24 octobre 2006

Fenêtre Derridienne sur Babel


Un extrait du livre de Geoffrey Bennington sur Derrida (Seuil, 1991), qui nous ouvre encore d'autres perspectives sur Babel... Je ne sais pas trop d'où elles sortent d'ailleurs, c'est assez tiré par les cheveux mais bon, je ne suis ni éxégète, ni normalienne (mortification) mon incompréhension doit être naturelle. Il n'empêche que l'idée profonde de l'analyse est passionante. Je n'ai pas le loisir (ni le courage) d'aller jeter un coup d'oeil chez Derrida lui même - peut-être Gai Luron peut-il nous y aider, puisant dans sa monumentale et admirable bibliothèque?



p. 163: "Pour servir en quelque sorte d'emblème de cette situation, Derrida choisit l'"exemple" de Babel, qui noue ensemble les thèmes de la traduction et du nom propre. La Genèse raconte comment la tribu des Shem (le mot Shem veut dire "nom" en hébreu) voulut se faire un nom en édifiant une tour et en imposant sa seule langue à tous les peuples de la terre. Pour les punir de cette ambition outrancière, Yahweh détrusit la tour en criant son nom "Bavel" ou "Babel", qui ressemble (confusément) au mot hébreu qui veut dire "confusion", et imposa à la terre la différenciation linguistique. Cette histoire, sur laquelle Derrida revient à plusieurs reprises, fasciné, a des ressources que nnous n'épuiserons pas ici. L'essentiel tient à ceci: en imposant son nom (confusément aperçu comme "confusion") contre le nom de nom (Shem), Dieu impose à la fois la nécessité et l'impossibilité de la traduction. La dispersion des tribus et des langues sur la terre les condamnera à la confusion, et donc à la nécvessité de s'entretraduire sans jamais réussir à atteindre la traduction parfaite, ce qui reviendrait à l'imposition d'une seule langue. Dans ce milieu de relative confusion, résultat d'une traduction confuse du nom de Dieu, nous sommes condamnés, non pas à l'incompréhension totale, ni à l'intraduisibilité pure, mais à un travail de traduction qui ne sera jamais accompli. Comme la confusion absolue est impensable, aussi bien que la compréhension absolue, le texte est par définition "situé" dans ce milieu, et donc tout texte appelle à une traduction qui ne sera jamais faite [...]".


(c'est Agathe qui souligne); suivent des considérations sur le nom propre et le nom commun que je vous partagerai peut-être demain, si Chronos me favorise.


Je vous salue avec joie, joie, joie, cette joie, épanouissement de l'être, qui vient du travail de la pensée orienté vers la Vérité!

15 octobre 2006

Des Fans au Carmel

Petit clin d'oeil à l'un de mes maîtres spirituels, st Boby, pour fêter avec vous Ste Thérèse d'Avila. Une sacré bonne femme à laquelle je me suis confiée lors de mon baptême, et qui me patronne avec diligence depuis longtemps.
C'est donc aujourd'hui ma fête! Joie, joie,
joie!
Pour fêter l'évènement, jeu concours
: cadeau surprise offert à celui (Ulrich disqualifié bien sûr) ou celle qui me donnera le titre de la chanson de laquelle est extraite l'allusion lapointienne, ainsi que la citation exacte de la phrase... eh eh eh!! Je doute que vous soyiez de taille à relever cet épineux défi. J'attends avec impatience le fruit de vos recherches.
Message plus que laconique pour cause de connection internet ruralement désespérante (l'ADSL n'est pas encore d'actualité). Je vous embrasse et vais finir mon dimanche avec Botticelli, Julius de Baraglioul et Arnica Fleurissoire.
Gidement vôtre,
Elise Thérèse Agathe Belle Lurette, une vocation et mille avatars pour la gloire de Dieu

