27 septembre 2006

Dieu contre Babel : pour un enracinement et une quête de l’horizontalité !

(Suite et fin, attention c’est long !)
La réaction de l’homme n’est pas exactement celle que Dieu avait voulue ; et, d’ailleurs, sa réaction ne se fait pas attendre. Mais pourquoi ce Dieu que l’on nous dit « d’amour » - selon le message christique - sème-t-il une telle pagaille ? Je vous accorde qu’il y a de quoi devenir marcioniste !
Tout d’abord, je voudrais souligner l’immense estime de Dieu envers l’homme : « Yahvé descendit pour voir la ville et la tour que les hommes avaient bâties. Et Yahvé dit: "Voici que tous font un seul peuple et parlent une seule langue, et tel est le début de leurs entreprises! Maintenant, aucun dessein ne sera irréalisable pour eux. Allons! Descendons! ». Non seulement, notre Dieu vient aux nouvelles, mais en plus, il est épaté par les œuvres humaines.
Je pense qu’en un sens, Il a un peu peur, parce qu’Il constate la capacité de l’homme à construire, et sa force. Seulement, cette construction n’est pas une bonne chose pour l’humanité ; pour les deux raisons que nous avons soulignées : elle ne conduit pas à habiter la création, ni à assumer la condition humaine, mais à fuir le problème. Alors, comme à chaque fois dans ces cas là – et aussi dans la vie spirituelle, Dieu prend des moyens pour nous mettre face à nos responsabilités ! Et nous éviter de gaspiller nos forces dans des projets qui seront sources de passions et de frustrations.
Ce geste de division, qui est d’habitude la spécialité du Malin, Dieu s’en saisit donc pour le bien de l’humanité ! Je m’explique la décision de division et de dispersion comme une double réponse de la part de Dieu aux deux mouvements de l’homme dans ce texte :
(1) La volonté de verticalité. C’est un peu comme si Dieu disait à l’homme : « vis donc cet horizon que je t’ai donné plutôt que de chercher à vivre selon le mien ; tu n’y parviendra pas ! » Dieu apprend peu à peu à l’homme que sa participation à la verticalité et sa vocation transcendantale, ne pourront jamais découler d’une tentative de fuite devant la vie terrestre horizontale et la condition humaine. [D’où critique féroce de ma part d’un christianisme de la fuite de l’« Ici bas » au profit d’un « Au-delà » ; je suis Simone Weilienne à fond, je crois dur comme fer à l’enracinement de l’homme dans l’univers !] Dès lors, la condition de l’accès à la verticalité est bien l’Assomption de l’horizontalité : comprenez, la Croix de Jésus, synthèse géniale, où se rencontrent la condition horizontale de l’homme et le jaillissement vertical de la vie qui vient de Dieu ! C’est bien parce que le Christ a assumé la condition humaine jusqu’à la mort que l’homme peut entrer dans la verticalité de Dieu.
(2) La recherche de l’unité protectrice. Dieu veut montrer à l’homme que la nouvelle Arche n’est pas la ville de Babel construite selon l’humaine mesure. Elle est à la mesure de Dieu : c’est la Création elle-même. Dieu a donné la Création à l’homme pour qu’il l’habite, qu’il s’y enracine, et l’aime selon sa bonté. L’homme, rassemblé dans une unicité, est sécurisé, et se complaît pour ainsi dire en lui-même ; cela ne saurait le faire vivre sans l’étouffer, à la longue… Dieu le pousse au large, vers les étendues inconnues du monde à habiter.
En ce sens, je suis d’accord avec G L qui dit que Babel est « le moment où Dieu institue la différence comme constitutive du monde ». Cependant, on ne peut affirmer que cette division corresponde à un anathème jeté de toute éternité sur « tout dessein d’unification » ! L’unification est faite par le Christ qui réunit tout en Lui sur la Croix ; l’homme qui croit pouvoir unir par ses propres forces se trompe, il sera la proie du désespoir. Dieu disperse l’homme pour le pousser à faire l’unité dans la différence, selon le modèle Trinitaire (j’en reviens toujours aux mêmes convictions !) ; et ce qu’Il brise n’est pas une unité en soi, mais une unicité. De toute éternité, l’Unité est en Christ, en qui tout a été fait, le ciel, la terre, le visible et l’invisible.
***Amen, amen, amen, gloire et louange à notre Dieu, à son Verbe adoré, à son Esprit très vivifiant !

De la tentation de la fuite : Babel comme une tour d’ivoire

J’ai commis une grave antithèse en rendant « triste » notre « Gai » Luron. Ayant commencé une petite exégèse toute personnelle et très réjouissante de la Genèse, j’accède à sa supplique et continue donc, sautant quelques épisodes, pour en arriver à celui qui est l’objet de son attention : Babel. Texte court, archi court, lapidaire ; mais quelle puissance mythologique !

