31 mars 2008

"Il arriva sans avoir été attendu..."

Solennité de l'Annonciation du Seigneur

"Il arriva sans avoir été attendu, il vint sans avoir été conçu. Seule la mère savait qu'il était fils d'une annonce de la semence portée par la voix d'un ange. [...] Seules les femmes, les mères, savent ce qu'est le verbe attendre. Le genre masculin n'a ni constance ni corps pour héberger des attentes. Je mesure la circonstance aggravante que représente l'ignorance physique de la forme du verbe attendre"
Erri De Luca, Noyau d'olive, "Avent", 2002,
éd. Gallimard 2004 pour la traduction française,
repris en Folio, 2006.


L'Annonciation de Nicolas Poussin, que l'on peut admirer en ce moment au musée des beaux-arts de Lyon dans le cadre de la belle exposition autour de l'acquisition de la Fuite en Egypte, manifeste avec plénitude la capacité d'accueil de Marie - qui est aussi une attitude d'adoration. On est bien loin de la surprise que décrivent les évangiles: la jeune femme s'abandonne totalement à la force de Dieu que le dynamisme du corps tendu de l'ange semble incarner. Je reste très frappée par la position très inhabituelle du corps de la vierge, assis en tailleur, jambes écartées (!) dans un équilibre serein.
Au fond, le rideau qui évoque toujours le voile du temple qui se déchirera lors de la crucifixion, mais dont le retombé appelle également la tente de la rencontre où Sarah reçoit l'annonce de sa maternité.

Ma Dolto, par Sophie Chérer


Voici le texte d'une recension réalisée à la demande de la revue
Paysans, à laquelle je collabore depuis peu.

On ne naît pas psychanalyste, on le devient ; tel pourrait être le leitmotiv de ce livre à la forme atypique qui paraît à l’occasion du centième anniversaire de la naissance de Françoise Dolto. L’occasion de revenir sur un héritage aujourd’hui controversé, et sur une vocation révolutionnaire.


Comment devient-on psychanalyste ? Et plus loin, comment devient-on psychanalyste pour enfants ? Si c’est bien le fait de réaliser sa propre analyse qui forme l’analyste, on peut supposer que c’est l’enfance de Françoise Dolto qui a déterminé sa vocation : « docteur d’éducation » déclarait-elle vouloir être, toute enfant. Et le parti pris de narration de Sophie Chérer – elle-même auteur pour enfant - prend l’enfance comme fil directeur, agrégeant autant de chapitres biographiques nourris de lettres, de souvenirs de Françoise Dolto, que de passages à proprement parler autobiographiques, et de récits d’analyses d’enfants réalisées par la grande psychanalyste. Un ensemble parfois un peu lâche, mais très accessible, dont les récits au style direct et simple qui portent une même certitude : ce qui est en jeu, c’est une éclosion, la mise au jour de forces de vie retenues par un barrage de non-dits ou de mensonges qui empêchent la personne qu’est l’enfant de vivre en cohérence avec le monde qui l’entoure.

Françoise Dolto le sait depuis son enfance : les enfants comprennent tout. Tout, et surtout ce qu’on voudrait leur cacher ! C’est pourquoi, dès les années 40, elle se consacre à la « cause des enfants », proposant aux adultes une révolution fondamentale dans leurs conceptions de l’éducation. Et les plaçant par la même occasion dans une délicate position. Après Dolto, il va falloir apprendre à équilibrer la délicate balance de la compréhension des enfants avec le poids encombrant de l’autorité des adultes. Au risque de l’évacuer tout à fait. Apprendre à considérer l’enfant comme une personne à part entière, en conscience, mais une personne en puissance, dont les forces de vie et de mort ne sont pas encore canalisées. Prendre au sérieux l’enfant et maintenir, face à lui, l’adulte.

La grande force de Françoise Dolto, telle que la donne à voir Sophie Chérer, est d’avoir senti battre ses blessures d’enfants, failles originelles de l’empathie et de l’analyse, au sein de sa vie d’adulte et de femme. Le prisme narratif de ce livre, classé non en biographie, non en sciences humaines, mais en littérature, permet d’entrer dans une connaissance intime de son héroïne et dans une compréhension vivante de la pyschanalyse. Sans échapper au risque hagiographique, dont les récits de guérison parfois miraculeuses sont porteurs, et à un certain didactisme un peu naïf mais non dépourvu de bon sens, qui nous rappelle combien nos vérités viennent de nos cœurs d’enfants.



Sophie Chérer, Ma Dolto, Paris, éd. Stock, 2008, 303 p., 19 €.

"actu philosophia", première!

