01 septembre 2008

Je dors, mais mon coeur veille


Ce blog va probablement rester en sommeil quelques temps, voire, qui sait...

10 août 2008

Impossible serment


Samedi 5 juillet 1958
Assez de répit. Au travail. Aux actes. Je reprends le chemin de moi-même. Je jure de me reconquérir au plus vite. Retrouver cet état de grâce où la vie et le roman se confondent! S'obéir naturellement. Vivre.

Quel monde merveilleux que le nôtre, où l'on peut trouver en livre de poche le Journal de Jean-René Huguenin, le lire, somptueuse soirée, en écoutant Satie en boucle, vivre, vivre, vivre!

05 août 2008

Orges et chaumes fraternelles



La moisson est désormais terminée, mais je ne résiste pas au plaisir - traditionnel - de vous faire profiter de cette atmosphère si particulière grâce à quelques photos (prises 19 juillet dernier).







Après une petite promenade en tracteur nous voici à la ferme où il s'agit de déterminer si, oui ou non, il reste assez d'espace disponible dans la cellule pour stocker l'orge qui vient d'être récoltée. Admirez la précision de la manoeuvre arrière tractologique...



Pas assez de place à la ferme: nous partons donc livrer le contenu de la benne au négociant CERAPRO, dans le village voisin. Au passage, une station d'irrigation!

CERAPRO appartient au groupe Soufflet, groupe familial de meunerie (blé de boulangerie) et de malterie (orge pour la brasserie). Le groupe détient 25 % des Grands Moulins de Strasbourg, emploie 3 600 salariés et réalise en 2007 un chiffre d'affaire de 2 800 Md €, à 51 % à l'export et à l'étranger.
Il faut aller peser la cargaison, d'abord à plein, puis à vide. A ce moment, on prélève un échantillon du contenu. D'abord, il faut que notre prédécesseur nous laisse la place...


Le rythme est soutenu: pendant que Marc opère, notre successeur est sur la balance et l'échantillon est en cours de prélèvement. Il livrera directement... sur le tas! Pas trop de place pour stocker.

Avant de partir, on récupère le bulletin de livraison qui récapitule les informations sur la quantité et la qualité du grain.



Temps superbe au retour. Les récoltes d'orge sont très bonnes cette année!
Pour Marc.

25 juillet 2008

Trêve estivale

Vacances, j'oublie tout!


Au milieu de l'été parisien, je profite du calme et de la beauté de mon village ancestral pour boucler (espérons) mes Simone Weilleries.




Je vous informe que mon téléphone portable sera déconnecté et que j'ai l'intention de passer, après mes journées avec Simone, mes nuits avec Marcel (Proust). Je vous laisse quelques petites pistes de lectures et de réflexion estivales...
Déjà relayée par Didier, l'intéressante interview de Renaud Camus dans le Point.
Investissez 20 € dans le DVD de L'île, sorti en français. Pavel Lounguine tourne en ce moment une super production tyranniquement russe... sur Ivan le Terrible! ça va saigner...
Une excellente chronique de Julliard dans l'Obs de la semaine dernière.
Série d'été intéressante dans le Monde des Livres, de beaux articles sur des livres mythiques, dont Tristes Tropiques.
Histoire de pimenter sa vie de couple, une liste amusante et intéressante dans... le Pèlerin magazine! Encore mieux que les Cosmo tests...

Je suis de retour le 4 août, avec la suite de la série estivale parisienne, et peut-être deux ou trois choses intelligentes - mais rien n'est gagné!

16 juillet 2008

Tag-time

Cet infâme coquin de Didier Goux m'ayant taguée, je me trouve acculée : je dois encore vous raconter ma vie.
1) Quel(s) souvenir(s) avez-vous de votre apprentissage de la lecture ?
Yves et Natacha au square.
2) Vos lectures préférées lorsque vous étiez enfant ?


Mickey fait son marché. Le dîner de Ted.

Petit Ours Brun dans Popi, puis Lucas Ramel et Mimi Cracra dans Pomme d'Api (je lui avais même écrit, et elle m'avait répondu!). Tintin. Lucky Luke. Un livre rassemblant des mythes de la Grèce antique.

Un carton entier de bibliothèques vertes et roses dans le grenier de ma grand-mère: Club des 5, Alice, soeurs Parker. Agatha Christie. Le Nouvel Obs, longtemps feuilleté et dépecé par mes soins (on voit le résultat...)

3) Aimez-vous la lecture à haute voix ?

C'est un exercice et un plaisir qui n'ont rien à voir avec la lecture, que l'on soit lecteur ou auditeur! Et un luxe rare (sous un acacia, à Bagatelle, par exemple?)
4) Votre conte préféré ?

La Légende de saint Julien l'hospitalier
, de Flaubert.
5) La meilleure adaptation d'un roman ou d'une pièce de théâtre ?

N'étant pas spécialiste de cinéma, je suis bien embarassée de désigner la meilleure. Si je dois en donner une qui m'a marquée, c'est celle de l'Illiade dans le récent péplum hollywoodien Troie. Je n'en attendais pas tant de bonheur (à ma décharge je lai vu lorsque je travaillais sur l'Illiade et le poème de la force de Simone Weil...)

6) Apprenez-vous par coeur certains poèmes, répliques de théâtre, passages de roman ?
Je n'apprends pas mais retiens les textes que je lis le plus souvent et qui me trottent dans la tête toute la journée. Ceci dit, cela marche par période: après, je les oublie plus ou moins.
7) Avez-vous des livres ou des magazines dans vos toilettes ?


C'est un principe hygiénique chez moi: la littérature féminine aux chiottes. Donc, des piles de Glamour et Cosmopolitan.
Eventuellement Challenges ou le Nouvel Obs, mais plutôt dans le train que sur le trône.