Cf. traduction de la Bible de Jérusalem, Gn 10, 32 - 11, 9 :
« Tels furent les clans des descendants de Noé, selon leurs lignées et d'après leurs nations. Ce fut à partir d'eux que les peuples se dispersèrent sur la terre après le déluge. Tout le monde se servait d'une même langue et des mêmes mots. Comme les hommes se déplaçaient à l'orient, ils trouvèrent une vallée au pays de Shinéar et ils s'y établirent. Ils se dirent l'un à l'autre: "Allons! Faisons des briques et cuisons-les au feu!" La brique leur servit de pierre et le bitume leur servit de mortier. Ils dirent: "Allons! Bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet pénètre les cieux! Faisons-nous un nom et ne soyons pas dispersés sur toute la terre!" Or Yahvé descendit pour voir la ville et la tour que les hommes avaient bâties. Et Yahvé dit: "Voici que tous font un seul peuple et parlent une seule langue, et tel est le début de leurs entreprises! Maintenant, aucun dessein ne sera irréalisable pour eux. Allons! Descendons! Et là, confondons leur langage pour qu'ils ne s'entendent plus les uns les autres." Yahvé les dispersa de là sur toute la face de la terre et ils cessèrent de bâtir la ville. Aussi la nomma-t-on Babel, car c'est là que Yahvé confondit le langage de tous les habitants de la terre et c'est de là qu'il les dispersa sur toute la face de la terre ».


Je vous avoue que ce texte m’a longtemps intriguée. Il peut paraître contradictoire. Pourquoi Dieu divise-t-il l’homme ? Comme toujours dans l’Ancien Testament, on peine à comprendre les décisions divines ; normal, la Révélation n’en est qu’à ses balbutiements ! Comme toujours, il semble impossible d’expliquer le dessein divin sans passer par le spectre de la Croix. J’annonce d’ores et déjà que je n’y couperai pas ! Mais avant de me lancer, je me situe ; position de la critique.
Pour Bruno, Babel, joie, nostalgie ; chance pour les hommes. J’ai lu le texte qu’il consacre à l’analyse du livre de Steiner, Après Babel, sur Systar. Très, très intéressant ; surtout la fin, magnifique. Dommage qu’il n’aborde le problème que sous l’angle du langage. Pour Thibaut, Babel est le moment crucial où « Dieu refuse que l’homme l’égale » et que « l’Un se réalise sur terre ». En cela, il se situe à mi chemin de l’idée que je voudrais développer.


Il me semble, pour ma part, que Babel est le moment où Dieu va intimer une seconde fois à l’homme l’ordre d’habiter la Création. Il ne faut pas oublier que cet épisode se situe juste après le Déluge, qui n’est autre qu’une re-création de la terre par une préfiguration de l’eau baptismale. En ce sens, il est nécessaire que l’invitation pré-lapsaire : « croissez, multipliez vous, habitez la terre » doive se répéter.

Or, quelle est l’attitude des hommes ? Ils ont un mouvement de repli, au sortir de l’arche : ils se disent « Allons! Bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet pénètre les cieux! Faisons-nous un nom et ne soyons pas dispersés sur toute la terre! ». Deux choses ressortent :

(1) Le désir, non d’égaler Dieu, mais chercher à s’en approcher – ce qui peut être, comme le dit Bruno, tant fruit de l’orgueil que fruit de l’amour. Mais aussi, fruit de la peur du monde. En ce sens, les hommes rejettent l’horizontalité de la finitude donnée dans leur condition. Ils cherchent à s’élever, à verticaliser, par leurs propres moyens, dérisoires : « "Allons! Faisons des briques et cuisons-les au feu!" La brique leur servit de pierre et le bitume leur servit de mortier ». Donc : refus de l’horizontalité, refus de soi comme être fini, mortel.

(2) Peur de la dispersion : volonté de rester entre soi, dans le cadre du connu, du maîtrisé : « Faisons-nous un nom ». Il semble que les hommes, qui se multiplient alors selon la descendance de Noé, veuillent se tasser dans une nouvelle Arche, cocon protecteur face à l’immensité de la terre. Pour résumer, les hommes se ramassent et se serrent les uns contre les autres pour mieux s’élever. D’ailleurs il est significatif, ce thème de la tour, qui isole superbement des bas fonds et de la fange…

(A suivre...)

