21 janvier 2008

Let's celebrate!


Vendredi soir, j'ai découvert la nouvelle carte du
Nextdoor
(Orléans, 6 rue au Lin, 02 38 62 40 00)

Cannelonis d'andouillette, rémoulade à la moutarde d'Orléans

Saumon fumé et blini maisons, crème citronnée à la vodka



Epaule d'agneau cuite très longtemps, légumes au wok, semoule maison


Crépinettes de lieu aux coques, petits légumes


Brochette d'onglet de boeuf, dauphinois au Reblochon



Et ça, c'est mon oeuvre!



17 janvier 2008

Où l'on se laisse surprendre par un féminisme inattendu

Il me semblait qu'en matière de conservatisme j'étais plutôt soft, et que parmi les cathos, on pouvait faire pire - ou mieux (tout est une question de point de vue). Mais lundi, j'ai eu un grand moment de solitude qui me perturbe encore et me laisse penser que je suis totalement rétrograde. L'objet du débat, et de réactions outrées, indignées et sans appel de la part de mes consoeurs catholiques et féminines, était le texte sur la rémunération dans l'encyclique de Jean-Paul II, Laborem exercens:
" [...] le juste salaire devient en chaque cas la vérification concrète de la justice de tout le système socio-économique et en tout cas de son juste fonctionnement. Ce n'en est pas l'unique vérification, mais celle-ci est particulièrement importante et elle en est, en un certain sens, la vérification clé.

Cette vérification concerne avant tout la famille. Une juste rémunération du travail de l'adulte chargé de famille est celle qui sera suffisante pour fonder et faire vivre dignement sa famille et pour en assurer l'avenir. Cette rémunération peut être réalisée soit par l'intermédiaire de ce qu'on appelle le salaire familial, c'est-à-dire un salaire unique donné au chef de famille pour son travail, et qui est suffisant pour les besoins de sa famille sans que son épouse soit obligée de prendre un travail rétribué hors de son foyer, soit par l'intermédiaire d'autres mesures sociales, telles que les allocations familiales ou les allocations de la mère au foyer, allocations qui doivent correspondre aux besoins effectifs, c'est-à-dire au nombre de personnes à charge durant tout le temps ou elles ne sont pas capables d'assumer dignement la responsabilité de leur propre vie.

L'expérience confirme qu'il est nécessaire de s'employer en faveur de la revalorisation sociale des fonctions maternelles, du labeur qui y est lié, et du besoin que les enfants ont de soins, d'amour et d'affection pour être capables de devenir des personnes responsables, moralement et religieusement adultes, psychologiquement équilibrées. Ce sera l'honneur de la société d'assurer à la mère sans faire obstacle à sa liberté, sans discrimination psychologique ou pratique, sans qu'elle soit pénalisée par rapport aux autres femmes la possibilité d'élever ses enfants et de se consacrer à leur éducation selon les différents besoins de leur âge. Qu'elle soit contrainte à abandonner ces tâches pour prendre un emploi rétribué hors de chez elle n'est pas juste du point de vue du bien de la société et de la famille si cela contredit ou rend difficiles les buts premiers de la mission maternelle.
Dans ce contexte, on doit souligner que, d'une façon plus générale, il est nécessaire d'organiser et d'adapter tout le processus du travail de manière à respecter les exigences de la personne et ses formes de vie, et avant tout de sa vie de famille, en tenant compte de l'âge et du sexe de chacun. C'est un fait que, dans beaucoup de sociétés, les femmes travaillent dans presque tous les secteurs de la vie. Il convient cependant qu'elles puissent remplir pleinement leurs tâches selon le caractère qui leur est propre, sans discrimination et sans exclusion des emplois dont elles sont capables, mais aussi sans manquer au respect de leurs aspirations familiales et du rôle spécifique qui leur revient, à côté de l'homme, dans la formation du bien commun de la société. La vraie promotion de la femme exige que le travail soit structuré de manière qu'elle ne soit pas obligée de payer sa promotion par l'abandon de sa propre spécificité et au détriment de sa famille dans laquelle elle a, en tant que mère, un rôle irremplaçable"
Paragraphe 19, 1981

Est-ce que je suis totalement à côté de la plaque? Moi ce texte ne me choque pas. Je ne pense pas que ce soit rabaisser la femme que de dire que son statut de mère lui donne une place particulière - en gros, de dire qu'elle n'est pas un homme...
Mais peut-être suis-je trop jeune et naïve, ou alors, complètement arrièrée. Ou les deux.