8) Avez-vous plusieurs lectures en chantier ? Combien ? Lesquelles ?
Rémi Brague: Du Dieu des Chrétiens. En vacances, je vais emmener la Recherche. Et j'ai terminé Gracq, Le balcon en forêt dans lequel je butine encore avec l'espoir de réussir à écrire quelque chose d'intelligent à son propos. Un truc catho débile mais édifiant (je ne le cite pas, franchement pas la peine). Viens de terminer aussi Dans un lieu incertain de Fred Vargas.
9) Le poète que vous ne cesserez jamais de relire / de vous réciter ?

Char, les Feuillets d'Hypnos, grand moment de la fin de mon adolescence, et le reste.
10) Le livre que vous avez lu le plus rapidement ? Le plus lentement ?


Très vite : L'étranger de Camus, qui m'a profondément dépitée. Très lentement : L'Homme sans qualités. Par bonheur de ne pas le terminer. D'ailleurs, même quand on l'a fini, il n'est même pas terminé.

11) Préférez-vous les éditions de poche aux originales ? Pourquoi ?

J'aime que la forme du livre soit adaptée à son contenu. Tout dépend donc de la race et du caractère de ce dernier. de toutes façons, Quand on est vraiment snob, on ne lit que des trucs introuvables dans des éditions confidentielles ou archi-épuisées, en tout cas horriblement chères, donc on n'a pas le choix.
12) Le(s) livre(s) que vous ne rangez jamais dans votre bibliothèque et qui traîne(nt) toujours ?

Minute, comment osez-vous supposer que des livres traînent chez moi?
13) Quel est votre rapport physique à la lecture ? Debout ? Assis ? Couché ?
Rapport physique direct émotionnellement parlant. Pour la posture, il faut qu'elle convienne, c'est tout.

14) Vos lectures sont-elles commentées crayon en main ?
Dans le livre, alors, quand je lis dans un but opérationnel et laborieux. Il se transforme en outil. Sinon, non.

15) Offrez-vous des livres ?

Beaucoup trop. En plus, les gens ne les lisent même pas. Bande d'ingrats.

16) La plus belle dédicace, que ce soit de l'auteur ou de la personne qui vous l'offrit ?

J'en ai plusieurs en tête, mais cela n'a pas grand sens sur un espace public.

17) Quel est votre rapport sensuel au livre ? (Odeur, texture, etc.)
On se calme: un livre c'est fait pour lire.

18) Quels sont les auteurs dont vous avez lu les oeuvres intégrales ?
Le seul dont je puisse affirmer catégoriquement quelque chose d'aussi présomptueux, c'est Hergé. Je n'en suis pas loin avec Simone Weil, mais il y a forcément des pages qui échappent à ce verdict.

19) Un livre qui vous a particulièrement fait rire ?
Deux: Sin noticias de Gurb, de Mendoza, mais je ne l'ai pas relu depuis des années et je ne sais pas s'il me ferait toujours un effet aussi radical. Alors j'ajoute L'Education sentimentale.
20) Un livre qui vous a particulièrement ému ?


Vie et destin de Vassili Grossman. Un second: Moby Dick de Melville.


Allez, un troisième: Tess d'Hurberville de Hardy.
21) Le Livre qui vous a terrifié ?


Tess d'Hurberville, une nouvelle fois!
22) Le livre qui vous a fait pleurer ?


On se répète: Vie et destin. Dans un genre moins littéraire, les Lettres de Jourdain de Saxe à Diane d'Andalo. Et ça marche à tout les coups!

23) L'avertissement / l'introduction qui vous a le plus marqué ?
Je ne sais pas si ça compte comme avertissement, mais j'ai envie de citer la dédicace d'Eugène Onéguine: "Au monde froid inapte à plaire..."
24) Le titre le plus marquant, original, décalé, astucieux ?


Der mahn onne eigenchaften
.

25) Décrivez votre bibliothèque.
Aussi belle, intelligente, snob, incongrue, débordante et en chantier que sa propriétaire.

26) Les livres dont vous vous êtes finalement débarrassé ?

Si je m'en suis débarrassée, c'est que ce n'était pas la peine d'y revenir - et que ce n'est toujours pas la peine.

27) L'endroit le plus insolite où vous lisez ?
Je ne suis pas très téméraire en la matière.

28) Il ne vous reste que trois jours à vivre : que souhaitez-vous lire ou relire ?

Les lettres enflammées que mon amant m'aurait envoyées - peut-être un jour? Sinon, la dernière lettre de Jourdain à Diane: "c'est peu de choses, ce que nous nous écrivons l'un à l'autre..."
29) Votre livre d'art préféré ?

Henri Gaudier-Brezka par Ezra Pound (on est snob, ou on ne l'est pas).

30) La bibliothèque idéale ?
Celle que je parcours mentalement sans cesse.
31) L'incipit qui vous a le plus marquée ?


Le coup de foudre de Bouvard et Pécuchet. Je ne me lasse pas de me figurer la scène et les figures émues des comparses.

32 ) La clausule qui vous a le plus marqué ?
Celle de Mrs Dalloway, la lumineuse évidence du sentiment amoureux.

Et puisque c'est à moi de taguer, je vais enquiquiner ma petite bande, advienne que pourra: Camille, Inactuel, Jean-Baptiste - même si j'ai déjà quelques idées à son propos. Je l'adresse aussi à Chloé mais elle ne me lit pas.
Et à Gilles (tu as cru y échapper?)