26 septembre 2006

De l’extension du domaine de l’indigène : 1943

Il y a bien longtemps que je ne me suis pas adonnée, sur ce blog, à ma passion pour S. Weil. Heureusement, notre ami Gai Luron me fournit une occasion en or pour revenir à ces amours pas si lointaines... Sur un sujet que vous me savez cher : le déclin du monde rural.
Le texte de l’Enracinement analyse philosophiquement ce problème ; or, ce qui est intéressant, c’est que S. Weil le traite sous l’angle du phénomène colonial et du concept de « déracinement ». On voit de façon frappante que cette interprétation est bien entérinée par les évènements actuels évoqués par Thibaut : la montée en puissance d’une culture du mémorial et une assomption de l’art « indigène » - musée du quai Branly en grandes pompes républicaines – et parallèlement, indifférence et mépris de la culture rurale, trame de notre société – clôture, en catimini, du musée des arts et traditions populaires. Et si les "indigènes" n’étaient pas seulement les « étrangers » ?
L’analyse de S. Weil montre que la société française se construit selon un modèle et un mode de fonctionnement qui exclut le peuple des campagnes, sans cesse rabaissé et dévalorisé au profit des citadins. Cette exclusion est entérinée par une indifférence de la part des intellectuels, concentrés sur le monde ouvrier :
Cf. E, in OE p. 1076 : « Il faut bien prendre conscience d'une des plus grandes difficultés de la politique. Si les ouvriers souffrent cruellement de se sentir en exil dans cette société, les paysans, eux, ont l'impression que dans cette société, au contraire, les ouvriers seuls sont chez eux. Aux yeux des paysans, les intellectuels défenseurs des ouvriers n'apparaissent pas comme des défenseurs d'opprimés, mais comme des défenseurs de privilégiés. Les intellectuels ne soupçonnent pas cet état d'esprit ».
Pour les paysans, les ouvriers sont des privilégiés, tout bêtement parce qu’ils sont en ville, eux, et que tout ce qui est important, intéressant, vivant, raffiné, intelligent, etc. est présenté comme venant de la ville. Cela est notamment vrai en ce qui concerne la culture commune.
Cf. E, in OE p. 1079 : « Le système actuel consiste à leur présenter [aux paysans] tout ce qui a rapport à la pensée comme une propriété exclusive des villes, dont on veut bien leur accorder une petite part, très petite, parce qu'ils n'ont pas la capacité d'en concevoir une grande. C'est la mentalité coloniale, à un degré seulement moins aigu. Et comme il arrive qu'un indigène des colonies, frotté d'un peu d'instruction européenne, méprise son peuple plus que ne ferait un Européen cultivé, il en est souvent de même pour un instituteur fils de paysans ».
Tout comme on a pu dévaloriser la culture des « colonisés », déracinant les âmes et les individus, leur imposant un modèle européen, on déracine, au sein même de la nation, un groupe social. Les paysans n’ont pas leur place dans la culture commune: celle de la télé et des journalistes (pauvre culture...
(à suivre…)

De l’extension du domaine de l’indigène : 2006

(Suite et fin...)
Quoi de neuf depuis 1943, année de rédaction du texte de S. Weil? Eh bien, la belle affaire, on fait enfin droit à la culture des indigènes à grands coups de bons sentiments, et on continue joyeusement de prendre les ruraux pour des ploucs.
Bruno me faisait remarquer, sur Systar, qu’aujourd’hui, il n’y a guère plus que sur les cathos que l’on puisse s’acharner sans craindre de retour de manivelle. Faux : je crois qu’il y a aussi les paysans, qui sont régulièrement la cible de médias essentiellement parisiens qui ne connaissent rien à la campagne et racontent tout bonnement n’importe quoi. Ca ne coûte rien de pourrir les paysans, et personne ne va dire « touche pas à mon pote » ! Le médias ne connaissent que l’image fantasmée du rural : image qui se décline sous trois modes réjouissants : (1) les ploucs attardés style pub pour le camembert rustique, rustauds mais gentils – bien braves, avec la nappe à carreaux rouges et le pot à lait (2) les « gros » agriculteurs productivistes qui touchent des millions de primes et qui inondent leurs cultures de pesticides juste pour le plaisir de polluer (3) l’héroïque « petit » agriculteur qui fait du bio en Ardèche, alter mondialiste style José Bové (arggg).
Le rural n’a droit de cité qu’à travers l’image fantasmée qu’en ont les citadins qui tiennent les rênes des médias. Je passe sur le mythe de la campagne havre de paix, de ressourcement ; en bref, parc de loisir et de détente pour le citadin stressé et pressuré. Celui-ci apprécie les moutons dans le paysage, mais va porter plainte lorsqu’il retrouve du crottin devant sa résidence secondaire. Admire les vignes proches de sa maison mais maudit le vigneron qui va traiter à 5h le matin parce que le temps est propice. S’énerve après la poussière pendant la moisson. Etc. Ah, et je ne parle pas des anglais qui font monter la pression foncière partout… si bien que les autochtones ne peuvent plus trouver à se loger chez eux. Grrrrr.
Je n’ai pas l’âme d’une militante, mais si vraiment il y a une cause qui me tient à cœur, c’est celle-ci : chercher des moyens concrets de réduire cet éternel hiatus dans la société française, qui prend à chaque époque un nouveau visage, entre monde urbain et monde rural. Je suis en train de me dire que la cause est vraiment désespérée, car je ne sais même pas à quel saint me vouer ! Peut-être à St Benoît. Les bénédictins ont tant fait pour la campagne. Mais c’était au moyen âge…
Spes, spes, spes !

22 septembre 2006

Petit écho des campagnes

Ah, mes amis, quelle joie que ce monde internétique pour une philosophe recyclée isolée dans sa campagne. La joie de l'émulation intellectuelle est décidément irremplaçable. Au fond de mon trou beauceron, je la dois pour beaucoup au blog
que je vous conseille fortement. J'y retrouve l'intelligence, la spiritualité et la légéreté qui commençaient à me manquer. Vous saisirez mieux mes discours et mes questions réponses en y trouvant le ou les interlocuteurs en question !
Au chapitre des régalades, je ne peux m'empêcher de partager avec vous ce petit bonheur qui n'a pas de prix:
Un article savoureux sur un ouvrage qui ne l'est sûrement pas moins, portant sur notre ami Onfray (le pseudo philosophe, pas l'ancien curé que l'on sait, évidemment, note destinée aux tourangeaux). Ecrit par un ami de l'auteur de ma première référence. De bien recommandables philosophes, voyez!
Pour continuer dans la cuisine, mon ami funny, qui me soigne décidément trop bien, m'a comblée de ce récit à se vautrer de rire:
Une perle de l'humour prêcheur. Qui donne envie, comme je me le dit souvent, de devenir dominicain, mais pas vraiment de devenir dominicaine... Mais bon, je suis née femme, il va bien falloir que je m'en accomode, vocationnellement parlant... Priez pour moi avec fidélité, car vous constatez qu'il y a du boulot!
Et, finalement, un excellent site sur Musil, que j'ai également placé dans mes liens.
Come on, come on, la chair est triste et l'Esprit n'attend pas!

