31 août 2007

Vanitas vanitatum

Vanitas vanitatum, vanitas vanitatum et omnia vanitas...
Cette parole du livre de l'Ecclésiaste (1, 2) pourrait faire office de leitmotiv au visiteur qui découvre ou redécouvre, émergeant des brumes matinales, les incroyables cheminées de Chambord.

Mais il n'est pas au bout de ses surprises.

Vanité que cette splendide folie perdue au fond des bois, construite sur une forêt de pilotis de troncs de chênes! Pavillon de chasse de 426 pièces, impossible à chauffer malgré ses 282 cheminées, humide, invivable!


Vanité que ces ciselures, dentelles de pierre de tuffeau si fragile et si friable, dont les blocs explosent lorsque vient le gel...

Vanité que cet oratoire royal entièrement décoré de salamandres et de monogrammes royaux, portés aux nues par de joufflus chérubins...



Vanité des vanités!


Vanité que cette terrasse à l'italienne en pleine forêt ligérienne, terrasse dont le système d'évacuation des eaux nécessita des miracles d'ingéniosité.


Vanité que ce mystérieux et envoûtant escalier central à double vis, où l'on se croise... sans se rencontrer.







Vanité que cette fausse architecture moyenageuse: donjon, tour d'enceinte, douves, dont le seul but est d'exalter la modernité renaissante dans toutes ses surprises.



Une vitrine onirique au matin - dans la brume, resplendissante le midi, éclaboussée de soleil, truffée de symboles. Une image vaniteuse qui se contemple elle-même dans les yeux émerveillés de ses visiteurs...

Splendeur et mégalomanie de ce bijou hérité de la monarchie avec un grand F comme François. Une certaine idée de la France, une certaine idée de la politique. Une certaine envie aussi, désir de beauté et de grandeur.
Une véritable allégorie de la sécularisation de l'idée du pouvoir à la Renaissance... Ou de la sacralisation du pouvoir politique!
Vanité des vanités, certes. Vanité dont le plan se veut fondé sur celui de la Nouvelle Jérusalem.
Cité terrestre, cité céleste.

29 août 2007

Sur l'Incarnation par Jean-Baptiste Bourgoin : Ecce homo

Je ne fais ici que reprendre le commentaire laissé par mon ami Jean-Baptiste Bourgoin en exergue du post de Funny Friend portant sur l'Incarnation. Je vous laisse en découvrir la teneur qui m'a personnellement bouleversée.



« Un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire »
Cette superbe phrase me parle parce qu'elle désigne un nouveau commencement. Si Dieu choisi d'assumer jusqu'au bout l'Incarnation par la venue au monde d'un enfant, n'est-ce pas pour nous dire, réaliser même, que l'homme est d'abord un nouveau commencement ? Tous les hommes sont un nouveau commencement. Aucun homme n'est superflu. Si l'homme est un nouveau commencement, alors son humanité, son être-homme, est un devenir. Au travers de la naissance du Christ, Dieu dit : l'homme n'est pas une nature fixe, il est un commencement, et donc une fin.

De la Natalité à la Croix, la réalisation de l'homme : ecce homo.

Si l'homme est un commencement, et donc une fin, alors la Croix, la mortalité voulue par Dieu, réalise l'homme.

Mais que suppose une telle affirmation ? Un homme toujours en devenir ? Dieu pose le problème de la confiance entre les hommes. Comment faire confiance, c'est à dire croire en la promesse faite par un homme, en un homme qui n'a pas de nature fixe, qui est pure culture ? En se faisant homme, Dieu dit : vous devez maintenant croire en l'homme comme vous croyez en moi. Luther disait que Dieu est nécessaire car il faut un être en qui nous pouvons toujours avoir confiance. L'Amour et la Foi sont les marques de la confiance en Dieu. Par l'Amour l'homme voit, reconnaît et loue Dieu. Il le reconnaît et le voit car seul Dieu est toujours pleinement lui-même. Il le loue car il rend possible la confiance entre les hommes en plaçant sa confiance en Lui. La Foi devient acte d'Amour. Et l'Amour de Dieu, en rendant possible la confiance dans les promesses des hommes qui sont purs devenir, rend possible le politique. Avec Jésus, la Foi devient l'élément structurant du politique.

Mais avec la Natalité et la Croix, Dieu nous dit autre chose : la mortalité est un fait humain. Si l'homme nait dans un espace qui lui est préexistant et qui continuera après sa mort, c'est que cet espace dure. C'est espace c'est notre monde. Pas la Nature, qui est pure mouvement cyclique de création/destruction. Le monde traverse cette Nature consummatoire. Les œuvres des hommes, les batîments, les textes, la musique, la Culture, voilà ce qui érige un monde qui dure et fait de l'homme un être mortel.

La Natalité et la Croix confirment la culture humaine.

