La liturgie, qui rappelle la mémoire de deux "martyrs" exécutés dans des circonstances atroces, rappelle combien le mystère de l'Eglise s'enracine dans la Croix du Fils de l'Homme et dans le sang versé, à la suite du côté transpercé du Christ, par les témoins qui ont donné leur vie pour la foi. Pourquoi n'insiste-t-on pas plus sur le lien organique qui unit, dans le processus de déploiement du mystère de l'Eglise, l'agonie et la mort sur le Croix aux apparitions du Christ ressuscité? Au rouge de l'étole devrait s'ajouter le blanc de la résurrection, qui vient toucher intimement les hommes qui ont rencontré le Vivant...
Car la vocation de Paul comme celle de Pierre s'enracine profondément dans la rencontre avec Jésus ressuscité.
Dans le cas de Paul, il ne peut en être qu'ainsi puisque cet "apôtre" indigne du nom n'a pas cotoyé le Christ au cours de son existence terrestre. Il ne peut donc s'agir que d'une rencontre surnaturelle. Ce n'est pas non plus la rencontre avec le martyr - le premier d'une longue série, Etienne, qui viendra susciter chez le jeune Saul la foi et le désir de Dieu (Cf. Actes 7, 54-60)... Pourtant la vision transfigurante du chemin de Damas introduira Saul dans une nouvelle dimension. Alors qu'Etienne contemple, en succombant sous les pierres de ses bourreaux, le Fils de l'Homme dans sa gloire, Saul est aveuglé par la même gloire qui le dépasse (Actes 9, 1-7). La grâce de la rencontre avec Jésus ressuscité est presque destructrice pour cet homme absolu, et Dieu se garde de le laisser replié sur sa vision et lui envoie rapidement le bienveillant Ananie qui vient le ramener à la vie (Actes 9, 10-18). Dans tous les cas ce "passage" par l'expérience physique de la résurrection (lumière foudroyante, présence de Jésus lui-même) transfigure l'être entier de Paul qui ne va plus cesser de prêcher la Croix, folie pour les hommes, et la Résurrection, sans laquelle notre foi est vide de sens...
Dans le cas de Pierre l'expérience est différente. J'ai déjà évoqué sur ce site la profonde rupture que représente pour les disciples la rencontre avec le Christ revenu du séjour de morts. Si Jésus avait annoncé à Pierre dès avant sa montée vers Jérusalem la mission qu'il se verrait confier (Cf. Mt 16, 13-20), il faudra pour celui-ci traverser le reniement pascal puis le conjurer en réaffirmant à Jésus son amour (Jn 21, 15-19), avant de pouvoir assumer la mission apostolique.
De Pierre à Paul, deux personnalités bien différentes, deux vocations complémentaires, une même rencontre décisive avec le ressuscité aux sources de l'apostolat. S'il est important de rappeller que le sang des martyrs imprègne l'Eglise pour ainsi dire, on ne peut ni se limiter ni se gargariser de la souffrance et de la mort. C'est la vie, une vie pleine de la gloire de Dieu et de la joie des âmes justes, qu'il faut prêcher!
En affirmant que l'Eglise se fonde sur la vocation apostolique de Pierre et de Paul, on peut dire qu'elle naît d'une prédication passionnée de la résurrection, issue de l''expérience intime et décisive de celle-ci. Si Jésus affirme dès avant sa passion que "les portes de l'Hadès ne tiendront pas" devant l'oeuvre confiée à Pierre, c'est bien parce que, au-delà de la source originelle de la Croix, c'est dans la vie du ressuscité que s'enracine l'Eglise, formidable vecteur de vie, véritable puissance de transfiguration à l'oeuvre dans le monde.
Ill: Ruines de l'église saint Lubin, Yèvre le Châtel, Loiret.