Suite et conséquences de notre éxégèse comparative

De tout ce que nous avons déjà dit [c'est-à-dire, dans le post précédent, que je vous conseille fortement de lire, ndla] découle de grandes conséquences sur le point de vue sexuel. Il me semble effectivement que, contrairement à l’idée reçue, c’est bien chez Platon et non dans la Bible que le sexe est une conséquence de la faute. Surprise, étonnement, je m'étonne, je m'étonne moi-même...
Car les sphères, séparées par punition, se lancent dans une recherche frénétique de leur moitié, course qui n’a en fait d’autre but que de se satisfaire soi-même en retrouvant, dans l’union, un sentiment égoïste de fusion et de plénitude. Je dis bien un sentiment, parce que la fusion en tant que telle est perdue à jamais ! Cette image illustre parfaitement, il me semble, l’instinct érotique en notre être, qui cherche un contentement, un soulagement personnel, et qui à tendance à oublier l’Autre au profit de soi.
La Bible nous présente un tout autre discours ! L’homme et la femme, créés complémentaires, vivent une sexualité épanouie dans le jardin d’Eden. Pourquoi en serait-il autrement ? St Augustin, dans le De Genesis ad literram, nous dit que dans l’état pré lapsaire, nos premiers parents usaient de leur organes sexuels comme nous nous servons de nos mains et de nos poumons : sans arrière pensée ! La sexualité est NA-TU-RELLE ! Ce que le péché introduit, c’est, je le rappelle, la concupiscence et la mort. De là, le geste du vêtement après la faute : Adam et Eve s’aperçoivent qu’ils éprouvent désir et honte, sentiments et affects qui viennent troubler leur sexualité qu’il va désormais leur falloir contrôler… Les organes sexuels subissent le désordre du péché, comme les autres parties du corps humain.
En définitive, le Dieu de la Bible ne punit pas les hommes en leur infligeant la sexualité ! Cela serait quand même bien singulier ! La sexualité est bien le lieu de la rencontre entre deux altérités qui forment une unité, à l’image de la Trinité. Non une fusion auto satisfaisante. Rencontre voulue par Dieu qui est source de vie, qui ouvre sur la vie : d’où la multiplication de l’humanité.
J’ai été bien longue, et je ne reviens pas sur le mythe de Babel que abordé par le post de G-L et qui touche encore à d’autres points. Mais il me semble important de souligner combien, en fait, l’idée que la sexualité est mauvaise, fruit du péché, ne vient pas du christianisme mais de son interprétation néo platonicienne et stoïcienne. J’aurai l’occasion d’y revenir car c’est un sujet qui me tient à cœur.
Cher Gai Luron, vous souhaitiez des rectifications et des discussions sur vos propos : vous voila copieusement servi, trop peut-être, en tous cas j’attends moi aussi vos réactions. Et je me demande bien, au passage, ce que vous voulez dire lorsque vous lancez évasivement l’idée de « remeatio » : parlez vous de la sainteté, de la Parousie, de la résurrection des corps ou encore de l’apocatastase ? Ou alors est-ce un délire hégélien hermétique à mon pauvre esprit ? I need more explanation…
D’ici là, soyez dans la paix et dans la joie ! Gaudium, spes et jujubus !

Petite exégèse sans prétention - ou de la nécessaire distinction entre christianisme et platonisme

Notre ami Gai Luron, qui se revendique néo platonicien et hégélien, ouvre dans un récent post un débat passionnant. Ce jeune philosophe, n’oubliant pas la première loi du genre, l’étonnement, découvre avec surprise combien sont proches les récits des origines de l’humanité que l’on trouve chez Platon (dans le Banquet) et dans le livre de la Genèse. Hélas, comme des générations de philosophes, Gai Luron tombe dans le piège consacré : plaquer sur le christianisme les schémas platoniciens ! Erreur, fatale erreur, qui conduit à tant de malentendus sur la nature de la foi chrétienne ! En tant que prophète par l’onction de mon baptême, il me faut faire entendre la vérité sur la Révélation, et je ne peux taire les arguments qui se bousculent en moi pour démontrer à notre ami combien, en fin de compte, Yahvé se situe loin de Zeus…

D’autant que cette interprétation platonicienne de la Genèse porte de lourdes conséquences morales. Ce qui est en jeu, effectivement, c’est une question cruciale pour l’humanité : celle de la différence des sexes ! Et celle, qui en découle et qui nous taraude tant, de la sexualité humaine. Examinons donc ce que ces deux mythes des origines nous disent de la différenciation sexuée, et nous aurons peut-être de nouvelles surprises.