Si la Culture dure, c'est parce que les nouveaux commencement, les nouvelles naissances, apprennent de leurs Ancêtres. Ils se souviennent. Dans le souvenir naît le dialogue, la parole vivante. En me remémorant ou lisant la parole des morts, j'entre dans un dialogue qui me construit, moi homme toujours en devenir qui a besoin d'une Culture (la parole des morts) pour tenir dans mon être. Je fais resurgir la parole vivante.

« Et toute cette multitude de ceux qui dorment dans la poussière de la terre se réveilleront, les uns pour la vie éternelle, et les autres pour un opprobre éternel qu'ils auront toujours devant les yeux. Or tous ceux qui auront été savants brilleront comme les feux du firmament, et ceux qui en auront instruits plusieurs dans la voie de la justice luiront comme des étoiles dans toute l'éternité.» (Daniel XII, 2-3)

La Culture, l'homme en devenir mènent à la Résurrection.

La Résurrection est résurrection de la voix, de la parole, de la vie du mort. L'Amour dans le Crucifié est reconnaissance de Jésus. Non amour du Christ, mais amour de Jésus, l'homme en devenir et qui a vécu :

«Comment ils le reconnurent à la fraction du pain» (Luc 24,35)

La reconnaissance n'est pas regard d'une nature fixe ou d'un discours décharné, elle est reconnaissance d'une voix et d'une vie qui se rencontrent dans la Parole. La Parole est dialogique car elle est incarnée. Nous ne pouvons dialoguer qu'avec un vivant.

Ce n'est pas la prêche du Christ qui révèle Jésus Ressuscité à ses disciples. C'est sa Parole suivie de la fraction du pain. Une parole incarnée dans une vie.

«Jésus lui dit : Marie ! Se retournant, elle lui dit en hébreu : Rabbouni» (Jean 20, 26)

« L'homme par qui, et par qui seul, les hommes inachevés que nous sommes deviennent pleinement hommes »

Natalité, Crucifixion, Résurrection : ecce homo. L'apparition de l'homme, ce perpétuel commencement, est apparition du devenir. Si l'homme pleinement homme est l'homme qui devient, alors nous pouvons imaginer Dieu dire aux hommes : "Devenez ce que vous êtes". Cela n'est possible que parce que nous naissons et mourrons. Nous venons au monde dans la perspective de notre fin. Nous sommes immédiatement en devenir, mais nous devenons pleinement un devenir quand nous choisissons de l'être, quand nous choisissons de vivre afin de devenir, quand nous choisissons de nous "faire un nom". Quand nous agissons de manière à incarner le nom qui nous a été donné. C'est à notre mort, dans le moment ou l'on se souvien de nous, que nous faisons définitivement notre nom. Pascal (Blaise) est définitivement Pascal. Il n'est pas un nom creux, car il résonne en nom comme une personne vivante. Voilà la Résurrection, ce moment ou les vivants font revivre les morts car ils sont "des étoiles dans toute l'éternité".

Ce que les vivants font revivre c'est la vie des hommes, leur parole incarnée, leurs actions. Le retour éternel du devenir d'un homme qui alimente le devenir d'un nouvel homme au travers du dialogue des morts avec les vivants.

L'homme est celui qui a assez de force pour incarner pleinement sa parole en sachant qu'elle sera éternellement répétée. L'Éternel Retour de soi en tous les autres, voilà peut-être le message de Jésus : "Moi homme, pleinement homme, en naissant et mourrant, je reviens éternellement au travers de vous, hommes naissant et mortels".

L'homme comme devenir perpétuel : cette annonce du Christ libère les hommes du péché. Co-naître, naître avec de manière perpétuelle, voilà le péché d'Adam. Dieu avait créé Adam à son image, une image est pure fixité. En choisissant la connaissance, l'homme choisissait le devenir, la spécificité divine. Dieu est purement subsistant en lui-même dans son devenir même, voilà pourquoi son nom est imprononçable. Il est inprononçable car il est pur mouvement qui se tient pourtant constamment. En choisissant de co-naître, de naître toujours à nouveau au contact de chaque chose, l'homme choisissait le devenir.

Mais l'homme ne pouvait se tenir lui-même dans ce devenir, voilà la chute.

En se faisant homme, et en mourrant crucifié, Jésus rachète le péché des hommes en faisant de la Culture, de l'histoire, du dialogue de soi avec autrui, des vivants avec les morts, la possibilité de tenir dans son devenir au travers l'Éternel Retour de soi chez les vivants. La Résurrection.

Ill: Musée du message biblique Marc Chagall à Nice, détail de la lutte de Jacob avec l'ange (photo personnelle).