15 juillet 2008

Les étoiles du Hyatt


Je continue ma luxueuse série d'été avec un de mes hôtels favoris, le Hyatt Vendôme. Ouvert en 2002, il compte 178 chambres - dont 35 suites... sur 14 500 m², entre rue de la Paix et rue des Capucines. Un hôtel chic au sens propre du terme, où le luxe est discret et sobrement chatoyant, et le personnel peu envahissant. L'ambiance y est tout sauf clinquante; à plus proprement parler, rayonnante. Les réunions SFAF au sous-sol, niveau du spa, sont bercées par l'odeur de l'eucalyptus qui émane de ses portes - le tout dans une douce lumière... Oui, ça s'appelle du travail!
Au bar, on boit des cocktails exceptionnels (j'ai testé un Frozen framboises fraîches, cognac, jus de citron et sirop de pistache). Mais gare à ne pas arriver trop tard: les places sont non seulement chères mais aussi rares!


Si le temps le permet, on peut aussi profiter du patio.


Mais le top, c'est la cinquième étoile du Hyatt: celle de son chef Jean-François Rouquette, qui officie aux pianos du restaurant Pur Grill. Un restaurant super tendance, dont la cuisine est fièrement ouverte aux yeux des convives, qui a obtenu en mars dernier une étoile au Michelin.


C'était évidemment la première fois que je dînais sous les auspices de Bibendum, dans un restaurant où on me donne une carte sans prix dessus. Wahou!
Première épreuve, choisir un cocktail. Tentés par les smoothies "Healthy", malheureusement servis jusqu'à 20h, nous nous rabattons sagement sur un ice tea framboise violette et un Virgin mojito - sans alcool. Il fallait bien garder la tête froide pour se débattre avec la carte. Boutons de culottes, mourron, agneau, homard - plus de homard, sans quoi nous aurions fait des folies. La solution de facilité semble de pencher vers le menu dégustation, accompagné d'un verre de Mercurey rouge préconisé par le sommelier.
Commence alors une valse de plats incroyables, beaux, bons, très bons, et très beaux, délicieux, entrecoupés de mises en bouches raffinées et ponctués de surprises gustatives. Apothéose au moment du dessert avec une avalanche de plats de toutes les couleurs, chocolat, abricot - amandes, fraises - panacotta - gaufrettes roses, macarons acidulés - cerises, nous sommes dépassés par les évènements et par notre gourmandise!

N'ayez pas peur, je n'oublie pas mes origines: j'ai bien noté que la splendide porcelaine Jaune de Chrome du restaurant arrive tout droit de... Tivernon!

09 juillet 2008

Snobing Hall


Ne le dites surtout pas aux paparazzis!



Demain soir je serai dans cette cour parfaitement the-place-to-be pour un cocktail décadent. Paris, forever!



Cela pourrait être le début d'une série d'été, comme en commettent tous les journaux sérieux, sur les palaces parisiens. Ou bien sur le Paris bling bling. Un été de luxe, si vous n'avez pas de vacances: qu'importe, les vacances viennent à vous. Et surtout, charité bien ordonné commençant par moi-même, à MOI.
En fait de 4 étoiles, celui-ci est comme il se doit en plein triangle d'or. Ancien hôtel particulier du général américain Pershing, le beau bâtiment aux détails architecturaux savoureux (regardez bien la façade, depuis le trottoir d'en face) a été relooké par la designer star Andrée Putman.
Rideaux de perles, lumières très très très tamisées, mur végétal somptueux qui conduit le regard vers le ciel parisien coincé entre les parois du patio. So concept!
On s'y montre, on y mange chic, on y festoie loungement, on y brunche le lendemain, accessoirement, on y va aux réunions SFAF.


C'est le Pershing Hall, 49 rue Pierre Charron dans le 8ème.

07 juillet 2008

On s'encanaille


Je découvre ce soir avec étonnement que je suis, comme la plupart des petits camarades que vous croisez ici, d'ailleurs, classée depuis apparemment quelques temps dans la désormais célèbre liste des sites pour un mai 68 de droite - celle qui fait s'exciter tous les vigiles démocrates, gauchistes et manichéens du web. Je fais donc officiellement partie de la réacosphère.
Pour légitimer cette promotion, je fais quelques essai de prosélytisme réactionnaire: allez, je me lance.
Soyons réalistes, demandons l'intelligence
Sous les pavés, les pages
Sois jeune et tais-toi (au premier degré)
Il est interdit de s'abrutir
Ne prenez plus l'ascenseur (il est en panne)

06 juillet 2008

La vie des morts


J'ai dû me rendre à Bar le Duc pour mon travail, occasion pour moi de découvrir pour quelques heures une région française dont j'ignore à peu près tout, la Lorraine - en l'occurence ici le département de la Meuse. Désormais accessible par le biais du TGV Est, on souhaite à la petite cité barisienne, où sont encore bien sensibles les plaies de 1914-18, de profiter de cette desserte; mais elle ne retrouvera certainement jamais l'éclat dont l'échiquier géopolitique de la renaissance la fit resplendir...
Outre la triste mémoire du kilomètre zéro de la "voie sacrée" qui reliait la ville à Verdun, Bar le Duc s'enorgueillit d'une spécialité stupéfiante, pompeusement dénommée "caviar de Bar". Il s'agit d'une confiture de groseille dont la recette se transmet jalousement depuis le XVème siècle (au moins), et dont le lustre provient de l'épépinage manuel, à l'aide d'une plume d'oie biseautée, de chacun des grains qui la composent. Oui, vous avez bien lu, chacun des grains! La grande année de cette production absurde (1911 ou 1921? je ne me souviens plus), 400 épépineuses s'acharnèrent pour produire le record de 600 000 pots de cette confiture luxueuse. Malgré le taux de chômage relativement élevé de la région, les épépineuses de recrutent plus guère - il faut dire que la saison dure à peine 1 mois: elles sont aujourd'hui 4, et la seule maison encore en activité produit 6 000 pots. Bel exemple, en tous cas, d'une tradition ancestrale dont on ne regrette pas l'évanouissement - le progrès a du bon, finalement.