Un petit mot pour vous signaler ma première contribution au site actu philosophia, lancé par mon ami Thibaut Gress avec le soutien technique de Jean-Baptiste Bourgoin. Dédié, comme son nom l'indique, à l'actualité de la philosophie, il regroupe des recension d'ouvrages récents (trois ans maximum) ainsi qu'annonces de colloques, rencontres et publications. Le contenu est passionnant, les auteurs impressionnants (je ne parle pas de moi évidemment!) et la navigation sur les pages est, je trouve, pratique et agréable; n'hésitez pas à faire part de vos remarques à Jean-Baptiste.
Je ne suis pas peu fière de représenter la gent féminine sur ces pages où fraient de brillants et admirables jeunes hommes auprès desquels je vais tâcher de ne pas trop m'humilier. Je remercie donc le rédacteur en chef du site de me proposer aussi gentiment un projet très stimulant et surtout d'avoir confiance en la qualité de ma prose!

Comptez sur moi pour apporter à ce site ma légendaire Teletubbies' touch!

30 mars 2008

De l'indécence du doute à celle de la foi

Outre la première lettre de Pierre (1, 3-9) qui arrache au coeur une joie intense, ce dimanche de l'octave de Pâques nous propose de suivre pas à pas les retrouvailles du Christ ressuscité avec ses douze - enfin, onze - compagnons (Jn 20, 19-31). Lors de la première visite du Sauveur, Thomas est absent et il ne peut croire les propos - un peu surprenants, avouons le - de ses comparses.
D'où le thème de "l'incrédulité de Thomas" et l'invitation du ressuscité réapparu : "Plonge ta main dans mon côté: cesse d'être incrédule, sois croyant". Le texte ne précise pas si Thomas ose finalement fouiller les entrailles du Fils de l'homme; mais le Caravage (constesté) de Loches illustre de façon frappante l'indécence de l'incrédulité de Thomas. A laquelle s'associent d'ailleurs de façon amusante les deux autres larrons qui n'avaient peut-être pas eu le courage d'aller jusque là!



Si l'incrédulité de Thomas semble indécente, je suis très amusée par la façon dont la doxa catholique régnante inverse cette bienséance. Les homélies et introductions bravement anônées dans nos paroisses me surprennent toujours par leur lourde insistance à faire du doute un phénomène hygiénique, nécessaire à la foi, tout au moins inéluctable. Et Saint Thomas devient l'emblème de cette foi tatonnante qui "prend le doute comme compagnon de route" (sic), comme si elle n'avait pas les moyens de "cheminer" toute seule et qu'il lui fallait se modérer sans cesse pour avancer mieux.
On a l'impression très nette, devant cette débauche d'auto-complaisance faiblarde, que la conviction est une provocation indécente. Je peux affirmer que depuis mon baptême - et même avant - le doute n'a jamais été en moi quant à la résurrection du Christ, l'existence de Dieu, la possibilité du salut, etc. Je peux douter sans cesse de ma capacité à assumer cette révélation reçue, de la capacité de l'Eglise à en faire quelque chose qui soit bon pour ce monde, mais je suis convaincue que je ne douterai jamais de ces mystères auxquels il m'a été donné de croire.
Dans la foi comme dans la vie, il y a des points de non-retour, des certitudes dans lesquelles on habite quotidiennement - sur lesquelles on a pris d'assez bonnes assurances pour être certain que le ciel ne peut pas nous tomber sur la tête. Mais surtout, quelle entrave à l'action pratique! N'est-il pas plus urgent d'agir que de chercher des certitudes dans les hautes sphères? N'est-ce pas d'ailleurs l'épreuve du monde qui enracine en nous des certitudes inébranlables? A force de se complaire dans une prétendue nécessité du doute et de légitimer bêtement ses hésitations, on n'avance pas à grand chose dans cette Eglise - et Dieu sait pourtant s'il y a du travail.

25 mars 2008

Rayonnants de la joie pascale


"... C'est pourquoi le peuple des baptisés, rayonnant de la joie pascale, exulte par toute la terre, tandis que les anges dans le ciel chantent sans fin l'hymne de ta gloire..."