25 août 2007

Simone Weil et l’intelligence transfigurée

En 1942, Simone Weil, en quête de réponses aux questions qu’elle se pose quant à la foi catholique, sollicite Jacques Maritain qui lui recommande le père Marie-Alain Couturier [1] , op. Elle lui écrit à deux reprises, en septembre, puis au mois de novembre - une longue lettre au ton abrupt et définitif, développant 35 points « de non-retour » quant à sa propre conception de la foi. Pour elle, il s’agissait de mettre à plat les obstacles conceptuels qui se présentaient sur la route d’un potentiel baptême. Baptême qui n’aura jamais lieu, et l’on ne s’en étonne pas à la lecture de ces pages pleines de feu et d’intuitions acérées, mais aussi de mauvaise foi et d’idées fantaisistes lancées avec fougue et conviction…


Au-delà des obstacles que peuvent représenter la partialité et le manque d’objectivité de Simone Weil, je voudrais me concentrer ici sur l'analyse du rapport entre foi et intelligence développé dans le vingt-sixième point [2] de la seconde de ces lettres. Ce texte très court - même pas deux pages - permet d'entrer dans la pensée de Simone Weil de façon intéressante car il expose sa théorie de l'âme. Il est peut-être nécessaire de rappeller ici que la philosophie de S. Weil, si elle vise avant tout à définir une vie politique acceptable, se fonde sur une métaphysique qui lui est propre. Au fil de son oeuvre éclatée et mal connue se dessinent une théologie, une cosmologie et une psychologie personnelles; en bref une métaphysique au sens classique du terme dont les axes principaux sont les suivants:
- Le monde créé est issu du retrait de Dieu qui a abandonné sa toute-puissance pour instaurer des mécanismes physiques, des lois naturelles qui régissent l'univers de façon nécessaire (Cosmologie). L'instauration de cette nécessité définie comme un "écran" est la condition de possibilité de la liberté humaine, qui se trouve comme "protégée" de Dieu et de sa gloire. La vie humaine a pour vocation de rejoindre l'ordre surnaturel - celui de la Charité - en renonçant à la volonté de toute-puissance et en se rendant obéissant à l'ordre naturel.
- Dieu est retiré de la Création et il se montre comme le souffrant, absolument obéissant: le Christ crucifié (Théologie). La théologie de S. Weil comporte de nombreux autres aspects qu'il ne semble pas utile de développer ici.
- L'âme humaine est le point de contact de l'homme avec le surnaturel, c'est-à-dire avec la "logique" divine, tandis que son corps est pris dans le réseau de nécessités de la logique naturelle (Psychologie). Cette théorie de l'âme implique une anthropologie que S. Weil développera en particulier dans ses derniers écrits, afin de déterminer les conditions de vie politique les plus aptes à favoriser l'épanouissement de la personne dans cet enracinement à la fois terrestre et surnaturel.
Le texte du paragraphe 26 de la Lettre à un religieux décrit d'abord la structure de l'âme humaine telle que la conceptualise S. Weil. Cette structure est fortement hiérachisée, et dominée par deux facultés principales: la "faculté d'amour surnaturel" qui constitue pour ainsi dire le sommet de l'âme, et "l'intelligence, qui est la plus précieuse après l'amour". Des autres facultés évoquées, S. Weil ne dit rien sinon qu'elles doivent avec l'intelligence se subordonner à la faculté d'amour. S'agit-il des fonctions vitales? S. Weil est peut-être trop anti aristotélicienne pour le reconnaître, mais peu importe pour le propos qui nous intéresse. La fonction de l'âme est donc définie, et ce de façon implicite, comme la zone de contact en l'homme entre le réel naturel et le réel surnaturel.
Si l'on admet que les facultés passées sous silence constituent celles qui permettent d'assurer la survie du corps au jour le jour, l'intelligence, quant à elle, permet d'appréhender la logique naturelle des mécanismes mondains. La faculté d'intelligence est définie comme "faculté qui permet d'affirmer ou de nier"; en d'autres termes, elle est assimilée à la fonction de jugement, de "prédication" qui permet l'identification du réel, sa désignation, la distinction entre vérité et mensonge. Quant à la faculté d'amour, elle est la plus élevée des parties de l'âme car elle est "la seule qui soit capable de contact et par suite d'adhésion" à l'égard des "mystères de la foi"; donc, des vérités de l'ordre du réel surnaturel.