14 octobre 2006

De la difficile incorporation

Je méditais hier sur la question du corps, remâchant de nombreux débats avec Gai Luron et de multiples obsessions personnelles.
Observant la difficulté pour nos contemporains à se penser membres d'un corps politique (voir le post sur "ce pays" chez Gai Luron, et sur la facilité de nos concitoyens à se penser comme externes à leur propre nation), j'ai rapporté ce comportement à la facilité de s'affirmer "catholique" tout en marquant une distance vis à vis de l'Eglise du même nom (attitude contradictoire en soi, voir mon commentaire sur le post "les musulmans pratiquants" toujours chez G L)...
En fait, je crois qu'il s'agit bien d'un même réflexe, d'une même conception de l'homme qui est en jeu ici, et surtout d'une même difficulté à se penser soi-même comme corps incorporé.
Si notre culture glorifie effectivement le corps, c'est bien sous un rapport strictement individuel. L'idée d'un corps collectif (l'Etat, l'Eglise) effraye et semble remettre en cause l'individualisme souverain... Comme si le grand corps absorbait le petit et le digérait - descriptif même du système totalitaire, qui avale l'individu, le broye, et le défèque enfin. Cf Grossman...
Mais un état qui ne soit pas totalitaire ressemblerait peut-être à la Sainte Eglise, dans sa vocation mystique: un corps dont les membres sont soumis à la tête, quoique chacun soit essentiel à l'équilibre de l'organisme. Un corps où l'autorité serait à la fois souveraine, dans un chef - le Christ, le chef de l'état, le Roi (spéciale dédicace à Ségolène si tu m'entends!), et partagée à tous les membres - par l'onction du baptême, tous ont part à l'autorité du Christ en devenant prêtre, prophète et roi. Une démocratie enfin juste?
En fait, je crois que pour entrer dans une démarche politique constructive, tout comme pour entrer dans une vie spirituelle épanouissante, il faut accepter cette difficile incorporation. Par là, j'entends: ne plus se penser uniquement comme corps individuel, comme fin en soi, mais comme membre d'un corps, acceptant de se soumettre à l'exercice d'un souverain. Et ça, c'est pas trop dans le vent de nos jours.
La subtilité gisant dans le fait que se penser membre d'un corps qui nous dépasse, ce n'est pas nier son propre corps; je crois au contraire que c'est lui donner sa juste place. D'ailleurs, ce qui est fascinant, c'est de voir que dans l'Eglise, le corps du Christ nous concerne en deux dimensions: en tant qu'Il nous incorpore dans l'Eglise; nous en sommes les membres, et en tant que nous même l'incorporons - tout ça dans la communion eucharistique évidemment.
Il y a donc, pour reprendre les termes d'un débat laissé en plan, en quelque sorte un mouvement d'extase et d'instase dans la communion, puisque le Christ me pousse hors des limites de mon corps pour constituer avec "les autres" (niak) son corps mystique, mais en même temps, Il vient habiter mon corps et en fait sa demeure. En ce sens, le corps est le lieu de la rencontre avec Dieu sous un double rapport: dans MON corps et dans le corps collectif.
Hum hum, il y a vraiment matière à rédiger un master II avec tout ça, vous ne croyez pas?