Je me replonge dans mon Banquet, 189d-191d (je ne cite pas le texte que vous trouvez dans le post de Gai Luron, la traduction de Luc Brisson est valable). Ce qui me frappe, c’est l’autosuffisance des hommes créés, parfaitement manifestée par leur forme sphérique. Or, la sphère est dans le vocabulaire symbolique (qui est celui du mythe) la perfection, la plénitude. A ce moment de l’humanité, la différence des sexes est présente, mais de façon fusionnelle puisque les individus sont confondus, et pleinement satisfaits. Il n’est pas question d’une recherche mutuelle, d’un désir de rencontre entre les individus – il est simplement question de leur mode de déplacement personnel ! Cette auto satisfaction et l’orgueil des hommes est une offense pour les Dieux : d’où cette PUNITION de la part de Zeus, qui sépare les sphères.
Or, dans la Genèse, on trouve un schéma complètement différent ; même si, effectivement, l’homme, « Adam », est le « glèbeux », le fils de la terre, à l’image de Dieu. Effectivement, que se passe-t-il ? Prenons le deuxième récit de la Création (Elohiste) en Gn 2. A ce moment des origines, Adam est modelé par Yahvé. Il faut noter que ce n’est pas Adam en tant qu’homme qui existe alors, mais en tant que GENRE : l’humain ; puisqu’il n’existe évidemment pas encore de différence sexuelle (NB : argument inéluctable contre lequel toutes les féministes du monde devraient s’incliner ! L’homme n’est pas créé avant la femme, et ce n’est pas le signe d’une prétendue supériorité mâle instituée par ce poison de judéo christianisme : au contraire, la création de la femme est l’acte qui créé l’homme en tant que mâle, puisqu’elle fait apparaître le sexe masculin par différence avec le sien).
Dieu, nous l’avons dit, a créé l’homme à son image : c’est-à-dire ouvert sur l’autre et capable d’aimer. Il s’avise du fait que, l’homme étant ainsi, il est impossible qu’il soit seul sur terre. Alors, Il créé les animaux ; c’est-à-dire, la différence des espèces.
Cf. Gn 2, 18-20 : « Yahvé Dieu dit: "Il n'est pas bon que l'homme soit seul. Il faut que je lui fasse une aide qui lui soit assortie." Yahvé Dieu modela encore du sol toutes les bêtes sauvages et tous les oiseaux du ciel, et il les amena à l'homme pour voir comment celui-ci les appellerait: chacun devait porter le nom que l'homme lui aurait donné. L'homme donna des noms à tous les bestiaux, aux oiseaux du ciel et à toutes les bêtes sauvages, mais, pour un homme, il ne trouva pas l'aide qui lui fût assortie ».
Mais l’homme ne peut se satisfaire des animaux, de ces autres dans lesquels il ne se reconnaît pas. La différenciation des sexes provient donc de ce fait : l’homme est, à l’image de Dieu, un être en recherche, et il a besoin d’une altérité qui soit la fois proche de lui, de même nature, et mystérieuse, différente. Voila pourquoi Dieu fait apparaître au sein du genre humain une différence :
Cf. Gn 2, 21-23 : « Alors Yahvé Dieu fit tomber une torpeur sur l'homme, qui s'endormit. Il prit une de ses côtes et referma la chair à sa place. Puis, de la côte qu'il avait tirée de l'homme, Yahvé Dieu façonna une femme et l'amena à l'homme. Alors celui-ci s'écria: "Pour le coup, c'est l'os de mes os et la chair de ma chair! Celle-ci sera appelée "femme", car elle fut tirée de l'homme, celle-ci!" ».
L’homme, le « masculin » né de la création de la femme découvre aussitôt leur différence et leur commune origine. On se trouve donc dans un schéma complètement différent du platonisme, où la séparation des sexes est liée à une punition divine ! Ici, Yahvé créé l’altérité au sein de l’humanité, afin que l’homme soit vraiment à son image, Lui qui est altérité et unité au sein de la Trinité. Comme Dieu est Un et Trois, l’homme et la femme sont appelés à être deux et un : Cf. Gn 2, 24 : « C'est pourquoi l'homme quitte son père et sa mère et s'attache à sa femme, et ils deviennent une seule chair ». Je me rapporte pour étayer mon propos à la grandiose encyclique de Benoît XVI :
Deus est Caritas, paragraphe 11 : « À l’arrière-plan de ce récit [la Genèse], on peut voir des conceptions qui, par exemple, apparaissent aussi dans le mythe évoqué par Platon, selon lequel, à l’origine, l’homme était sphérique, parce que complet en lui-même et autosuffisant. Mais, pour le punir de son orgueil, Zeus le coupe en deux, de sorte que sa moitié est désormais toujours à la recherche de son autre moitié et en marche vers elle, afin de retrouver son intégrité. Dans le récit biblique, on ne parle pas de punition; pourtant, l’idée que l’homme serait en quelque sorte incomplet de par sa constitution, à la recherche, dans l’autre, de la partie qui manque à son intégrité, à savoir l’idée que c’est seulement dans la communion avec l’autre sexe qu’il peut devenir «complet», est sans aucun doute présente ».
De fait, l’homme biblique ne recherche pas une unité perdue dans une fusion comme les êtres de Platon : il recherche à faire l’unité dans la différence
– ce qui est nettement plus à sa mesure et digne de lui, non ?

A suivre... je divise mon propos interminable pour vous le rendre plus digeste!