Ainsi divisée, l'âme est conçue comme une structure dynamique orientée vers la faculté d'amour dominante; la vie de l'âme semble assimilée à une montée en puissance de sa capacité de contact avec le monde, de compréhension de celui-ci dans toutes ses dimensions (naturelle et surnaturelle) à travers un processus de transfiguration qui passe par la subordination à la grâce divine. Ainsi, on ne pourra pas penser la vie de l'âme sans l'enraciner dans la vie de l'Esprit - avec un grand E. Le rapport de la foi à l'intelligence n'est plus conçu comme un conflit de facultés adverses, mais comme une collaboration féconde entre faculté humaine et vertu qui vient de Dieu, et plus particulièrement de l'Esprit Saint, puisqu'il s'agit ici des vertus dites "théologales". La dynamique de l'âme passe par une mécanique des vertus théologales; celles que la théologie catholique affirme capitales pour la vie chrétiennes, car issues d'un don gracieux de l'Esprit Saint.
La vie de l'âme est conçue sous le mode de la finalité: S. Weil dit qu'elle est "orientée vers une transformation après laquelle elle sera tout entière et exclusivement amour". Cette téléologie de l'âme est soutenue par la vertu d'espérance. Cette orientation doit amener l'âme dans l'ensemble de ses parties à se "subordonner" à la faculté d'amour surnaturelle - autrement dit, à s'ordonner selon la charité. C'est cette subordination que S. Weil appelle la foi. Par le jeu conjoint des vertus théologales - Spirituelles et des facultés humaines, l'âme atteint sa plénitude dans "l'exercice de la faculté d'amour surnaturel", la charité. La psychologie de S. Weil rejoint ainsi admirablement le grand texte de 1 Corinthiens 13 par trop fameux. Le cheminement de l'âme vers cet accomplissement passe par un accomplissement de chacune de ses facultés "qui doivent y trouver chacune son bien propre".
Si donc "les mystères de la foi ne sont pas un objet pour l'intelligence en tant que faculté qui permet d'affirmer ou de nier", on conçoit parfaitement qu'ils soient l'objet de la contemplation de la faculté d'amour surnaturelle de l'âme. Est-ce à dire qu'il soit impossible de réfléchir sur ces mystères?
En fait, dans la grande tradition mystique à laquelle elle aime à se rattacher, S. Weil va décrire l'entrée dans l'intelligence des mystères de la foi selon le mode de la nuit spirituelle décrite par Jean de la Croix. La subordination à la faculté d'amour implique un dépassement des autres parties de l'âme - et particulièrement de l'intelligence qui est réduite au silence. Il faut laisser l'amour entrer en l'âme en abdiquant - temporairement - de notre pouvoir de juger. Cette épochè est bien entendue temporaire:
"Quand l'intelligence, ayant fait silence pour laisser l'amour envahir toute l'âme, recommence de nouveau à s'exercer, elle se trouve contenir davantage de l'umière qu'auparavant, davantage d'aptitude à saisir les objets, les vérités qui lui sont propres"
En laissant l'amour la transfigurer, l'âme accroît sa capacité d'intelligence du monde qui l'entoure tout en abordant les réalités surnaturelles. Cette découverte de la vérité du monde s'opère par un travail conjoint des facultés naturelles de l'âme et des dons surnaturels de la grâce, comme on l'a montré: on rejoint par là l'idée fondamentale de la liberté de l'homme devant Dieu, qui refuse de s'imposer à sa créature de peur d'en faire son esclave. En outre, ce processus est celui de l'accomplissement de l'âme qui développe ses facultés par l'entrée dans la mécanique des vertus théologales. L'homme donne un acte d'obéissance, et c'est Dieu seul qui accomplit cette subordination de l'âme à l'amour.
On retrouve la structure platonicienne de la pensée de S. Weil dans la description de l'état de l'âme bien ordonnée par l'amour. La simple contemplation amoureuse, qui ne cherche pas à saisir ni à comprendre, est bien l'état de la theoria, de la contemplation par-delà l'effort dialectique. Aussi S. Weil renvoit-elle à l'exemple du beau:
"De même, quand on fait parfaitement attention à une musique parfaitement belle (et de même pour l'architecture, la peinture, etc.), l'intelligence n'y trouve rien à affirmer ni à nier. Mais toutes les facultés de l'âme, y compris l'intelligence, font silence et sont suspendues à l'audition. L'audition est appliquée à un objet incompréhensible, mais qui enferme de la vérité et du bien. Et l'intelligence, qui n'y saisit aucune vérité, y trouve néanmoins une nourriture"[3]
Le mystère de la beauté se trouve ainsi rapporté au mystère de la foi, thème courant chez l'auteur, accentuant la touche platonicienne: le Kalon k'Agathon qui réduit au silence l'intelligence pour mieux l'éclairer. Ou: l'entrée de l'intelligence dans la gloire de la résurrection?