Ayant passé trop de temps autour des pots de caviar barisiens, nous n'avons pas pu monter dans la "ville haute" qui semble abriter un bel ensemble architectural renaissant. J'ai été relativement frustrée de ne pas pouvoir découvrir (en chair et en os s'entend, ah ah ah), l'autre curiosité unique au monde de la bourgade, le transi de René de Chalon, cénotaphe du prince d'Orange abrité dans l'église St Etienne.

Epitaphe du cœur de René de Chalon, Prince d’Oranges
Le cœur d’un Prince ha repos en ce lieu

O viateur, qui d’amour souvereine,
En son vivant, ayma le Signeur Dieu :
Charles Cesar, et Anne de Lorreine,
A Dieu rendit l’ame pure et sereine,
Qui de sa main le fit et composa.
Le cœur surpris de mortelle avanture,
En ce lieu propre ou Anne il espousa,
Pour son confort est mis en sepulture.
(Louis des Mazures, 1557)

René de Châlons est né en 1519 au sein de la maison de Nassau - il est le cousin de Guillaume d'Orange, dit "le Taciturne". En 1540, il épouse Anne de Lorraine dans la bonne ville de Bar le Duc, alors plus prospère qu'aujourd'hui. Leur union, elle, ne le sera guère, puisque ne naîtra qu'une petite fille bien vite emportée par la mort. En 1544, René de Châlons est capitaine de l'armée impériale de Charles Quint qui envahit la Champagne lors de la neuvième guerre d'Italie, contre François 1er. Le siège de Saint-Dizier fut fatal à René de Châlons (on a du mal de nos jours à imaginer que saint Dizier puisse être fatal à quiconque! Tempus fugit...). Il y meurt, l'empereur à son chevet, le 15 juillet 1544. Guillaume d'Orange hérite alors de toutes ses possessions et fonde la maison d'Orange Nassau.
Selon les photos de l'époque, René de Châlons ressemblait plutôt à ça:


Mais à Bar le Duc, vous le verrez sous les traits d'un squelette ordinaire - elle passe, la figure de ce monde. Ce serait sa veuve, Anne de Lorraine, qui aurait commandé au sculpteur lorrain lui-aussi Ligier Richier (1500-1567) une oeuvre destinée à décorer le lieu de préservation du coeur et des viscères de son jeune époux. Peut-être avait-elle besoin de faire son deuil et de se confronter à la réalité trop réelle de la mort de son mari...
Cette étonnante représentation est en tout cas un canon de l'époque, dont j'ignorais tout et qui me passionne : on l'appelle "transi". "Transi" car "transi de vie", trépassé: la représentation des gisants sous une forme très réaliste, desséchés, décharnés, pourrissants, apparaît au XIVème siècle, suite à la Guerre de Cent ans. Guerre, famine et peste ont alors bien fait le ménage et la population vit avec la mort pour quotidien. Parmi ces cadavres peu ragoûtants, notre René se fait remarquer, pour son optimisme: il est le seul transi en position debout que l'on connaisse au monde, et il brandit fièrement son coeur exposé à tous les regards.

Chose amusante, cette oeuvre a été reproduite par l'inoffensif sculpteur animalier bourguignon François Pompon, pour le monument funéraire du poète Henry Bataille qui lui consacra un poème. La représentation, qui trahit la science anatomique de son auteur, évoque avec puissance certains chapitres de l'Ancien Testament, tel celui de Job
« Mes chairs se sont consumées, ma peau s’est collée sur mes os… mais je crois que mon Rédempteur est vivant et qu’au dernier jour je ressusciterai de la terre »
Job 19, 25 et sq.
ou encore les pages d'Ezechiel déjà citées sur ce site:
"La main du Seigneur se posa sur moi, son esprit m'emporta, et je me trouvai au milieu d'une vallée qui était pleine d'ossements. Il m'en fit faire le tour ; le sol de la vallée en était couvert, et ils étaient tout à fait desséchés. Alors le Seigneur me dit : « Fils d'homme, ces ossements peuvent-ils revivre ? » Je lui répondis : « Seigneur Dieu, c'est toi qui le sais ! »Il me dit alors : « Prononce un oracle sur ces ossements. Tu vas leur dire : Ossements desséchés, écoutez la parole du Seigneur :Je vais faire entrer en vous l'esprit, et vous vivrez. Je vais mettre sur vous des nerfs, vous couvrir de chair, et vous revêtir de peau ; je vous donnerai l'esprit, et vous vivrez. Alors vous saurez que je suis le Seigneur. »"
Ezéchiel, 37 1 et sq.

La puissance de la foi en la résurrection rayonne de cette oeuvre, et le transi fièrement dressé semble crier depuis les tréfonds de la mort:
"Mort, où est ta victoire?"


27 juin 2008

Repenser l'Eglise

Au moment où je suis secouée de questions sur ma propre appartenance à l'Eglise catholique, où la douloureuse expérience de ses incohérences m'est particulièrement blessante, voila que me tombe du ciel ce livre.