15 janvier 2008

Trois regards sur Etty Hillesum

Publiée dans la revue la Vie Spirituelle ce mois-ci, voici une recension d'un petit ouvrage sur Etty Hillesum, dont je vous recommande avant tout la lecture des journaux et lettres publiés au Seuil sous le titre Une vie bouleversée...


Il en va des ouvrages de commentaire comme des effets de styles : certains mettent en lumière des aspects jusqu’alors inaperçus d’une personnalité ou d’une oeuvre, tandis que d’autres viennent se surajouter à un ensemble déjà riche de sens et accessible comme tel. Ainsi, le lecteur déjà familiarisé avec le journal et les lettres d’Etty Hillesum éprouvera peut-être un sentiment de redondance en se plongeant dans le petit collectif que nous proposent les éditions Arfuyen.
Croisant les regards du père carme D. Sterckx, du poète - et traducteur de Rilke - C. Vigée, et de l’écrivain et dramaturge C. Juliet, préfacé par Liliane Hillesum - cousine d’Etty, il conviendra de préférence aux néophytes, désirant plus découvrir à la fois une personne et une spiritualité que de se plonger dans une analyse conceptuelle. L’approche, volontiers hagiographique, privilégie l’évocation d’une personnalité dont la richesse et la profondeur de la spiritualité se révèle sans fioriture dans ses écrits. Le risque de cette option de travail étant de verser assez rapidement dans un sentimentalisme assumé, qui, s’il peut toucher certains lecteurs, gênera peut-être d’autres - ces mêmes autres qui regretteront peut-être le peu de densité conceptuelle de l’analyse.
Si le lecteur déjà initié peut effectivement rester sur sa faim, il faut reconnaître le mérite d’une ligne éditoriale qui vise à faire partager avec générosité l’expérience d’Etty, et de proposer une sorte de petite « base de données » sur l’expérience spirituelle de la jeune femme qui sera un bon outil de travail pour ceux qui veulent prendre, un temps, Etty pour maîtresse de vie spirituelle.

Etty Hillesum, histoire de la fille qui ne savait pas s’agenouiller
C. Juliet, D. Sterckx et C. Vigée
éd. Arfuyen 2007.



11 janvier 2008

Des égarements, une prison, et pour finir : une Chartreuse !

Pour Gilles
Puisqu'il est dédié aux happy few que l'on nous reproche d'être, parfois, sur ces pages, je dois vous dire quelques mots sur La Chartreuse de Parme. Bien sûr ils seront bien insuffisants et bien partiaux, perdus face à ce livre immense sur lequel on a tant parlé et écrit. Les chefs-d'oeuvres seraient-ils intouchables parce que géniaux?


"Je ne sais rien qui m'ouvre plus facilement des vers, et d'ailleurs n'importe quelle page, que les noms de lieux, de rivières, de provinces, de villes."
Corée l'absente, p. 11

Peut-être Stendhal aurait-il pu exprimer la même réflexion que Renaud Camus pendant ces fameux 53 jours de l'hiver 1838 où il accoucha de La Chartreuse... Motivée dès la page de titre par cette citation de l'Arioste:
"Gia mi fut dolci inviti a empir le carte / I luoghi ameni"

"Jadis me furent une douce invitation à écrire / des lieux charmants"
Sat. IV
Car c'est d'abord le coeur débordant de ses chers souvenirs italiens que Stendhal entreprend de dicter son oeuvre. Mais plus loin, les lieux de l'action, les noms de lieux, les déplacements et les voyages, les franchissements de frontières et les lieux où l'on habite constituent une trame passionnante pour la lecture de l'oeuvre.
Stendhal nous offre effectivement avec Fabrice Del Dongo un personnage principal pour ainsi dire sans assiette, en perpétuelle fuite et en constante recherche d'un lieu d'habitation. La quête du lieu - dont la résolution finale et l'aboutissement nous sont donnés dans le titre du livre - s'apparente à la quête existentielle de la vocation du héros, qui n'est finalement en recherche, peut-être, que de son propre héroïsme ?
Qu'il soit dans la maison de son père, il ne s'y sent pas chez lui; et c'est dans le clocher de l'église de son vieil ami le père Blanès qui se rend en cachette. Fou d'amour envers Napoléon, Fabrice commet sa première effraction en fuyant de ce lieu morne et hostile pour transgresser une première fois les frontières établies et se rendre en France. Dès lors son existence, et par conséquent, l'action du roman, prend la forme d'une pérégrination compliquée et délibérément comique dans laquelle il entraîne sa tante, la belle Sanseverina - et le lecteur tout étourdi par ce roman si géographique.