13 octobre 2006

La résurrection, ou l'arsenal démembré

Je suis fascinée par l'évangile d'aujourd'hui, qui me replonge dans mon exaltation girardienne de l'année passée. C'est un texte énigmatique et difficile, dense, de Luc (11, 15-26). Je ne veux pas me lancer dans une éxégèse à l'heure du déjeuner, mais je crois très fort aux fruits spirituels de ce texte, alors déjeunons évangéliquement!
Attardons nous, si vous le voulez bien, sur l'image du guerrier.
"Quand l'homme fort et bien armé garde son palais, tout ce qui lui appartient est en sécurité. Mais si un plus fort intervient et triomphe de lui, il lui enlève l'équipement de combat qui lui donnait confiance, et il distribue tout ce qu'il lui a pris. Celui qui n'est pas avec moi est contre moi ; celui qui ne rassemble pas avec moi disperse".
René Girard souligne combien il est regrettable que les chrétiens ne parlent pas de Satan. Ils abandonnent le sujet aux fantaisistes dépressifs de tout poil avec une complaisance déconcertante. Hummm. Pourquoi donc, et comment, parler de Satan? Comme en tout point dans notre foi, il est nécessaire de tenir un juste milieu. Il est aussi mauvais de ne parler que de l'ange apostat, puisque celui-ci est vaincu par le Christ, que n'en jamais toucher mot. Effectivement, Satan déjà vaincu se débat avec la rage du désespoir, et si son pouvoir est limité, il ne nous empoisonne pas moins la vie! Savoir reconnaître ce pouvoir avec justesse est, je crois, une des clefs de la joie.
Une de mes grandes découvertes spirituelles de l'année passée, suite à la lecture de ce texte commenté par Girard, a été de découvrir le pouvoir libérateur de la reconnaissance de Satan. Satan est ce guerrier blindé qui se tient sur le chemin de ronde de la Jérusalem Céleste, essayant par tous les moyens de nous empêcher d'en franchir les portes! Le Malin a besoin d'armes, car il se sait vaincu; il assoit son pouvoir sur des artifices impressionnants. Ce que Girard met bien en valeur, c'est que les Ecritures Saintes nous apprennent à reconnaître cet arsenal satanique. Effectivement, le Christ a terrassé Satan, "il lui enlève l'équipement de combat qui lui donnait confiance, et il distribue tout ce qu'il lui a pris": il NOUS le distribue, et nous luttons à armes égales avec le Diable. Cette spiritualité du combat, je trouve celà très beau, d'une belle virilité (Funny Friend, tu me comprends)... Armés de cette intelligence du Christ, qui nous aide à discerner de la vérité de Satan, nous devenons capables de "le voir tomber comme l'éclair"! Phrase foudroyante qui devrait parler à chacun de façon concrète...
Le Christ ressuscité est celui qui nous ouvre un chemin d'unité en nous donnant les clefs des artifices sataniques de division et de dispersion. Combat pour l'unité intérieure qui est le chemin à suivre pour préparer l'unité de tous en tous au dernier jour (le Royaume Millénaire musilien!). Mais combien est vraie la conclusion du texte de Luc!
"Quand l'esprit mauvais est sorti d'un homme, il parcourt les terres desséchées en cherchant un lieu de repos. Et comme il n'en trouve pas, il se dit : 'Je vais retourner dans ma maison, d'où je suis sorti.' En arrivant, il la trouve balayée et bien rangée. Alors, il s'en va, et il prend sept autres esprits encore plus mauvais que lui, ils y entrent, et ils s'y installent. Ainsi, l'état de cet homme est pire à la fin qu'au début".
Plus nous appartenons à l'unité du Christ ressuscité, plus nous sommes assaillis par le "Diabolos", celui qui divise. Heureusement, l'Eucharistie fortifie tout notre être, et l'Esprit Saint fait le ménage. Bon appétit!

10 octobre 2006

Une allégorie de la décadence


Ca change de Botticelli, mais c'est pas mal non plus. Spécialement pour Gai Luron, évidemment, qui me demande des explications sur le concept de décadence. Et bien, voila, ça se passe de commentaires!