Cette Confession d'un Cardinal est a priori un ouvrage assez mystérieux. Son auteur, Olivier Le Gendre, est un journaliste bien ancré dans le milieu catholique. Il se met en scène dans l'ouvrage, racontant avoir été contacté par une éminence grise (car anonyme!), cardinal désormais en retraite, dans le but de rédiger ses mémoires. Première question: s'agit-il d'un procédé littéraire pur et simple, permettant à l'auteur de donner une certaine autorité à son propos, ou bien d'une forme de transcription d'échanges que l'auteur aurait eus avec divers responsables catholiques? Mystère. Certains voient derrière l'ouvrage une influence du courant réformiste du Vatican: un vrai cardinal, Mgr Silvestrini, serait à son origine. Le texte est en tous cas précis sur de nombreux sujets confidentiels et il semble excessif de crier à l'invention pure: l'auteur est de toute évidence bien informé et à mes yeux trop fervent catholique pour sombrer dans un délire mystificateur!
L'intérêt de la présence "romanesque" - car ce texte, dont le fond tient plutôt de l'essai, se lit comme un vrai roman - de la présence de ces deux personnages, tient à la mise en scène d'une conversion initiatique. Le procédé est artificiel puisque le narrateur, censé être catholique et plutôt cultivé, a souvent des réactions étonnamment naïves - pour ne pas dire carrément basiques. Autant dire que l'ensemble manque sérieusement de naturel, mais cela n'a que peu d'importance. Car cette image grossière du "candide" qui dialogue avec l'homme sage, vieillard expérimenté, qui a connu les sphères les plus hautes du pouvoir - la curie romaine, tout de même - renvoie à un modèle que nous connaissons bien: celui du dialogue philosophique. Instruit progressivement par les propos du cardinal, qui passent du cours d'histoire réinterprété aux anecdotes lourdes de sens, au témoignage à proprement parler sur ses propres expériences de vie spirituelle et active, en passant par le partage de certains moments - la prière dans le quartier des bordels, le narrateur - surpris, bousculé, choqué même parfois - accède progressivement à une conception renouvelée de l'Eglise Catholique.
L'intention du cardinal était donc strictement maïeutique: il désirait donc faire jaillir, dans le coeur de son interlocuteur, la conviction qu'il voulait lui faire partager: celle que l'Eglise Catholique est une formidable puissance de vie et d'amour, et que les erreurs et les héritages trop lourds à porter ne doivent pas empêcher les chrétiens de la faire vivre, revivre, sous une forme adaptée à notre temps. Car le regard du vieux cardinal est sans complaisance - à vrai dire, réaliste et pragmatique. Une des forces de cet ouvrage est de proposer une analyse de la situation actuelle de l'Eglise romaine, cherchant les racines du mal et établissant un tableau assez noir - mais cette critique est profondément bienveillante et aimante. Il est absurde de nier que la plupart des constats établis au sein du dialogue sont profondément justes - quoique délicats à entendre - et que les affronter courageusement est la seule solution possible pour faire vivre l'Eglise du Christ. Constats justes et ton juste, car plein de douceur et d'honnêteté.

Alors, que faire de l'Eglise? Ce livre ne m'a vraiment pas soulagée, quoique j'y aie retrouvé les convictions profondes qui m'habitent. De fait, c'est probablement parce qu'il est venu confirmer mes constats et mes idées qu'il me pèse. Je sais depuis que je suis baptisée que l'Eglise est une, sainte, catholique et apostolique, et j'y crois avec passion. J'aime le pape et ne tolère pas qu'on se dise catholique et qu'on le rejette. Aimer le pape n'implique pas de l'idolâtrer, heureusement - mais se dire catholique sans reconnaître l'autorité du successeur de Pierre me semble problématique. Mon amour inconditionnel pour l'Eglise, mystique et institutionnelle - car elles sont liées - ne m'empêche pas d'être assez lucide pour reconnaître que l'Eglise institutionnelle est sur une pente décadente, ce que le livre exprime clairement. J'aurais de mon côté tendance à penser que la décadence de l'Eglise est consubstantiellement liée à celle de la civilisation occidentale qu'elle a structurée depuis 2 000 ans; mais c'est là un tout autrement vaste problème.
Quoiqu'il en soit, il faut accepter l'évidence: l'Eglise en France est un corps moribond. Tant de paroisses pour si peu de fidèles, tant d'efforts si vains par quelques poignées de "laïcs" actifs, pour maintenir une activité paroissiale qui contente quelques vieillards et repousse tout le monde. Le système paroissial est mort, il est sous perfusion, personne n'a le courage de l'euthanasier - ce serait signer l'arrêt de mort d'un système diocésain qui repose sur les communautés locales! Quand il n'y aura plus du tout de communautés locales dans les campagnes - où il n'y a déjà plus de jeunes générations en général, que quelques groupes subsisteront dans les villes, il faudra pourtant s'y résoudre.
Tant d'efforts vains et de bonnes intentions pour si peu de résultats spirituellement porteurs. Tant de soucis sur des détails et si peu de souci du royaume de Dieu. Tant de dimanches où l'on se rend à la messe le coeur joyeux et où l'on en sort meurtri, avec le sentiment d'une rencontre gâchée. Tant de sermons d'une médiocrité intellectuelle stupéfiante, quand ce n'est pas d'un didactisme moral effrayant. Tant de bons sentiments dégoulinants et si peu d'efficacité opérationnelle. Tant de rigidité morale et si peu d'accueil. Tant de bonne conscience et d'illusion, de persévérance dans la vanité d'un système MORT! C'est triste de le reconnaître, mais je n'enverrais jamais quelqu'un qui me dit chercher Dieu dans mon église, j'aurais trop peur qu'il s'y perde.

Avant même de recevoir les sacrements, j'ai été convaincue du fait que, si les sacrements nous lient à Dieu, Dieu n'est pas lié par ses sacrements. Dieu se donne à nous et nous nous donnons à Lui - mystérieux échange sacramentel - dans toutes les sphères de notre existence: relations, travail, vie de l'esprit qui contemple la beauté du monde et éprouve son harmonie dans l'exercice de son intelligence, dans la contemplation de la nature, et même des oeuvres d'art, l'écoute attentive de la musique... La participation aux sacrements de l'Eglise est absolument fondamentale, mais elle ne doit pas être l'arbre qui cache la forêt des multitudes de rencontre avec Dieu que nous propose notre vie entière! Alors, alors, que faire?