[1] Il s’agit de celui-là même qui fonda la Revue « Art Sacré » et qui sollicita Le Corbusier (couvent de la Tourette) et qui dialogua avec Matisse (construction de la chapelle du Rosaire à Vence)
[2] Lettre à un religieux, in Oeuvres, p. 1005-1006.
[3] C'est moi qui souligne.

23 août 2007

La Rochelle en gris et or

Pour Christophe,

merci!








22 août 2007

Laquée d'argent

Pour celui à qui l'on pensait, auquel il semble que l'on pense encore


Dans l'île de Ré

Ma belle adorée
Je t'emmènerai
Bientôt
Au mois le plus tendre
Le mois de septembre
Où l'on peut s'étendre
Bien seuls
Regardant la plaque
Des flots et les flaques
Que les soirées laquent
D'argent
Regardant les teintes
Allumées, éteintes
D'une toile peinte
Par un génie clair




Dans l'île de Ré
Ma belle adorée
Je t'emmènerai
Tout beau
Remontant l'aorte
D'une route accorte
Nous irons aux Portes
Au bout
Mes parents y vivent
Tout près de la rive
Brodée de salives
Nacrées
Là, la fleur marine
Par les deux narines
Grise la poitrine
D'un encens sucré ...

Claude Nougaro (extrait)

16 août 2007

L'Ensemble Gilles Binchois à Lorris


Mes parents m'avaient fait la joie et le plaisir de m'inviter hier au concert de l'Ensemble Gilles Binchois, donné à Lorris dans le cadre du festival d'orgue. L'orgue de l'église Notre Dame, dit "en nid d'hirondelle", compte parmi les plus anciens d'Europe: XVIème siècle!


Quoique la communication ne soit pas le fort de l'association organisatrice, l'église était comble pour applaudir le groupe vocal (Anne-Marie Lablaude et Dominique Vellard) et l'organiste invité (Daniel Thiry). Le programme du concert m'est resté un peu nébuleux puisque j'ai renâclé à dépenser cinq euros pour obtenir la plaquette. Malgré tout, l'orientation du concert, fidèle au répertoire de l'ensemble, était axée sur la chanson de cour des XIVème et XVèmes siècles français et italiens.
Nous avons reconnu des airs de Guillaume de Machaut, et de son compagnon Gilles Binchois, que nous écoutions jadis, naguère... Je ne connaissais en revanche pas du tout la partie italienne de la programmation (Landini). L'interprétation était au-delà de tout commentaire.
Un pur moment d'enchantement!

Dame, ne regardez pas
A vostre valour
Ne à moy, se je sui bas,
Mais loial Amour
Resgardez, qui par douçour
M'adonne d'un amoureus dart,
Par vostre dous plaisant regart...


Au moment de sortir, impossible de trouver un débit de boisson ouvert. Lorris, jour férié, 19h30, temps gris... Nous avons échoué dans un kebab pour y boire un thé en discutant sur l'avenir de la Russie avec mon amie Katya et son compagnon. Beau moment d'amitié après une heure consacrée à l'amour courtois...

15 août 2007

Sur l'Incarnation : réflexion et perspective, par Funny Friend

Plutôt que d'en rajouter une couche sur la fête de l'Assomption, que j'ai déjà évoquée sur ces pages, j'ai le plaisir de vous offrir ce petit texte signé par notre postulant dominicain préféré, dont vous reconnaîtrez sans nul doute le ton libre et enjoué.

« Il est venu le temps des cathédrales... », oui, enfin il est surtout venu le temps des vacances : joie, joie, joie !! Je profite donc de mon temps libre pour achever ce que j'ai commencé (je n'oublie pas que je vous dois encore deux ou trois posts pour conclure ma série littéraire, « Littérature : l'essentiel ou rien »...) ou tenir mes promesses.

C'est donc avec plaisir que je vous livre par les bons soins d'Elise ce modeste post proposant des pistes de réflexion autour du mystère de l'Incarnation que j'aime particulièrement à méditer. Il fait suite aux articles d'Elise sur la fête du Sacré-Coeur et celle de la Fête-Dieu et est né de l'invitation d'un certain « Anonyme »...

Comme d'habitude j'essaierai d'être le moins pontifiant possible, de citer tant que faire se peut les Saintes Ecritures et je laisse le champ-libre à qui que ce soit pour compléter ou critiquer ma prestation. J'ajoute que, n'étant pas encore révérend Père dominicain, je me suis librement passé du nihil obstat de notre Sainte Mère l'Eglise. Par conséquent ce texte n'engage que moi et je demande d'ores et déjà pardon pour les idioties ou autres hérésies que je pourrais consciemment ou non prononcer.

De toute manière l'Incarnation est un mystère et ce ne sont pas les quelque mots que je vais écrire qui vont tout éclaircir d'un seul coup. La seule autorité que je peux alléguer se limite à ma petite expérience de croyant et à celle naturelle d'être humain. J'articulerai mon propos en deux axes : une partie plus christologique et l'autre plus pragmatique, style « et moi dans tout ça », parce les chrétiens ne sont définitivement pas des âmes végétatives !!

Bonne lecture à tous.