Fatigués, découragés par l'Eglise si sainte et si paradoxale; l'éblouissement liturgique de la nuit pascale nous place exactement dans la position des femmes de l'évangile qui, allant visiter un tombeau, se retrouvent nez à nez avec le Ressuscité. L'Exultet qui résonne, la lumière qui jaillit, éclaboussent facétieusement le confessional où le coeur s'est déchiré en de stériles culpabilités.
Par quelle faiblesse pensons-nous si facilement trouver la mort là où tout ruisselle de vie? Quels démons nous habitent pour que nous puissions oublier le visage miséricordieux de Dieu avec autant de bonne conscience dans l'autoflagellation?
Peut-être avions-nous fait de la morale une idole? Cet ensemble de recommandations serait devenu notre Credo, charge trop lourde, telle la loi paulinienne, pour notre humanité toujours faillissante. Où est la liberté si elle n'est promise qu'aux purs? Comment concilier cette foi si vivante et cette morale si morbide?
Quand je regarde par dessus mon épaule, je constate combien, sincèrement, pendant des années, j'ai pu penser que les pulsions étaient mauvaises, et que la morale était un bien, un bien qui permettait de les contrôler - tout en étant déchirée, coupable, incapable de contrôler mes pulsions et de mettre en oeuvre ce bien supposé. Tant et si bien qu'aujourd'hui je me demande si la vérité ne gît pas dans l'exact contraire.
Dieu a mis au coeur de l'homme un désir de vie qui est de l'ordre, je crois, de la pulsion; Il a placé au sein de sa créature une déchirure pour qu'elle sire amoureusement son Créateur. Comment pouvais-je croire que le désir était en soi, un péché ? Comment ai-je pu laisser s'enraciner en moi de telles idées, alors même que j'ai compris, depuis longtemps, que Dieu lui-même a tant désiré l'homme qu'Il s'est uni à sa condition! Le péché réside bien plutôt dans l'orientation de ce désir qui, loin d'être expression de la concupiscence infligée par le péché originel (merci Augustin!), est avant tout le signe de l'incomplétude de la condition de l'homme.
Pourquoi le désir serait-il une mécanique aliénante, toujours insatisfaite? Ne placerions-nous pas en lieu et place de pensée chrétienne des miasmes stoïciens, élisistes et simplifiés grossièrement? Mais si l'on évacue la morale dans sa vie spirituelle - étant entendu qu'elle est absolument nécessaire sur le plan collectif, quel sera le critère du bien et du mal ?
S'il nous faut vivre par delà bien et mal, il n'empêche que nous pouvons mesurer la bonté de nos actions à la bonté des fruits qu'elle portent. Et je ne peux m'empêcher de penser qu'il y a des fruits qui ne trompent pas.
Nous vivons dans un monde tendu sur un fil, où la morale affirme très durement à ceux qui veulent bien s'y fier que nos désirs sont mauvais, où la publicité et la "société de marché" (Dieu que j'ai horreur de ce genre de formules!) nous rappellent sans cesse qu'il est impossible de faire l'économie de nos désirs, et nous invitent très explicitement à les orienter là, ou là! Absurde paradoxe que les tableaux manichéens que nous dressent les bien-pensants de tout bord, où il nous faudrait choisir entre un ascétisme morbide mais gage du salut par la moralité, et une vie de consommateurs gavés de tout et le reste - dont nous comprenons bien plus ou moins consciemment qu'elle est sous sa forme raisonnable non seulement naturelle, mais surtout beaucoup plus tournée vers la vie et l'avenir.
La faculté désirante n'exprime finalement que notre besoin de combler notre incomplétude ontologique. Le besoin de nous nourrir. De jouir de la vie, qui est belle et bonne. Elle serait une spirale infernale? On pense au pluvier du Protagoras, qui mange et défèque en même temps. Mais le désir, avant tout désir de Dieu et de tout ce qui nous rapproche de Lui, est pourtant sans cesse comblé; et nous savons qu'il est appellé à la plénitude lorsque "nous serons rendus semblables à Lui, le voyant tel qu'Il est". Cette plénitude que nous goûtons déjà porte un nom: c'est la joie. Sans cesse évoquée par la liturgie pascale, elle est l'expression d'une plénitude qui nous envahit et nous submerge, nous remplit de puissance vitale, nous tourne vers les autres et vers le monde, le visage rayonnant - à tel point que nul ne s'y trompe.
La joie ne se commande pas; mais nous savons bien pourtant ce qui nous remplit de joie, et nous gardons en nous des milliers de désirs dont la réalisation nous comblera, un instant, de cette joie si pure et si parfaite devant laquelle on reconnaît l'immensité de ce qui nous est donné à vivre!
"Nous devons nous libérer de la morale afin de vivre moralement". Se libérer de la morale, n'est pas alors cela; mettre au-dessus de la répression des pulsions désirantes un lent discernement sur ce que nous désirons vraiment? Prendre comme conseiller un Dieu débordant d'amour plutôt qu'un père fouettard, et comme unique critère de notre morale la présence gracieuse de la joie.


Ill: le jour de Pâques, des coucous sous la neige fraîche des Pyrénées... Un bouquet d'autel qui s'ignore.

