeille dont l’aiguillon pousse à penser ? – voila que je me lance dans une vaste réflexion dont les conséquences, si l’Esprit Saint est de mon côté, seront les suivantes : faire comprendre ce que les chrétiens entendent lorsqu’ils parlent d’« amour », et particulièrement, question cruciale, étudier ce que le christianisme dit et fait de l’amour humain, terrestre, avec ses côtés bassement matériels – vous m’avez comprise.
L’amour chrétien a-t-il quelque chose à voir avec l’amour humain, que chaque homme peut expérimenter ?
Il faut l’espérer, ou bien l’Incarnation est chose vaine.
Je crois que le Seigneur a pris chair et corps humain : il doit bien y avoir quelques conséquences sur notre propre chair et notre propre corps – ou alors ma foi est vide de sens. L’enjeu étant de faire voir – à défaut de faire croire – la cohérence interne du christianisme, qui est tout entière dans le concept d’amour.

Pour vous montrer combien ces questions sont actuelles, je commence par un brûlot d’actualité : l’encyclique Deus est Caritas de notre vénéré St Père Benoît XVI. Comme par hasard, elle aborde précisément ma question, et même mieux, elle y répond ! Et quelle réponse. J’espère donner à tous l’envie de lire ce texte, qui parle au cœur de chacun puisqu’il parle de l’amour. Je vois véritablement un signe des temps dans ce texte magnifique et profond, bien qu’en même temps simple et clairement accessible à tout un chacun.
Je vous donne quelques liens afin que vous vous le procuriez sur le net : sur le site de la Santa Sede bien sûr (dans mes liens), celui de la conférence des évêques de France, celui de Zenit (agence de presse vaticane).
Sinon, achetez-là, vous ne le regretterez pas ; elle ne coûte que 3 euros (co-édition Bayard/Cerf/Fleurus-Mame – on peut la trouver à la Procure, à la Fnac et un peu partout), et puis vous pourrez écrire dessus et gribouiller c’est quand même plus rigolo.

La question qui nous intéresse est celle que pose d’abord le St Père, dans les paragraphes 2 à 18 : celle de «L’unité de l’amour dans la création et dans l’histoire du salut » - nous laisserons délibérément de côté la seconde partie, non moins belle et essentielle, mais qui ne concerne pas notre question de départ. Elle est traitée de façon riche et fouillée, nous prendrons donc le temps de cheminer en plusieurs étapes.

Benoît XVI commence donc par expliquer qu’il n’y a qu’un seul amour à l’œuvre dans notre monde, celui de Dieu. Cette affirmation se heurte à l’expérience, car cet amour a différents visages : c’est pourquoi il faut régler avant tout « un problème de langage » (2). Le terme d’«amour » renvoie à des réalités bien différentes.
Cependant, « l’archétype de l’amour par excellence » est, au cœur de cette diversité, « l’amour entre homme et femme, dans lequel le corps et l’âme concourent inséparablement et dans lequel s’épanouit pour l’être humain une promesse de bonheur qui semble irrésistible ». D’emblée, l’amour entre homme et femme est donc posé comme la plus haute image terrestre de l’amour – presque comme l’incarnation de ce qu’est l’amour, nous y reviendrons. Pour quelle raison ? C’est celui dans lequel la personne est engagée la plus entièrement : le corps et l’âme y concourent inséparablement…
Il y a donc une pluralité de sens derrière l’amour : cela engage-t-il qu’il y ait une pluralité d’amours, ou bien n’y en a-t-il qu’un ? Si il n’y en a qu’un, celui de Dieu, cela impliquerait que l’amour humain, qui passe nécessairement par le corps, soit compris en Dieu. Et pourquoi en serait-il autrement ?

Le St Père continue donc son analyse de l’amour en interrogeant le rapport éros/agapè (3). On a accusé le christianisme d’avoir détruit l’éros (concept grec de l’amour, qui désigne l’attirance amoureuse, et donc corporel, et même une sorte de « délire ») pour le remplacer par l’agapè, concept traduit par « charité », «amour ». Le christianisme aurait donc, avec la nouveauté du concept d’agapè, détruit l’éros ?

Question redoutablement actuelle, que je laisse en suspens pour plus de suspense ! Suivant la réflexion de Benoît XVI, nous nous interrogerons ensemble sur l’éros très bientôt.