Vivre sa vie sur le mode d'une rencontre, sur un mode eucharistique, et laisser le corps de l'Eglise qu'on aime agoniser pathétiquement faute d'avoir voulu se remettre en route, se tourner vers l'avenir?


Confession d'un Cardinal,
Olivier Le Gendre, éd. JC Lattès, 2007, 413 pages - 18 € 50.

22 juin 2008

Mt 25, 14-30 - L'esprit du capitalisme


Pour Gilles

Pas beaucoup d'inspiration en ce moment pour de grandes envolées théologiques. Néanmoins, après avoir discuté plusieurs fois de la parabole des talents, je suis retombée sur ce texte au hasard de mon travail. En le relisant avec des yeux tout neufs, je me suis beaucoup amusée. Traditionnellement connu pour avoir été interprété comme une justification du capitalisme, il renvoie également à une idée de l'homme et à une conception de Dieu qui ne sont pas spontanément celles que l'ont croirait être chrétiennes...
L'histoire met en scène un maître qui part en voyage. Pas besoin de se creuser la tête bien longtemps pour comprendre que le maître, c'est Dieu. Mais la signification de ce retrait est plus subtile. Le maître, quittant la maison où il régnait jusqu'alors, confie "sa fortune" à ses serviteurs. Il leur confie sa maison, et tout ce qu'il possède : c'est à dire huit talents d'or. Arrêtons-nous d'abord sur l'ampleur de la somme en jeu - avant d'interroger la polysémie amusante du terme. Un talent de l'époque correspond à une valeur de 6 000 deniers; un denier de l'époque, lui, correspond à une journée de travail ouvrier. Alors, faites un rapide calcul : huit talents fois 6 000 deniers, 6000 divisé par 365 jours ; arrondissez un peu au dessus pour compter les jours fériés et le repos du sabbat... Vous constatez que la fortune en jeu est considérable puisqu'elle correspond à l'équivalent de dix-sept années de travail.
Quel est le voyage qui appelle le maître? Pourquoi est-il contraint de laisser une telle fortune à des serviteurs? Je pense que ce retrait du maître évoque le retrait de Dieu. Dieu tout-puissant s'est retiré du monde qu'il a créé - condition nécessaire à l'autonomie et à la liberté de l'homme! Abandonnant sa "main-mise" sur les trésors que renferment le monde, Dieu n'abandonne pourtant pas la création. Il la confie. Et c'est sensiblement différent. Il la confie aux hommes et perd toute capacité d'intervenir sur leur action. Pas de miracle, pas de récompense, pas malédiction ni d'élection - on réglera les comptes plus tard.
Imaginons l'ampleur de la responsabilité des serviteurs - l'angoisse, la panique peut-être - qui reçoivent en dépôt l'équivalent de dix-sept années de leur propre labeur. Heureusement, le maître confie avec discernement: à l'un, il donne cinq talents, à l'autre deux - au dernier, un seul. "A chacun selon ses capacités" nous dit saint Matthieu. Bonne nouvelle; ça veut dire que tous les serviteurs sont capables. Chacun aura sa part du capital en gestion. Oui, mais pas vraiment la même part. Là, ça coince aux entournures. Non seulement Dieu n'intervient plus dans le monde et laisse les hommes se débrouiller, mais en plus, il fait des discriminations! Il y aurait de quoi saisir la Halde tant c'est politiquement incorrect! En présentant une juste mais inéquitable répartition des responsabilités, l'évangile souligne pudiquement que l'inégalité entre les capacités des hommes n'a rien à voir avec l'injustice - confusion malheureusement courante. Malgré tout, même le moins "capable" des trois serviteurs se voit chargé d'une fortune considérable et d'une responsabilité qui ne l'est pas moins.
Outre la valeur monétaire de ces "talents" gardons en tête le deuxième sens du terme. Le texte semble bien indiquer - et d'autant plus clairement dans sa traduction française - que les moyens confiés par Dieu concernent tout autant des espèces sonnantes que des potentialités incorporelles. Dieu n'étant plus en possession de son patrimoine - le monde, considérons donc qu'il se trouve entre nos mains, mais chacun selon ses capacités - reste à savoir quelles sont-elles. L'avenir du monde repose entre nos mains - aïe, c'est lourd. L'évangile souligne donc à travers l'évocation de l'humanité dans ces trois serviteurs que chaque homme reçoit une partie du trésor de Dieu. Une partie de la création. Des dons. Et puis, il y a aussi l'argent, dont il faut bien s'accommoder. L'argent comme les différents charismes, nous indique saint Matthieu, sont fait pour fructifier:
"Aussitôt celui qui avait reçu les cinq talents alla les faire produire et en gagna cinq autres. De même celui qui en avait reçu deux en gagna deux autres".
Mais le troisième est [alter-mondialiste ?] moins audacieux. Il n'a pourtant reçu qu'un talent, mais il va enfouir dans un trou cet immense patrimoine qui lui a été confié par le maître. Il prend par là ce qu'il pense être l'assurance de la sécurité: pas de risque, pas de gain, pas de perte. Pas de responsabilité, en fait. On pourrait penser que son attitude est, à défaut d'être brillante, raisonnable - au mieux excusable. Voire, à y réfléchir, plutôt stoïque. Imaginez qu'on confie à un RMIste l'équivalent de 17 années de son revenu... Le troisième serviteur nous semble sage, et apparaîtra peut-être sympathique à tous ceux que le zèle envers l'autorité titille et qui considèrent le salariat comme un esclavage.