De la lecture – ou : quel est l’appétit de votre âme ?

Ayant terminé la lecture, d’une traite, de Constance D., attirée par l’enthousiasme de Thibaut, je prends quelques temps de réflexion sur l’acte même de la lecture. Il s’agit bien sûr pour moi de répondre aux ironiques commentaires d’un bloger amateur d’Amélie Nothomb, qui s’est offert le chic de me tourner en ridicule ! Crime de lèse majesté, parce que j’avais affirmé qu’une telle lecture n’apportait nulle nourriture à l’âme… je me permets donc de lui répondre dignement, quoique, qu’il le note, je ne lui en veuille pas ; ayant été parfaitement défendue et comprise par l’auteur du blog en question qui a parfaitement remis les choses en place, et je l’en remercie.
Il m’a quand même fallu, je vous l’avoue, quelque temps pour digérer le fait que ce jeune homme m’ait taxé - sous deux angles différents - de puritanisme ! Ce qui ne me caractérise pas vraiment, ni non plus ma bibliothèque, où S. de Beauvoir (la pécheresse) n’est pas rangée bien loin de F. Varillon s. j., de notre cher ami Baruch le maudit et de tous ses petits camarades rigolos. Mais il convient de décortiquer sereinement les termes de la disputatio.
Chercher une nourriture spirituelle dans un livre serait donc compris comme un puritanisme, en deux sens : un « sujet spirituel » serait forcément catho et gnagnan (mon détracteur me renvoyant à la Légende Dorée et au Génie du Christianisme, qui semblent être à ses yeux les parangons du genre « spirituel » ), tandis qu’une « lecture spirituelle » serait forcément celle d’une langue et d’un style irréprochablement précieux et désuets (d’où un baise main du jeune homme, qui décidément se paye ma tête jusqu’au bout, comme si j’étais une vieille fille provinciale romanesque ! Grrrrrrrr).
Or, Gai Luron l’a bien compris, l’âme ne se satisfait ni de grands sentiments ni de pirouettes stylistiques, si ceux-ci ne renvoient pas à une profonde expression de l’humanité. Ce dont il est question, ce dont nous avons soif - et je ne peux que reprendre les termes de mon vaillant défenseur que je trouve parfaits – c’est de trouver dans la lecture « un élément de l’universel, voire de l’absolu », une restitution « d’une part de l’universelle condition humaine à travers la particularité d’une âme », « une part d’universalité ou d’absolu qui nous arrache à nos particularismes ».
A mon sens, lire un roman est sur le plan du sentiment et la sensibilité le même acte de rencontre de l’altérité que celui qui nous tentons d’accomplir, sur le plan rationnel, lorsque nous étudions la pensée d’un philosophe et que nous en nourrissons notre raison, lui permettant ainsi de forger, selon la métaphore cartésienne, ses propres outils, grâce au dialogue avec la pensée d’autrui. Ne construisons-nous pas notre sensibilité par la rencontre romanesque ? Ce qui va combler notre âme, c’est la rencontre d’une autre âme. C’est là, à mon sens, ce qui distingue un livre intéressant d’un livre passionnant, absorbant. J’ai souvent été frappé par l’impression, en fermant un livre, de quitter un monde, des personnes. Qui m’accompagnent ensuite et m’entourent bien souvent dans les circonstances de ma vie ! Vous me direz, et c’est juste, que cela est surtout dû à mon hypersensibilité et à l’intégrité de mon caractère. Certes, on peut aussi penser à Mme Bovary feuilletant lascivement de niais keepsakes. C’est vrai, je l’avoue, je suis amoureuse du prince André Bolkonski et je jalouse Natacha Rostov ! Quand je vois des vaches, je pense aussitôt à Zarathoustra. Ainsi de suite. Il est vrai aussi que la lecture de Vie et Destin m’a permis de comprendre le drame de la guerre et du totalitarisme mieux que tous mes cours d’histoire. Voila ce qui est nourriture pour l’âme ! Un enchantement du monde, une communion spirituelle avec ces autres qui ont pensé, vécu, écrit, qui nous accompagnent, remettent en question nos petits schémas.
Alors, Amélie Nothomb dans tout ça… Elle m’offrit quelque distraction durant une heure de ma vie (car ses livres sont si peu denses qu’on les termine avant même de les avoir ouvert). Ce n’est déjà pas si mal…