Sur l'Incarnation par Funny Friend : 1 - Jésus, vrai homme, vrai Dieu

De nombreuses religions mettent en oeuvre l'incarnation. Des religions antiques aux religions asiatiques encore actives aujourd'hui. Pensons simplement aux multiples incarnations auxquelles se livre Zeus pour conquérir ces dames ou bien aux multiples incarnations de Vishnu comme Krishna. De nombreux mythes exaltent le rencontre entre le divin et l'humain. Dans ce genre de cas on dépasse guère le stade de l'anthropomorphisme : l'événement reste circonscrit dans le temps et très souvent la nature humaine sert de faire-valoir à la nature divine.
Seulement chez les chrétiens rien de tel vous vous en doutez. Le « concept » y trouve sa forme aboutie. Pour les disciples du Christ, l'Incarnation est le fait que le Fils de Dieu ait assumé la nature humaine et ait consenti, par là, à s'abaisser pour assurer notre salut. Donc Jésus est vrai homme et vrai Dieu. Homme et Dieu à part égale et entière. Une seule personne (en théologie on emploie le terme d'hypostase) mais deux natures. Voilà ce qui fait la spécificité de la foi chrétienne et, à mon sens, sa force, sa vérité.
L'Incarnation dépasse le cadre de la fantaisie mythologique. Si Dieu choisit d'assumer la condition humaine c'est parce qu'Il est Tout-Amour et qu'Il veut réaliser notre salut quelque peu malmené depuis qu'Adam et Eve eurent commis le péché originel.
Cette cause salvatrice de l'Incarnation, Nicolas Cabasilas, penseur grec orthodoxe de la fin du XIVe sièlcle nous en donne connaissance d'assez belle manière. A la question « Pourquoi Dieu s'est-il fait homme ? », voici ce qu'il répond :
« Il n'était pas possible de vivre pour Dieu sans être mort aux péchés ; mais le pouvoir de mettre à mort le péché n'appartenait qu'à Dieu. En effet, pour nous les hommes c'était une obligation -ayant été vaincus volontairement, nous étions tenus de réparer notre défaite-, mais cela nous était absolument impossible, une fois devenus esclaves du péché : comment aurions-nous pu l'emporter sur ce dont nous étions esclaves ? Aurions-nous même été plus grand que nous ne sommes, « l'esclave n'est pas plus grand que son maître. » Puis donc que celui qui était tenu d'acquitter cette dette et de remporter cette victoire était réduit en esclavage par ceux-là même qu'il devait vaincre au combat ; et puisque Dieu, qui était capable, n'avait aucune dette, et que dans ces condition aucun des deux ne se chargeait du combat, et que le péché vivait, et qu'il n'y avait plus moyen que la véritable vie se levât sur nous -car autre était celui qui devait gagner ce trophée, autre celui qui le pouvait-, pour cette raison il fallut que l'un et l'autre se réunisse, que fussent un seul et même être les deux natures de celui qui devait faire la guerre et de celui qui pouvait vaincre.
C'est ce qui se produit : un Dieu s'approprie le combat livré pour les hommes, parce qu'il est homme ; un homme triomphe du péché, étant pur de tout péché parce qu'il est Dieu. De cette façon, notre nature est affranchie de la honte et ceint la couronne de la victoire, car le péché a été abattu. »

En somme cela revient à l'exclamation de Jean Chrysostome lors d'une homélie sur la Nativité : «Un Dieu sur la terre, et un homme dans le ciel ; un concert admirable rétabli». Oui, par le mystère de l'Incarnation le monde retrouve son caractère intrinsèquement bon, son harmonie est rétablie.

Le Nouveau Testament manifeste largement cette unité des deux natures, humaine et divine, en la personne du Christ. Tout est intimement lié.
Tout commence par la Nativité. Une naissance banale en apparence mais l'ange du Seigneur est présent pour annoncer au monde à travers les bergers de Bethléem le caractère extraordinaire de la venue au monde du Christ : « Ne craignez pas, car voici que je viens vous annoncer une bonne nouvelle, une grande joie pour tout le peuple : aujourd'hui vous est né un Sauveur, dans la ville de David. Il est le Messie, le Seigneur. Et voilà le signe qui vous est donné : un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire ». « Un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire ». On voit bien qu'ici pour Dieu prendre forme humaine n'est pas un jeu, une solution de facilité pour assouvir tel ou tel désir. Dieu a choisi d'assumer jusqu'au bout l'Incarnation, pas de signe particulier, pas de coup de tonnerre pour prévenir de son arrivée, pas de signe distinctif, non, simplement « un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire ».
Comprenez-moi bien, je ne voudrais pas passer pour un arien de derrière les fagots (bien que tout ça soit bien mystérieux et que chacun d'entre nous soit toujours plus ou moins hérétique sans le savoir ; papa, maman si vous me lisez...) mais les faits sont là. Et je ne gloserai pas sur le silence des évangiles concernant les quelque trente années qui précèdent le ministère public du Christ. Pendant ce temps Jésus vit «normalement », « grandissant et se fortifiant, tout rempli de sagesse, et la grâce de Dieu étant sur lui ».
Le Baptême du Christ marque un tournant évidemment, Dieu lui-même s'exprime : « C'est toi mon Fils : moi, aujourd'hui je t'ai engendré ». Au fur et à mesure que Jésus avance dans sa mission salvatrice son caractère divin s'affirme. Il se manifestera d'ailleurs glorieusement par la Résurrection et la Pentecôte. Mais la manifestation de la nature divine du Christ n'efface en rien son humanité. Prenons le texte de la résurrection de Lazare . Notre Dieu, Jésus, celui-là même qui affirme à Marthe : « Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s'il meurt, vivra » (v.25), Jésus donc, est touché, ému, bouleversé par la mort de son ami Lazare. Le terme est répété deux fois tout comme l'équivalent grec, «εμβριμωμαι » qui ajoute une nuance de colère, de révolte dans le sentiment exprimé par Jésus à ce moment. On notera aussi l'emploi du verbe « δακρυω » : le Christ verse littéralement des larmes et fait preuve de plus de retenue puisqu'à l'opposé, Marthe, Marie et les familiers de Lazare « se lamentent » («κλαίω ») dans la plus pure tradition orientale. Bref, Jésus réagit comme n'importe lequel d'entre nous le ferait face à la mort de son ami et à la détresse de sa famille.
Oui, mes amis, « DEUS CARITAS EST » et par surcroit « Deus homo est » ! Jésus est d'ailleurs tellement homme qu'il va jusqu'à subir pour nous la dernière des infâmies : la mort. Naissance et mort, le destin de chacun d'entre nous. Ce destin, le Christ l'a vécu. Seulement puisqu'Il est le Sauveur il est allé plus loin. « Le Christ est ressuscité des morts. Par sa mort Il a vaincu la mort. A ceux qui sont au tombeau Il a donné la Vie ».
Vous vous rendez bien compte tous seuls, arrivés à ce stade, que l'exposé que je tente de construire, et au-delà toute recherche théologique elle-même trouve sa limite dans l'objet-même de sa recherche tellement l'imbrication de tous ces éléments est grande (Incarnation, Résurrection, humanité, divinité,etc.), tellement dans une telle démarche la tête doit laisser place au coeur !!
Puisque tout ça me donne quelque peu le vertige et que résonne en moi les paroles de St Thomas d'Aquin, « Contemplata aliis tradere », je vous propose une pause, petit temps de silence ou de prière pour ceux qui veulent, une bonne Guiness pour les autres. Rendez-vous dans deux minutes pour la deuxième et dernière partie de ce déjà long discours !! (lol)....