10 février 2006

Tu ne tueras pas...la vie dans ton ventre

La parution, hier, du décret concernant la recherche sur l'embryon m'a laissée fort perplexe. Heureusement, l'Esprit Saint faisant toujours bien les choses, j'avais prévu d'assister à un cours de M. Bernard Pouderon portant sur... l'interdit de la contraception et de l'avortement chez les Pères de l'Eglise - en fait, jusqu'à Augustin, c'est-à-dire, le début du Vème siècle. J'en paraphrase le titre et me permets quelques considérations.

L'intéressant dans un tel cours, c'est qu'il permet de démêler, en revenant à la source des conceptions du temps, ce qui est spécifiquement chrétien et ce qui ne l'est pas en terme de morale sexuelle et d'éthique de la vie: par rapport au judaïsme bien sûr, mais surtout respectivement au stoïcisme dont l'empreinte a marqué la morale chrétienne. Lorsque le christianisme est apparu dans le monde grec, le stoïcisme était effectivement la "morale" et la philosophie dominante. La morale chrétienne, influencée par cette philosophie "rigoriste" a pu prendre des couleurs qui n'avaient plus rien d'évangéliques; et je crois bien qu'il a fallu attendre Jean-Paul II pour remettre la théologie du corps sur le tapis. Réflexion salutaire après des siècles de malentendu!
L'honnêteté intelectuelle - qui n'est malheureusement pas toujours de mise en ce qui concerne les opinions chrétiennes - exige également de replacer les considérations des Pères, parfois assez brutales, dans le cadre du débat de l'époque par rapport aux sectes gnostiques, puis au manichéisme.

Le gnosticisme s'est d'abord développé comme un courant chrétien au coeur de la grande Eglise; mais celle-ci s'en est très tôt démarquée - pour de justes raisons; l'exclusion de Marcion date de 144. En fait, il s'agit d'une conception très dualiste du monde (opposition de deux principes: le Bien et le Mal - je rappelle que pour les chrétiens, il n'y a qu'un seul principe, le Bien, le mal étant l'absence de Bien) directement issue d'un bouillon de culture philosophique mêlant les philosophies platonicienne, pythagoricienne et la tradition orphique. Chez Platon et ses avatars, on peut dire grossièrement que le monde des idées s'oppose au monde sensible. Le sensible étant, évidemment, dévalué au profit de "l'intelligible": de là à identifier l'un au mal, l'autre au bien, il n'y a qu'un pas rapidement franchi. D'où une haine du monde, haine du corps comme "mauvais": Platon identifie dans le Phèdre (je crois) le corps au "tombeau de l'âme".
Le gnosticisme est pratiquement mort au IVème siècle; alors se développe le manichéisme, qui se conçoit cette fois non plus comme un courant chrétien mais comme une religion à part entière, issue des conception gnostiques et de la tradition persane.
Le manichéisme a été une religion très influente: pensez que st Augustin, avant sa conversion, fut manichéen! Cette philosophie avait donc des représentants chez les intellectuels - Augustin était alors professeur de réthorique - et dans l'élite de l'empire. Voila pourquoi Augustin est d'autant plus féroce par rapport au manichéisme, qui est rapidement condamné par toutes les autorités religieuses (grande Eglise) et politiques (Empire).

Ces conceptions religieuses n'ont rien en commun avec le Christ. Elles ont pourtant marqué son développement et sa morale de façon durable, produisant des avatars à chaque époque - l'exemple le plus connu étant bien entendu celui des albigeois, les fameux cathares, contre lesquels s'éleva Dominique - et aujourd'hui, des relents de marcionisme? (on en reparlera, à propos du travail de Rémi Brague...) On retrouve dans les mentalités, chrétiennes ou non, des traces de ce dualisme si simple à comprendre et à utiliser pour interprèter le monde... "Les bons vs les méchants" (force du bien, force du mal: existe-t-il une force du mal? La question mérite d'être méditée... Elle est en lien direct avec mon mémoire, dont je vous entretiendrai bientôt. Le problème étant de distinguer deux forces: celle qui anéantit, et celle qui relève). "Ce qui est spirituel est bon, le corporel est source de péché" etc. Combien de chrétiens sont-ils enfermés dans ces conceptions, et combien de non-chrétiens se représentent-ils ainsi la morale chrétienne? Situation embarrassante, de laquelle ressort un devoir pour les chrétiens à se former sur de telles questions, afin de pouvoir comprendre et faire comprendre la beauté de la morale chrétienne, enracinée dans le seul amour de Dieu, rejaillissant sur sa créature.