Frontières transgressées: Fabrice est un hors-la-loi, et les savoureuses intrigues politiques de la petite cour de Parme, où règne Ernest Ranuce IV (!), le conduisent avec une absurdité très réaliste en prison pour de biens longs jours. Et voila notre Fabrice, celui-là même qui, allant par monts et par vaux, se pensait incapable d'aimer, qui tombe amoureux, depuis sa prison, de la belle Clélia qu'il peut contempler par effraction (à 11h45). Enfermé dans une inexpugnable forteresse, le héros qui ne se sentait chez lui nulle part trouve enfin son lieu d'habitation lorsqu'il trouve l'unique passion qui possèdera son coeur. Au point qu'après s'être échappé, il n'aura plus qu'un souhait: y retourner. Dans cette prison qui lui est si douce et qui représente si bien l'enfermement forcené de la passion amoureuse...


Alors, d'une prison où l'on se consume de passion à une Chartreuse où l'on en meurt... Et cette fin délicieuse, si abrupte, où tout s'accomplit: le roman se referme de lui-même, formant une unité pleine, n'ouvrant sur aucun avenir, aucun rêve, aucune possibilité de fantasme pour le lecteur empoigné par cette main romanesque ferme et virtuose.

Je ne m'étonne pas que, parmi les happy few qui ont gouté ce livre avant que la Littérature ne s'en empare, on compte Nietzsche. La lecture de la réponse de Stendhal à l'article fleuve de Balzac sur son oeuvre rappelle certaines sentences nietzschéennes de façon amusante :

"Je lis fort peu"
p. 667 dans l'édition Folio de Mariella Di Maio

"Le beau style de M. de C[hateaubriand] me sembla ridicule dès 1802. Ce style me semble dire une quantité de petites
faussetés. Toute ma croyance sur le style est dans ce mot"
Ibid.

" [...] je lis peu de nos livres. A l'exception de Mme de Mordauf et des ouvrages de cet auteur, de quelques romans de George Sand et des nouvelles écrites dans les journaux par M. Soulié, je n'ai rien lu de ce qu'on imprime.
En composant la C., pour prendre le ton, je lisais de temps en temps quelques pages du Code Civil"
Seconde version de la lettre, p. 670.

Mais la Chartreuse est un roman qu'on ne finit jamais de ruminer...

10 janvier 2008

Mélodrame bourgeois et longueurs

Divorce à Buda, de Sandor Maraï (1935)

Enthousiasmée par Les Braises, je poursuis ma découverte de Sandor Maraï, avec Divorce à Buda: grosse déception. On retrouve des thèmes communs, apparemment assez récurrents dans l'oeuvre de l'écrivain hongrois: le huis-clos entre deux hommes - autour d'une figure féminine qui à la fois les réunit et les oppose, le motif de la passion - ici pathologique, un regard désabusé sur la bourgeoisie issue de l'empire austro-hongrois...
Seulement, l'intrigue est lourde, les ficelles assez grosses - avec une dose de freudisme subtile qui suffit à exaspérer. Tout se mélange dans un mélodrame bourgeois ennuyeux avec de longues digressions qui rappellent les pires moments du morne et désespérant Zweig.
Et finalement la somme de reflexions intéressantes du roman, sur le désir humain de posséder totalement celui que l'on aime, les occasions manquées, les non-dits, le désir de justice... tout est didactique et presque caricatural. On ne retrouve pas le souffle romanesque, condensé et intense, qui anime l'intrigue des Braises.
Heureusement, il y a l'absente ! Mais je n'en dis pas plus pour le moment...