Sur l'Incarnation par Funny Friend : 2 - Devenir un en Christ

En Jésus se réalise l'humanité parfaite, l'humanité réconciliée, l'humanité ressuscitée telle que nous la vivrons dans le Royaume Eternel s'il nous est permis d'y entrer. Il est « l'homme par qui, et par qui seul, les hommes inachevés que nous sommes deviennent pleinement hommes »[1].


En Dieu depuis tout temps, pour les hommes, le « 25 Décembre de l'an 0 », il se produit un truc formidable, quelque chose d'inimaginable en somme : grâce au petit Jésus la distance entre le Créateur et la créature est abolie. Dieu se fait proche des hommes tandis que les hommes deviennent divinisables. Vous direz ce que vous voudrez, mais ça c'est unique !! Voici encore ce que nous livre le célèbre jésuite (merci de noter mon non-sectarisme ! lol) François Varillon :



«
Si l'Homme-Dieu existe, si l'Absolu prend figure sans cesser d'être l'Absolu, c'est que Dieu est Amour et que sa puissance est celle de l'amour. Dès lors l'Alliance n'a plus forme de contrat : le Christ lui-même est l'Alliance, « nouvelle et éternelle ». Non plus seulement union, toujours perfectible, mais l'unité, indépassable, de Dieu et de l'homme en une seule Personne. Le Christ est indivisiblement le terme et le mouvement de Dieu vers l'homme - Dieu est Amour - et de l'homme vers Dieu – l'homme en son ultime profondeur est espérance d'aimer. Dieu est révélé à l'homme en même temps que l'homme est révélé à lui-même. L'amour, accueil et don, est, à l'origine de son mouvement, volonté que l'autre soit, position de l'autre comme autre. Au terme de son mouvement, il est union de telle sorte que, devenant autre, l'autre devienne le même. Dans le Christ l'homme, dont Dieu veut qu'il soit autre, n'est pas pour Dieu un autre. Le même est homme et Dieu. Tous les hommes sont au monde pour être un en Lui. »


Alors que répondre à la question : « Et moi dans tout ça ? » Eh, bien, comme tout le reste, l’Incarnation du Christ est pour le chrétien un appel à la responsabilité, une invitation à vivre son humanité dans tout ce qui fait sa beauté ou parfois son caractère tragique, et encore plus une obligation de service auprès de notre prochain devenu pour nous image du Christ.



A travers l’Incarnation, le corps humain retrouve sa dignité. C’est l’Incarnation qui donne du sens à la mission de témoins, comme la Madre, Teresa de Calcutta, dans sa vie donnée pour les plus pauvres d’entre les pauvres. Oui, le Christ Lui-même nous le rappelle : « En vérité je vous le dit, dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petit de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40). Mais les exigences face à ce Mystère peuvent se trouver encore plus dans notre quotidien sans revêtir ces formes « extraordinaires ». Comment ne pas s’indigner face à l’image dévalorisée de l’Homme (je mets là une majuscule parce que souvent ce sont d’ailleurs plutôt des femmes qui sont concernées par ce problème) que nous livre la société « moderne » à travers la publicité, et pire, la pornographie, la prostitution, ou encore le racisme ou tel autre fléau ?? Comprenons-nous bien je ne suis pas, un Père la Morale, Elise pourra en témoigner. On peut lire « Cosmo » mais le tout c’est ne pas être dupe de tout ce système où l’Homme est réduit à un « objet » !