Pour en revenir finalement à ces questions de morale sexuelle, il serait absurde d'appliquer à un couple d'époux les propos que les Pères tiennent contre les gnostiques. Au IIè et au IIIème siècle, Epiphane lutte contre les gnostiques (dans le "Panarion"), qui utilisent la contraception masculine (onanisme) dans le but de ne pas avoir d'enfants. Considérant effectivement que le corps est le tombeau de l'âme, engendrer un enfant, ce serait emprisonner une âme dans un corps - lors même que l'enjeu de leur croyance est de libérer l'âme du corps, afin qu'elle retrouve son lieu originaire, le ciel. La sexualité est encouragée dans ces sectes mais la procréation est ce qui est mauvais... Conception étrange mais éclairante quand on pense à la conception de la sexualité actuelle. Epiphane commente: "leur recherche effrénée de la séduction a pour but le plaisir, et non la procréation". Hum hum. N'allez pas conclure que la morale chrétienne est l'inverse (sexualité découragée, procréation comme seul but): d'un extrême à l'autre, on peut peut-être trouver un juste milieu, et j'ai tendance à croire que le christianisme aime les justes milieux... Héritage aristotélicien sans doute, mais qui colle à la conception évangélique du monde. D'ailleurs, la tempérance est, je vous le rappelle, une des quatre vertus cardinales (celui qui me cite les trois autres a le droit de rejouer). Mais en revanche, la lecture des Pères, qui soutiennent des positions de principe très extrêmes de ce type, doit se faire à la lumière du débat avec les gnostiques et les manichéens. En fait, leur position n'est pas si sévère, évidemment, quand il s'agit de parler du mariage chrétien et de l'amour conjugal. Il faut comprendre les enjeux de leurs propos à cette époque...

Je vais arrêter là ces considérations déjà bien longues, mais qui nous ouvrent à de nombreuses questions morales passionnantes: en, particulier, je pense qu'un débat sur l'idée de la transmission du péché originel par l'engendrement serait intéressant. Il s'agit d'un point que je ne parviens pas à comprendre - et pourtant, le Catéchisme est très clair.
Si vous voulez des précisions ou les textes du cours de M. Pouderon, je me tiens à votre disposition...

08 février 2006

"S'il y a un sens du réel, il doit y avoir aussi un sens du possible"

"Pour une manière d'introduction" :

"Quand on veut enfoncer les portes ouvertes avec succès, il ne faut pas oublier qu'elles ont un solide chambranle".

Lorsque l'on décide d'enfoncer une porte ouverte - au hasard, de se lancer dans l'aventure improbable, et bien dans l'air du temps, de l'écriture d'un blog, à quel chambranle -solide- risquons nous de nous heurter?

Il y certes bien longtemps que nous avons quitté le merveilleux monde de l'adolescence, ses moments exaltés passés avec son journal intime, la lecture de Starclub, 20 ans et Mobshop, les réglements de compte entre copines dans les toilettes du lycée, les temps bénis où Skyrock était notre fond sonore et culturel, où les absences des profs nous réjouissaient, etc. etc. je m'arrête ici car cela doit vous rappeller des souvenirs, sûrement un peu douloureux. Loin de nous ces temps d'angoisse et de désespoir ou le mépris de soi s'accompagne d'un égoïsme nécessaire.

Alors, pourquoi une telle démarche, dans laquelle on peut déceller le signe du temps de l'exhibitionnisme, le désir non avoué de se mettre à nu et de se livrer au premier venu?
La curiosité peut-être?
L'aspect romanesque de l'aventure, placée sous l'égide d'Ulrich et son caractère mystérieux?
La complicité fraternelle Pellerinesque que vous connaissez tous!
André Gide, Simone Weil, Jésus Christ bien sûr...
Pourquoi pas un peu d'intelligence et de culture dans ce monde de brutes?
Et puis, il y a des gens très bien qui bloggent! Au hasard, Jean-Baptiste, l'évêque de Nice ou le provincial dominicain de la province de France. Que du beau linge, quoi.

Je ne vous cache pas que de ma part, il y a un pari à la base de ce petit coup de folie:
l'Esprit Saint peut enfoncer les portes ouvertes...

Enfin, que dire du sens du réel et du sens du possible? "le possible ne comprend pas seulement les rêves des neurasthéniques, mais aussi les desseins encore en sommeil de Dieu"

L'exercice existentiel, par excellence, n'est-il pas dans le discernement constant de ce qui, dans la réalité de notre existence, relève de la réalisation de l'un ou l'autre de ces possibles ?
La relecture de vie pourrait peut-être être désignée, avec le soutien inatendu de Musil, par cette interrogation:
Est-ce que la réalité que je mets en marche aujourd'hui est du domaine de la neurasthénie, ou réveil de ce qui sommeille en Dieu?

Question sur laquelle je vous laisse méditer.