19 mars 2008

A Lyon, des hauts et des bas

Lyon est une ville surprenante faite toute de hauts et de bas.


Le curieux "éléphant renversé", silhouette de Notre-Dame de Fourvière, qui surplombe la ville, est omniprésent et s'impose à chaque perspective nouvelle. Ici, enserrée entre les tours un peu vaines de l'hôtel de ville, vue depuis les bords du Rhône.





Des bords du Rhône, un peu plus au sud, on aperçoit sur la droite le cubique et seventies hôtel Sofitel, dont la visite vaut le détour. Montez jusqu'au bar lounge du 8ème étage, et en buvant un cocktail champagne, admirez le soir qui tombe sur la ville, ses lumières qui s'allument, l'activité des petites silhouettes qui passent, loin, loin de vous...





La colline de la Croix-Rousse, située au nord de la ville, abritait les ouvriers - fameux "canuts" - de l'industrie de la soie, et fait face à celle de Fourvière: la colline de "ceux qui travaillent" contre celle de "ceux qui prient"... Le quartier est aujourd'hui parfaitement bobo, gardant une forte identité de quartier assez rebelle...


Depuis le jardin qui orne les pentes en direction de la place des Terreaux, on admire Fourvière évidemment, mais aussi le Rhône et la Cathédrale Saint Jean, située dans le vieux quartier de la ville.




Preuve qu'en montant les célèbres "pentes" de la Croix-Rousse, on peut aussi descendre bien bas (arf arf)!

Mais on peut aussi tomber très bas diététiquement parlant. Lyon voue un culte traditionnel à la cochonnaille, selon un registre des plus réjouissants: saucisson cuit en brioche, ou cuit tout court (arrosé de beaujolais, c'est mieux), assorti de pommes de terre (éventuellement agrémentées de beurre, comme c'était la mode dans l'ancien temps)...



Plus light, les onctueuses quenelles (pour le gras, tout dépend de la sauce). Et le Dauphiné n'étant pas bien loin, les ravioles gratinées... Je passe sur les brioches aux pralines et autres macarons de la célèbre maison Bouillet.

La minute positive

Hier soir, j'ai failli pleurer de joie en découvrant au Relay de la gare d'Austerlitz, entre Guillaume Musso et Amélie Nothomb, Carla Sarkozy et Anna Gavalda, Hablan Coen et Douglas Kennedy, l'édition de poche toute fraîche et toute belle des Carnets de guerre de Vassili Grossman, qui avaient été édités l'année passée par Antony Beevor chez Calmann Lévy (20,90 € tout de même).

En me plongeant dans ce formidable recueil historique et humain, je n'ai pu m'empêcher de savourer l'immensité du privilège de notre époque paisible. La paix, une vie - sans être simple ni facile pour tout le monde, mais c'est la règle du jeu de l'humaine condition, une vie qui n'est pas sans cesse menacée et repoussée jusqu'à ses limites, épuisée de douleur et abrutie par la force aveugle. Epoque paisible, où l'on peut acquérir pour 7,5 € des trésors sans prix - tel cet ouvrage!
Epoque paisible où l'on nous explique que le totalitarisme nous guette et que ce monstre apocalyptique que nous avons élu démocratiquement est un dictateur? La lecture de Grossman devrait être une propédeutique obligatoire à l'obtention de la carte électorale. Peut-être surtout parce qu'il refuse tout pessimisme, quelque soit l'immensité tragique du paysage humain qu'il embrasse.
Les prophètes de malheur, infatigables décourageants, enragés de contestation et de frustration : les voila, les ennemis du peuple!

17 mars 2008

Luxe, calme et bourgeoise volupté


C'était une belle surprise de découvrir les thermes, puis la ville, de Baden Baden. Le corps tout engourdi du bien être apporté par l'eau chaude (entre 32 et 38° selon les piscines), les séjours au hammams et les passages dans les piscines glacées (18°!), nous avons flâné dans les rues de cette ville bourgeoise et prospère.
Il y flotte un parfum décadent, fin de siècle, qui évoque puissamment les paysages de la "Cacanie" musilienne.








On s'imagine parfaitement parcourant les parcs soignés de cette ville d'eau, en crinoline, un prospère et moustachu époux au bras, affublée de marmots en costume marin poursuivant un cerceau.

03 mars 2008

Un succès bien mérité


Allez voir, n'hésitez pas, ce film drôle, chaleureux et euphorisant, auquel on souhaite tout le succès qu'il mérite! Je vous entretiendrai bientôt de mon voyage à Strasbourg... Bon début de semaine!