Divorce à Buda,
Sandor Maraï
traduit du hongrois par Georges Kassai et Zeno Bianu
Le Livre de Poche, 2007
première édition française, Albin Michel, 2002

08 janvier 2008

Pourtant, c'était même pas mon anniversaire


Alors que je rentrais du travail,
fraîchement descendue du train,
avec dans mon sac la Chartreuse,
terminée ce matin,
je trouve
qui m'attend
sagement
dans ma boîte aux lettres


MERCI!

Demain, mon sac va être deux fois plus lourd... Mais quelle belle et douce surprise!

06 janvier 2008

La soumission des astres

Je trouve qu'on oublie un peu vite la fête de l'épiphanie.

Cette solennité, qui clôt le temps de Noël, marque pourtant une nouveauté singulière. Après cette naitivité secrète et discrète dans l'intimité d'une étable, entre boeuf et âne, après cette fête des anges dont les chants s'adressent à de modestes bergers, la publicité autour de la naissance de Jésus devient plus grande. Le phénomène de l'incarnation commence à paraître en pleine lumière: des étrangers, des savants, mettent la puce à l'oreille du (vilain) roi et les choses commencent à faire du bruit. L'enfant innocent commence déjà à diviser les hommes et à semer la discorde!
Ce qui est singulier c'est que c'est une étoile, spécialement apparue, qui est le vecteur de cette contagion de l'information. Les mages venus de l'orient, attirés par l'étoile et bientôt guidés par elle, découvrent la véritable source de la lumière, la lumière des nations.
Je ne peux m'empêcher de penser à ce passage de l'épître aux galates (4, 1-7):
Nous aussi, durant notre jeunesse, nous étions asservis aux éléments du monde. Mais quand vint le plénitude du temps, Dieu envoya son fils [...].
Phrase qui rappelle combien la condition humaine est susceptible de se laisser dominer par le pouvoir des éléments, par les astres et les croyances idolâtres. L'assimilation du Christ - et de sa mère, stella maris - à un astre, sa désignation par une étoile, reprenant des symboles puissants des religions païennes, rappelle surtout que l'incarnation change tout: que l'homme n'est plus soumis aux éléments du monde et à la puissance des astres, et que ce tout petit enfant vers lequel les mages avancent est le seul astre qu'il légitime d'adorer, le seul dieu que l'on puisse adorer en gagnant sa liberté, venant écraser toutes les idoles et toutes les croyances aliénantes...
Ceci dit, bonne frangipane à tous!

05 janvier 2008

Unis dans le corps amoureux du Christ

"Très Chère, il me faut me hâter en t'écrivant; j'essaierai pourtant de t'écrire quelque chose, fût-ce très peu de chose, qui puisse, en une certaine mesure, réveiller ta joie.
Car enfin tu es imprimée dans la moëlle de mon coeur, et loin que je puisse t'oublier, j'évoque au contraire d'autant plus souvent ta mémoire, que je sais combien tu m'aimes avec sincérité, et de toutes les entrailles de ton coeur"
Qui adresse ces mots ardents à la dame de ses pensées? Un amant à sa maîtresse, dont il est séparé depuis trop longtemps? Un époux en voyage qui rassure son épouse inquiète? Un fiancé qui désespère de pouvoir posséder sa fiancée un jour?
Perdu. Il s'agit d'un extrait des lettres du Bx Jourdain de Saxe (1185 - 1237), successeur de saint Dominique à la tête de l'ordre des prêcheurs, à la Bse Diane d'Andalo (1200 - 1236), jeune moniale dominicaine.