20 septembre 2006

D’un hégélianisme… à rebours

Ce petit fou fou de Gai Luron, s’appuyant sur une instable démonstration bâtie entre mon sandwich de midi et mes instances du jour, a cru découvrir en moi, avec joie, un improbable fond d’hégélianisme ! Surprise, étonnement, pour la minable en moi qui n’a jamais pu pénétrer réellement dans cette pensée éreintante. Philosophe ratée, sans doute, sauvée par votre enthousiasme ! Vous me faites penser, m’assimilant brutalement à vos propres schémas, à ces chrétiens qui ne peuvent entendre les athées exprimer une parole de vérité sans les taxer immédiatement de chrétiens qui s’ignorent !
Hégélienne par accident, je revendique donc, cher ami, mon droit à penser indépendamment de Hegel - in Christo Jesu, selon l’expression chère au père Teilhard de Chardin. Et je vais donner pour ma défense quelques précisions sur ce que j’ai si vite et si mal exprimé.
Quand j’ai écrit ce texte, j’avais en tête non pas le sens gnoséologique du verbe connaître mais son sens biblique : la co-naissance, le « naître avec », qui implique bien sûr une connaissance intime, mais moins sur le plan du « savoir » que sur celui du « pâtir ». Tout comme l’homme et la femme qui se « connaissent » dans la relation amoureuse charnelle ne connaissent pas, et ne pénétreront jamais, l’être de l’autre sous le mode du « savoir », mais bien sous le mode de la passion, du vécu de la chair, du sentir à l’unisson : telle est pour moi la connaissance apportée par l’Incarnation au Très Haut.
Mon discours, brouillon, laissait entendre, comme vous me le soulignez justement, qu’il puisse y avoir un progrès dans la science de Dieu. Ce qui est impossible à concevoir ! Dieu est omniscient : de toute éternité, Il a connu et Il connaît par son être même, qui est en un sens, une opération intellectuelle infinie, tous les possibles du créé (je vous avoue que je suis plus leibnizienne qu’hégélienne !). Dieu connaît tout de l’homme, Il sonde les reins et les cœurs. Déjà, dans le sein maternel, Il tisse l’individu, Il le contemple amoureusement. Pré-voit ses actes. Ce que l’homme actualise dans sa vie n’est donc pas source d’une connaissance pour Dieu.
Est-il alors juste de penser que Dieu « connaît » l’homme en naissant dans la chair ? Que pourrait donc apporter l’Incarnation à Dieu ? Je crois qu’elle le projette au cœur de l’altérité absolue, non dans une visée cognitive, mais bien dans une visée passionnelle. Car Dieu n’est pas uniquement intelligence pure ; Il est Amour, et l’amour recherche son objet avec patience.
Ainsi, s’Il n’apprend rien de l’homme qu’Il ne sache déjà de toute éternité, Dieu dans ses trois personnes va souffrir, va compatir, découvrir sous un mode perçu le vécu de l’homme grâce à l’Incarnation. Le Christ fait passer au Père son vécu humain, quoique le vécu soit irréductiblement individuel. Pour reprendre les termes de Merleau-Ponty, il y a une transposition aperceptive dans le vécu ; le vécu est intransposable d’un être à l’autre. Sauf dans le cas de trois Personnes qui sont une unique substance… La Trinité ! Lorsque donc le Fils vit et souffre les joies et les douleurs des hommes dans sa chair, le Père qui n’a pas de chair éprouve à la fois ce que le Fils expérimente – car Ils sont de même substance ; mais Il éprouve aussi la distance qui les sépare puisque Lui est sans chair ! Il s’agit d’une empathie, non fusionnelle, conceptualisée chez Edith Stein comme « Einfühlung ».

L’amour jaloux de Dieu pour l’homme va donc se transformer, par la vertu de l’Incarnation, en compassion miséricordieuse. Ne changeant pas, n’évoluant pas, Dieu s’ouvre totalement et passionnément à l’homme sur la Croix - comme les époux s’ouvrent l’un à l’autre au soir de leurs noces. On retombe alors, cher Thibaut, non sur la thèse d’un déploiement du divin qui accroîtrait sa connaissance grâce à l’Incarnation, mais sur celle, controversée, du Patripassianisme : reprenant les sulfureuses intuitions d’Origène et passant par St Bernard de Clairvaux. Il faut bien préciser là encore, coupant court à vos objections, que Dieu n’est pas passible par nature comme nous le sommes, êtres de finitude ! Il est, souligne Bernard de façon intraduisible dans le sermon 26 sur le Cantique, « compassible quoiqu’impassible » : « Porro impassibilis est Deus, sed non incompassibilis » ! On touche là le nœud du problème : Dieu n’a pas besoin de l’homme par nature mais par élection, Il choisit de se laisser toucher. L’homme ne Lui apporte rien, mais son amour passionné le pousse à tout lui donner.
Je ne peux conclure, et j’ai été bien longue, contrairement à mes habitudes, que sur cette image sulpicienne si mal estimée du Sacré Cœur, brûlant d’amour et ouvert à toute passion, joie ou détresse. Sur l’image d’un Dieu qui n’a rien appris, mais qui compatit si totalement qu’Il donne tout, jusqu’à l’eau de son côté…

09 septembre 2006

Vacances à Rome

Ah, je partirais bien à Rome du 17 au 26...

Mais non, mais non, ce n'est pas un culte de la personnalité! Pour preuve, les textes d'aujourd'hui sur la paternité spirituelle des apôtres...

Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 4,9-15.

"Je ne vous écris pas cela pour vous faire honte, mais pour vous reprendre comme mes enfants bien-aimés. Car vous auriez beau avoir dix mille surveillants pour vous mener dans le Christ, vous n'avez pas plusieurs pères : c'est moi qui, par l'annonce de l'Évangile, vous ai fait naître à la vie du Christ Jésus".

Bon et on honore son père spirituel comme on honore ses parents. Un sujet qui ne finit pas de m'inspirer. Bon, je vous sens perdus dans mes délires (à part notre Funny Friend évidemment). Allez donc faire un tour sur le site du diocèse de Meaux... et sur l'agenda de notre Mgr préféré...