Au bout d'un moment - "un long temps", le maître est de retour. Perspective eschatologique dans laquelle s'inscrit pleinement l'extrait de l'évangile, situé entre la parabole des vierges sages et celle du jugement dernier! Ne nous méprenons donc pas: Dieu s'est retiré, il est absent de la création sur laquelle il a souhaité ne plus intervenir - sur laquelle il nous a laissé tout pouvoir, nous confiant les clef de la maison et la gestion du patrimoine. Dieu s'est retiré mais au terme de l'histoire, il reprendra la main - au moment où nous la lui redonnerons? Le maître revient donc et il règle ses comptes avec ses serviteurs. Et là, nouvelle surprise; la justice n'est pas celle que l'on attendait...
"Celui qui avait reçu les cinq talents s'avança et présenta cinq autres talents: Seigneur, dit-il, tu m'as remis cinq talents: voici cinq autres talents que j'ai gagnés. - C'est bien, serviteur bon et fidèle, lui dit son maître, en peu de choses tu as été fidèle, sur beaucoup je t'établirai; entre dans la joie de ton seigneur. Vint ensuite celui qui avait reçu deux talents: Seigneur, dit-il, tu m'as remis deux talents: voici deux autres talents que j'ai gagnés. - C'est bien, serviteur bon et fidèle, lui dit son maître, en peu de choses tu as été fidèle, sur beaucoup je t'établirai; entre dans la joie de ton seigneur"
Spontanément, on se dit que le maître exagère. Quand même, le retour sur son placement n'est pas si mauvais; pourquoi "en peu de chose"? Probablement parce que la confiance placée par le maître dans ses serviteurs était à la mesure de ce qu'ils ont réalisés. Il n'en attendait pas moins d'eux - peut-être sait-il aussi qu'ils ne pouvaient pas en faire plus, car le plus, c'est lui qui le donne: "sur beaucoup je t'établirai". Peu importe, les deux serviteurs ont contribué à la fortune du maître - ils ont fait la leur puisque "la joie" leur est promise. Et cette joie ne se monnaye plus en journées de travail, elle dépasse toute mesure... Notons d'ailleurs que, si la répartition des talents n'était pas équitable, la joie promise - totale - est la même pour tous les deux.
En revanche, pour le troisième serviteur le temps se gâte.
"Vint enfin celui qui détenait un seul talent: Seigneur, dit-il, j'ai appris à te connaître pour un homme âpre au gain: tu moissonnes où tu n'as point semé, et tu ramasses où tu n'as rien répandu. Aussi, pris de peur, je suis allé enfouir ton talent dans la terre: le voici, tu as ton bien"
N'ayant pas fait fructifier le bien du maître, le serviteur cherche à se justifier - il essaie en fait d'inverser le processus et de lui-même régler ses comptes avec son maître. Il lui reproche son âpreté au gain et se réfugie derrière l'excuse de la peur, tout en se pensant quitte, puisqu'il restitue au maître son talent intact. Sous-entendu: après tout, j'aurais pu aller le jouer au PMU - et surtout, ce n'était pas vraiment mes affaires, mais les tiennes; j'en suis maintenant débarassé. Evidemment, ce déni de responsabilité n'est au goût du maître.
"Mais son maître lui répondit: Serviteur mauvais et paresseux! tu savais que je moissonne où je n'ai pas semé, et que je ramasse où je n'ai rien répandu? Eh bien! tu aurais dû placer mon argent chez les banquiers, et à mon retour j'aurais recouvré mon bien avec un intérêt"
Ce qui est intéressant, c'est que le maître reproche moins le geste que les motifs de ce geste: la paresse, la peur, l'absence d'investissement personnel de la part du serviteur, le manque de dévouement. Le serviteur n'a pas été à la hauteur de la confiance qu'avait placée en lui son maître. Mais la violence du châtiment semble extrême alors même que la fortune du maître, si elle n'a pas été augmentée, n'en est pas moins diminuée.
"Enlevez-lui donc son talent et donnez-le à celui qui a les dix talents. Car à tout homme qui a, l'on donnera et il aura du surplus; mais à celui qui n'a pas, on enlèvera ce qu'il a"
On se croit alors au sommet de l'injustice. Soit un Dieu censé être bon, juste et aimer tout le monde autant et beaucoup, qui se fâche tout rouge et retire à celui auquel il a le moins donné le peu qu'il lui a octroyé, pour en nantir le mieux loti - et de promettre solennellement la richesse aux riches et la pauvreté aux pauvres! On marche sur la tête. En réalité, la punition du serviteur lui vient moins du courroux du maître que de son propre refus de servir, d'accroître la fortune - et de faire ce qu'il avait à faire. Enfouissant en terre le talent, il a considéré qu'il n'avait pas de part à cette fortune, à laquelle le maître voulait pourtant, finalement, le faire participer.
Les lettres de saint Paul soulignent que le statut de serviteur n'est pas un esclavage, puisque le Christ, le fils de Dieu, s'est fait serviteur. Servir, c'est avoir pour horizon l'entrée dans la filiation divine et la participation à l'héritage du royaume de Dieu. Appelé à cette vocation, le troisième serviteur a refusé de considérer la possibilité d'un jour avoir part à cette fortune - d'abord parce qu'il a refusé de voir, derrière l'autorité du maître, sa bienveillance. L'autorité qu'il refuse de servir est à ses yeux oppressive, castratrice - tandis que pour les deux premiers, elle est avant tout paternelle, selon l'étymologie propre du terme auctor - ce qui fait croître. Tandis que les deux serviteurs ont accompli leur être dans le service et la fructification de ce qui leur était confié, le troisième enfouit avec le talent sa raison d'être et la possibilité de son entrée dans le royaume de Dieu - il est inéluctablement la cause de sa propre condamnation, sans appel
"Et ce propre-à-rien de serviteur, jetez-le dehors, dans les ténèbres: là seront les pleurs et les grincements de dents"
Autrement dit: tu n'as pas travaillé à la prospérité de la maison du maître, alors va te faire pendre ailleurs. Pas cool, mais efficace.
Exercice pratique pour le soir, après vous être brossé les dents : sur un cahier propre, faites le compte de vos talents. Bonne nuit.