Incroyable, mais vrai! Longtemps inaccessible, ce texte est réédité par les éditions du Cerf en l'honneur de l'année jubilaire de l'ordre dominicain, commémorant le 800ème anniversaire de la fondation des moniales. Occasion de se rappeller qu'un ordre religieux, et cela comme une famille, se construit grâce aux liens puissants qui peuvent se tisser entre les hommes et les femmes... Quoiqu'on puisse en penser dans les sphères trop viriles de l'institution romaine, les hommes et les femmes sont complémentaires et c'est une chose bonne car voulue par Dieu lui-même.
Chance aussi de pouvoir accéder par le biais de ces 50 lettres (dont les réponses sont perdues) à l'intimité surprenante du coeur de ces saints dominicains vieux de huit siècles. Surprenant de constater que l'amour, l'amour amoureux qui vise un homme ou une femme, n'est pas absent de leur vie! Il est même, au contraire, une force fondamentale...
Et pourquoi en serait-il autrement? Les prêtres, les religieux, les saints et les saintes, ne deviennent pas êtres angéliques et acorporels en recevant l'ordre ou en prononçant les voeux. Pourquoi les priverait-on de sentiments? Seraient-ils d'heureux mortels déjà morts à toute passion du coeur et du corps?
La différence essentielle entre eux et le commun que nous sommes se situe ailleurs.
"La santé que je désire pour moi-même, je la désire aussi pour toi, ma fille très chère; car avec ton coeur mon coeur est un dans le Seigneur"
(lettre 43, page 123)
L'union amoureuse de Jourdain et de Diane est vécue dans le corps aimant de Jésus, comme une eucharistie au sein du suprême sacrifice d'action de grâce. Dépassant sans en supprimer l'intensité tragique la contradiction fondamentale exprimée dans ce passage de l'Homme sans qualités:
"Comment s'expliquer que l'idéal de tous les amants soit de devenir un seul être, quand ces ingrats doivent presque tout l'attrait de l'amour au fait qu'ils sont deux et de sexe délicieusement différents?"
(II, chap. 56, p. 582)
Devenir un seul être, dans le corps du Christ: l'expérience de l'amour comme celle de l'eucharistie fait éprouver aux hommes la réalité de la communion universelle dans le corps mystique du Christ, qui se révèlera lors de la plénitude des temps où tous seront en tous. "Deux et de sexe délicieusement différent", Diane et Jourdain communient dans le corps du Christ où s'épanche leur profonde affection mutuelle. S'apportant tous deux force conseils et soutien, au long des séparations, quant à leurs ministères respectifs.
"Le temps dont je dispose à présent est trop court pour que je t'écrive, ainsi qu'il me serait doux, une de ces lettres comme tu les aimes.

Cependant je t'écris, et je t'envoies le Verbe abrégé, fait tout petit dans la crèche, qui pour nous S'est incarné Verbe de salut et de grâce, Verbe de douceur et de gloire, Verbe qui est le très bon, le très suave Jésus-Christ; et Jésus-Christ crucifié, exalté sur la croix et élevé à la droite du Père, vers laquelle et par laquelle tu élèves ton âme - y soit-elle en paix, sans fin, pour les siècles des siècles!

C'est ce verbe qu'il faut relire dans ton coeur, repasser dans ton esprit; c'est sa douceur qu'il faut avoir en ta bouche comme celle du miel. C'est ce verbe qu'il faut méditer sans cesse, sans cesse rouler dans ta pensée: qu'il demeure en toi, et habite toujours en toi.