05 septembre 2006

A la mesure de Dieu

Sous le regard de la petite Thérèse du Carmel



Ce qui caractérise l’hétéroclite petit club d’initiés qui aime à jacter sur ce blog, c’est peut-être bien la mégalomanie. Pour tout vous dire, j’en suis fière, de ce côté mégalo revendiqué. Il me semble que la démesure a quelque chose de sacré en ce qu’elle est, précisément, un attribut de Dieu.
Ne sommes nous pas créés à son image ? Le Christ n’a-t-il pas accompli l’acte le plus démesuré qui soit afin de nous permettre d’entrer dans cette démesure divine ? Dieu est démesure d’amour, de gloire, de splendeur, d’intelligence. Démesure est sa création, son Verbe et sa force. Peut-être nous a-t-il créés pour participer de cette démesure… Il nous y a restaurés par la Croix. Vivre avec Dieu c’est éprouver un continuel vertige, devant l’infinité de ce qui nous est donné, de ce que nous pouvons donner. Devant cette démesure qui emporte peu à peu nos petites crispations dans un océan de confiance.
Oui, je suis convaincue qu’il est juste et bon de croire que nous sommes dignes de participer à cette démesure, et qu’il y a une folie des grandeurs qui fait grandir dans la joie du Royaume. La limite de cette mégalomanie spirituelle étant, bien entendu, fixée au moment où nous mettons notre gloriole personnelle devant la Gloire éternelle de Dieu – ce qui ne manque pas de survenir, régulièrement, Satan ayant de la ressource.
Nous avons donc la belle mission de construire notre existence sur ce fil tendu entre humilité et mégalomanie. Si « la gloire de Dieu, c’est l’homme vivant » [1], nous n’avons pas le droit de vivoter et de nous complaire dans une souple médiocrité. Nous ne serons jamais heureux si nous construisons notre petite vie selon notre petite mesure. Vivons de grandes choses, vivons à la mesure de Dieu ! Une petite existence comme la notre, est appelée par le Ressuscité à passer par la démesure divine. Une petite vie à la mesure de Dieu…

[1] NB: j’offre un carambar au premier qui me cite l’auteur de cet illustre adage

D’une possible réalité et d’une réelle possibilité

Coincoin, notre néophyte, me demande quelques éclairages sur ce que j’entends par « philosophie du réel ». Vaste problème, qui engage mon expérience de la philosophie, ma lecture de Musil et mon entrée dans le mystère eucharistique. Tisser un lien cohérent entre ces trois points semble improbable ?
Mes études m’ont convaincue d’une chose, c’est que la philosophie est une science au même titre que la physique ou les mathématiques. Une science, en ce qu’elle permet de comprendre les mécanismes à l’oeuvre dans le monde qui nous entoure, grâce à des outils de mesure, de dé-construction et de re-construction : les concepts. Tout comme, en science « dure », on trouve des paradigmes liés à une époque et à un contexte, les grands philosophes proposent des tissus de compréhension du réel. De fait, j’entends par philosophie, avant tout, une technique du réel. Technique qui permet à l’homme de prendre des moyens pour s’approprier ce qui l’entoure, de se construire et de construire le monde. Qu’en est-il, cependant, du possible ?
Je ne vais pas m’étendre sur Musil et réserver cette partie de plaisir pour une autre fois. Mais, pour resituer les choses à grands traits dans l’histoire de l’humanité, je me réfère souvent à ce que me répétait mon professeur d’université, M. Mongis, qui m’a beaucoup éclairée. Il nous soulignait la tension philosophique, depuis l’époque cartésienne, contenue dans la question que nous pose notre rapport au monde. La philosophie médiévale, placée au regard de la théologie, ne mettait pas en question la réalité du monde créé par Dieu – réalité au sens de vérité aussi bien que d’effectivité. Avec les bouleversements liés à la renaissance se produit une rupture : le rapport véridique de l’esprit au monde n’est plus garanti. Qu’est-ce qui m’assure de la réalité de ce qui m’entoure ? Est-ce que je ne vis pas un rêve éveillé, évoluant dans un monde d’idées ? Je brosse à gros traits mais il y aurait beaucoup à dire. Fondamentalement, et je ne vous apprends rien, il me semble qu’une pensée réaliste s’oppose à un idéalisme. L’enjeu étant, simplement, de poser le problème de l’être au monde de la créature humaine.
D’où ce défi : découvrir ce qui fait le lien entre l’homme et le monde, quelle est la zone de contact entre ma conscience, ma perception du monde, et ce réel qui insiste. Il me semble que chaque penseur apporte sa réponse personnelle à cette question. J’ai essayé de montrer, dans mon travail sur S. Weil, que pour elle, ce lien se trouve dans le travail, où l’homme éprouve la réalité du monde, en tant que le monde l’éprouve, le prend dans son mécanisme régi par la force physique. Et aussi, en tant que par le travail, l’homme est présent au monde de façon eucharistique. Car il faut bien arriver à cette présence réelle, effective, de Dieu au monde, qu’est l’eucharistie.
Tout cela est fort schématique, mais j’y reviendrai suivant vos questions. Il faudrait aussi aborder la fameuse distinction entre wirklichkeit et realität. Mais il me semble qu’il y a sur ce blog des kantiens plus honorables que moi… je ne brigue pas ce mandat !