17 juin 2008

A qui de droit

Chagall à Nice, et le final de Mrs Dalloway, Virginia Woolf.




"J'arrive" dit Peter, mais il ne se leva pas tout de suite. Qu'est-ce que c'est que cette terreur? Qu'est-ce que c'est que cette extase? se demanda-t-il. Qu'est-ce qui peut bien me remplir de ce sentiment d'exaltation?
C'est Clarissa, dit-il.
Et justement, elle était là.

14 juin 2008

Promenade à vide


J'ai profité d'un moment de battement dans mon agenda de ministre pour répondre à l'injonction d'Inactuel et aller découvrir l'exposition Promenade, construite par Richard Serra, au Grand Palais. L'ampleur de l'évènement illustre bien l'attrait grandissant du public pour l'art monumental. Pour moi, ce fut avant tout l'occasion de découvrir Richard Serra dont il me faut avouer que j'ignorais jusqu'à l'existence! Initiative heureuse, des "médiateurs culturels", disséminés sous la verrière, permettent au visiteur surpris de retomber sur ses pattes.

A vrai dire, une sensation de vide poignante en entrant dans la grande nef (peu ensoleillée en ce vendredi soir grisounet). On saisit rapidement les jeux de perspective à l'oeuvre entre les grandes plaques, et le dialogue entre l'architecture arachnéenne du Palais et la puissance tellurique des masses d'acier brutes élevées en son sein par la main de l'artiste. Mes photos sont bien pauvres et celles de D vous restitueront bien mieux les sensations du visiteur.
" L'expérience finalement, c'est vous, le visiteur, et pas la sculpture. L'interaction qu'elle opère avec votre perception."
Au delà de l'acier la matière première de Richard Serra, c'est l'espace. L'art ne se pense plus alors comme la réécriture d'une histoire mais comme celle d'une expérience spatiale.

"Je n'aime pas dans la sculpture l'idée de narration. Représenter un cheval en bronze et dire que c'est la réalité n'est-ce pas absurde ? En venant ici, au Grand Palais, il n'est pas nécessaire de connaître quoi que ce soit. La pièce ne fait pas référence à quelque chose qu'on connaîtrait déjà. Il suffit de marcher. Et de faire l'expérience. Pas de signification : le sens de l'oeuvre, c'est son effet sur vous. "
Curieuse expérience que celle d'une oeuvre dont il est évident d'emblée qu'elle est vide de tout sens, qu'elle appelle une expérience. Il me semble que l'art contemporain s'adresse de façon privilégiée à l'expérience, cherchant à frapper les sens et le corps du spectateur en dehors de toute démarche rationnellement conceptualisable, cherchant à susciter une sorte de vertige - peut-être métaphysique. Mais pour moi, le vertige n'était pas au rendez-vous au Grand Palais et mon intérêt curieux est resté poli sans enthousiasme.
J'aurais néanmoins apprécié de découvrir physiquement certaines oeuvres que l'on m'a présentées en photos, moins verticales (dont le fameux Clara-Clara de la place de la Concorde), dont il me semble qu'elles partageaient l'espace d'une façon extrêmement inquiétante, et conduisaient le corps du spectateur en elles avec beaucoup de violence.

11 juin 2008

D'un piano à l'autre

Festival de Sully
Pas de Monterverdi cette année, ni les Arts Florissants - qui se produiront vendredi soir dans le cadre splendide de la basilique de Saint Benoît sur Loire... Nous passons le week-end dernier entre deux pianos ! Pas celui d'Alexandre Tharaud, même si nous avions préparé nos oreilles avec lui: occasion de vous conseiller cette interprétation de la Sonate arpeggione de Schubert à laquelle s'ajoutent différentes pièces de Webern et de Berg. Le disque est, évidemment, sublime, à l'image du charisme de ses deux interprètes.




En l'occurence, c'est la jeune pianiste arménienne Varduhi Yeritsyan qui interprétait dimanche la fameuse pièce de Schubert en compagnie du violoncelliste Giorgi Kharadzé, sous le regard bienveillant de Maximilien de Béthune statufié en sa demeure ligérienne. L'interprétation tout autant que le charme de l'ancienne élève de Brigitte Engerer nous a séduits.

Un petit tour dans la cour du chateau ensoleillé et hop, nouveau moment de bonheur avec la sonate n°1 en mi mineur, opus 38, de Brahms. Après les soupirs déchirants de Schubert, l'exaltation brahmsienne emplit l'espace sonore et sature l'âme tout épuisée de ce bonheur musical!
La veille, nous écoutions à Orléans l'orchestre des London Mozart Players, dirigé par Nicolae Modeveanu, pour un programme plus éclectique - et tarte à la crème : ouverture des Noces de Mozart, concerto n°3 en ut mineur, opus 37, de Beethoven et la symphonie "italienne", n°4 en la majeur opus 90 de Mendelssohn, bien légère et un peu frustrante. Là encore nous avons admiré le pianiste, encore un jeune plein d'avenir, Ilia Rachkvoski. La programmation sans cohérence m'a tout de même déçue et j'ai repensé avec nostalgie au moment unique de l'année passée... Fureur et mystère.