02 octobre 2006

Du sexe des anges

Aujourd'hui, l'Eglise Catholique fête les saints Anges gardiens. Une fête intéressante quand on pense au pouvoir d'évocation des anges dans l'imaginaire de nos contemporains. J'avoue que pour ma part, issue d'une conversion philosophique, j'ai eu bien du mal à saisir dans un premier temps la profondeur et l'intérêt de cette question. Un peu effarée par l'imagerie nunuche et le commerce new age qui se développe dans ce domaine, dans le paganisme le plus strict.
C'est grâce encore une fois à Emmanuel Falque que j'ai fini par comprendre que l'intéressant, avec les anges, c'est qu'ils nous renvoient à la gloire de notre condition humaine. Question cruciale, en fait, car il y a une tendance à l'angélisme bien insupportable dans le christianisme. Cette négation et ce mépris du corps, ce dégoût du sexe, du plaisir, etc ; en bref, ce que se plaisent à souligner certains "intellectuels" athéologues malhonnêtes... Pour dénoncer une "religion morbide et mortifère". En réalité, il s'agit bien moins d'une critique du christianisme que des ses interprétations et de ses dérives gnostiques - qui existent et ont toujours existé, il ne faut pas le nier.
Quand j'étais petite, je me suis souvent dit que la vie serait plus simple si on n'avait à traîner, nourrir, soigner, ce corps qui nous encombre. Pleine de bons sentiments, je me disais que si nous étions de purs esprits, il n'y aurait plus de problèmes de famine et d'épidémies. J'aurais pu tourner gnostique et m'enfermer dans cette idée. J'aurais rêvé, si j'avais eu ces notions en têtes, que les hommes soient des anges! Je pense que c'est en découvrant la philosophie et sa rage d'éclairer le rapport entre l'un et le multiple, l'être et le non être, le même et l'autre, l'éternel et le corruptible, que j'ai compris la valeur de la Création terrestre. Et j'ai pu entendre enfin le fameux verdict pascalien de la fameuse pensée 678 : « L’homme n’est ni ange ni bête et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête ».
Ainsi en va-t-il donc de la splendeur de la condition de l'homme, bien plus digne que celle de l'ange. A quel titre? L'ange n'a guère de liberté. Il se tient devant Dieu de toute éternité et par conséquent, le sert. L'homme, lui, est libre et responsable. Il est libre et responsable, et surtout, il est le fruit de cette union entre le divers et l'un, il est corps et âme pour l'éternité. Il possède la liberté de décision, à l'image de Dieu - contrairement à l'ange; et il porte à son assomption la corporéité de l'animal. Toujours l'homme - c'est une grand leçon pascalienne - se tient sur le fil du rasoir, point d'union improbable et en recherche. Nous ne sommes donc ni anges, n'en déplaise aux dégoûtés de la chair, ni des bêtes, malgré ce qu'une certaine modernité aimerait nous faire croire...
Bonne journée et bonne fête.

01 octobre 2006

Pour en finir avec Babel

... poursuite (encore!) de ma rumination du fameux texte sur la tour de Babel.
Comme le faisait remarquer G L, je ne peux me défaire d'une tendance à la lecture typologique lorsque je me penche sur le Premier Testament. Je m'explique ; c'est-à-dire que, par une déformation dûe à ma foi, je ne peux lire les textes qu'à partir de la grille de lecture offerte par l'Evangile: prenant le parti de croire que l'Evangile et la personne du Christ viennent éclairer et révéler le sens profond de ce qui ne pouvait être pleinement exprimé avant - Dieu étant un tantinet pédagogue et patient avec notre finitude. Dans le cadre d'une telle lecture, on identifie des "types" qui sont dans le Premier Testament les préfigurations des réalités exprimées par l'Evangile. Et même, plus loin, des réalités qui se vivent dans l'Eglise, qui s'enracinent, évidemment, dans la Parole.
Je vous donne un exemple particulièrement parlant ; le thème récurrent de la traversée de la mer (par les Hébreux suivant Moïse, par Noé sur l'arche, par Jonas dans le ventre de la baleine...) renvoie à la réalité de la passion et de la résurrection du Christ, qui traverse les eaux sombres de la mort, reste trois jours dans le ventre de l'enfer, et nous donne d'accéder à la terre promise du Royaume par sa résurrection. De là, la réalité sacramentelle du baptême, qui manifeste ce passage de la mort à la vie en Christ ressuscité par la traversée de l'eau.
Tout ça pour vous dire que je me suis demandé de quoi la tour de Babel pouvait bien être le type. Et là, paf! Bon sang, mais c'est bien sûr: elle préfigure Jérusalem, la cité terrestre et céleste, et au-delà, mystiquement et architecturalement, l'Eglise.
L'Eglise: le lieu de la rencontre et de la réconciliation entre Dieu et l'homme, dans le corps du Christ ressuscité. La nouvelle Babel ne peut se construire qu'autour de la Croix... Et se construire petit à petit, au cours de l'histoire humaine, comme une réalité verticale, enracinée dans le monde, qui manifeste l'unité entre le ciel et la terre.
Ce que je contemple en la cathédrale st Gatien que j'aime tant...