Il est encore un autre verbe, petit et bref: c'est ma tendresse, qui a ta dilection parlera pour moi dans ton coeur et rassasiera ton désir. Que ce verbe soit toujours avec toi, qu'il demeure aussi toujours en toi"
(lettre 31, p. 99)
Toute la puissance réthorique d'un frère prêcheur pour exprimer la profonde union entre l'amour de Dieu et celui qu'il éprouve lui-même... Union des coeurs et des corps dans le coeur et le corps de Dieu. L'union des corps est manifeste:
"Maintenant je suis près de partir pour la Lombardie et j'espère que dans peu de temps, grâce à Dieu, je te verrai. J'ai su que tu t'étais blessée au pied; et j'ai mal à ton pied. Te voila avertie de te montrer prudente, et en ce qui est de ton pied, et en ce qui est de tout ton corps"
(lettre 47, p. 133)
Jourdain s'attache à modérer les excès passionnés de Diane et l'incite à ne pas négliger son corps, sa nourriture (lettre 14, p. 54) et sa santé.
"Je ne te paie pas de retour, je le crois fermement, car tu m'aimes plus que je ne t'aime. Mais je ne veux pas que cette affection, qui m'est douce, éprouve trop ton corps ou trouble trop ton âme"
(lettre 15, p. 57)
Mais l'affection fait exploser les cadres spatio-temporels et les deux amis se voient en rêves (lettre 46) ou évoquent leur présence spirituelle l'un à l'autre:
"Mais encore que je ne vienne pas te rendre visite en mon corps, je n'en suis pas moins avec toi en esprit car où que j'aille, en mon corps, je demeure avec toi, en esprit; et toi qui demeures corporellement je t'emporte avec moi, spirituellement"
(lettre 41, p. 118)
Diane et Jourdain auront toute leur vie fait l'épreuve de la séparation, thème qui recoupe dans les lettres celui de la mort, séparation si brutale, qui est aussi promesse d'union totale... Ainsi cette lettre 17, déchirante, où Jourdain évoque la mort de son cher Henri, en pleine jeunesse:
"Quand Dieu essuiera toute larme des yeux de Ses saints, Il essuiera aussi ces larmes amères que, depuis mon départ, tu as si abondamment versées. Non sans doute à la mesure de l'immense chagrin de ton coeur, j'avais espéré, sous l'inspiration du doux Esprit Consolateur, pouvoir t'envoyer quelques consolations; mais voici que mon espérance a fui, parce que toute consolation s'est dérobée de mon âme. Car Celui qui divise et départage entre tous, comme il lui plaît, Celui-là même qui ne séparera plus les Frères unis, il lui a plu de les séparer, Il les a séparés, c'en est fait"
(lettre 17, p. 61)
La douleur extrême de Jourdain, qui perd son fils spirituel et son frère en saint Dominique, ne trouve sa consolation que dans l'espoir d'accéder à cette joie parfaite que le Christ a promise. Mais cette expression dont la foi n'enlève rien à la puissance tragique n'est rien à côté de la dernière lettre envoyée à sa soeur Diane. Jourdain sait alors que sa mort est proche: son souci n'est plus tant celui d'apporter une consolation à Diane que de lui exprimer le fond de son âme.
"Du reste, c'est peu de choses, Chère, que ce que nous nous écrivons l'un à l'autre: c'est au plus profond de nos coeurs qu'est la ferveur de dilection dont nous nous aimons dans le Seigneur; et c'est là, dans cette intime affection de la Charité, que tu me dis, et que je te dis sans fin, ce que nulle langue ne peut dignement exprimer, et nulle lettre contenir.

O Diane, que l'état présent qu'il nous faut supporter est misérable, puisque nous ne pouvons nous aimer l'un l'autre sans douleur, penser l'un à l'autre sans anxiété!

Car enfin, tu souffres, tu te tourmentes parce qu'il ne t'est point accordé de me voir sans cesse; moi je me tourmente de ce que ta présence m'est trop rarement donnée.

Qui nous conduira dans la Cité forte, dans la Cité du Dieu des armées, fondée par le Très-Haut, où nous ne soupirerons plus, haletants, ni après lui, ni l'un après l'autre? Ici chaque jour nous sommes lacérés, et les entrailles de nos coeurs déchirées, et chaque jour nos propres misères nous forcent à crier: "Qui nous délivrera de ce corps de mort?"

Et pourtant nous devons patiemment porter cette vie, et autant qu'il est possible à notre quotidienne pauvreté, recueillir notre âme en Celui-là seul qui peut nous affranchir de toutes nos pauvretés, en qui seul nous trouvons le repos, et hors de qui, en tout ce que nous voyons, nous ne trouvons que tribulation et qu'abondance de douleur"
(lettre 50, p. 139-140)
Les lettres de Jourdain à Diane manifestent avec éclat qu'il n'est pas de mystique qui n'aie un corps, et un corps humain. Pourquoi Dieu aurait-il pris sur Lui ce corps si ce n'était pour unir l'homme à Lui dans les profondeurs de ses entrailles désirantes?

02 janvier 2008

Comme nuages au ciel

Comme nuages au ciel, le temps passe.
Il faut boire le champagne pendant qu'il est frais et que les bulles montent, joyeusement, inéluctablement volatiles!
Alors bonne année à tous,
pleine de bulles joyeuses et de champagne doré,
encore des lectures et des discussions interminables,
des découvertes et des rencontres,
des passions ardentes
et des désillusions froides comme un parfum éventé