Finalement l’Incarnation nous rappelle qu’elle est notre vocation, ce pour quoi nous sommes sur Terre : « aimer et être aimé » ! Vivre « sous Son regard, dans l’Amour » ! En gros être saint ! Et comme les choses sont bien faites le Christ, Dieu, est à la fois le but de ce chemin de vie (la sainteté n’est pas autre chose que la « divinisation » de l’Homme) et le moyen d’y parvenir ! C’est pas beautiful ça, les amis.

iens, en parlant d’amis, il faut dire que le chrétien «gnan-gnan » qui vit de manière éthérée, style presbytérien américain du XIXème, porte, à mon avis, un contre témoignage. Cela est sans doute le fruit d’une vision « jupitérienne » de Dieu qui est une vision erronée. Ce n’est pas blasphémer que de dire que Jésus a eu des sentiments (on l’a vu avec l’épisode de Lazare). C’est pourquoi Dieu n’a pas voulu que l’homme soit seul. Et c’est cela encore que nous rappelle Mère Teresa, toujours elle, lorsqu’elle affirme : « La plus grande souffrance est de se sentir seul, sans amour, abandonné de tous. » Sur l’amitié en Christ je vous renvoie à une belle méditation du P. Cantalamessa (ofm), prédicateur de la Maison Pontificale.


En modo de conclución, je dirais que, comme je vous le disais en commençant, tout cela ne représente que mon propre point de vue et ne rassemble que quelques pistes. A vous, maintenant d’approfondir si vous le désirez, de méditer plus en profondeur. Et pour terminer je vous livre ce poème de Karol Wojtyla, pape Jean-Paul II intitulé « Un Noir » :


« Mon frère, je vois en toi une terre immense,
un continent où des courants se sont arrêtés promptement,
où le soleil cuit tout ton être, comme si
le corps était une gangue de fer déjà dans le four.

En toi vibre mon esprit fait de ton métal !
Mon esprit avec diverses stries et la même
balance partageant la vérité de l’erreur.

Quelle grande joie de mesurer
avec la même balance les images
qui brillent dans tes yeux et dans les miens
différents comme les mouvements d’une idée,
d’une essence identique »


[Texte paru dans le n°6, année 2, de Juin 2007 de la revue « Totus Tuus », revue de la postulation de la cause en béatification du serviteur de Dieu Jean-Paul II. Traduction approximative de l’espagnol.]

Paix et joie !!



[1] Fr. Varillon, Un abrégé de la foi catholique, « Le Christ révèle qui est l'homme », p.30, Ed. Bayard, 2006

12 août 2007

Escapade à Loches


Conviée à Loches ce week-end pour d'amicales festivités, je n'ai eu le temps de faire un tour en ville que rapidement, entre mon obligation dominicale et le déjeuner. Brève promenade qui m'a enchantée et donné envie de revenir très vite dans le sud de la Touraine - d'autant plus que nous avons dormi dans un hôtel parfait!
Pas le temps, malheureusement, d'aller découvrir les fameux Caravage de Philippe de Béthune, dont la découverte et l'attribution au peintre suscitent une amusante polémique.

La Cène à Emmaüs, et l'Incrédulité de Thomas, (1601-1605) ci-dessous:



Qu'importe, car la collégiale st Ourse est une splendeur étonnante! Et bien mise en valeur par l'éclairage et l'aménagement extérieur des alentours, très soignés.




Mais je sens que vous vous demandez tous qui est st Ourse? Eh bien, le voici!

A vrai dire on ne sait pas grand chose de lui, mais plusieurs villages portent son nom: st Ours (Hautes Alpes), st Orse (Dordogne) où je m'étais promenée il y a bien des années de cela. Même la base de donnée de la CEF est dubitative:
Ils sont plusieurs à porter ce nom.
- Celui-ci serait né en Irlande pour venir dans la région de Digne dans les Alpes où son évangélisation marqua grandement la population. Puis il arriva dans la vallée d'Aoste où il seconda l'évêque et fonda une collégiale. Il était bon pour les pauvres et on a trouvé de vieux autels où on voit saint Ours entouré de pauvres et leur distribuant des chaussures. Il est l'un des patrons spirituels de la vallée d'Aoste. Une localité s'est placée sous son patronage : Saint Ours-73410.
- Evêque qui se dépensa au service de l'Eglise d'Auxerre pendant six ans.
- Un internaute nous signale: "Un Saint Ours est connu dans la région auvergnate pour avoir encouragé le développement de l'industrie notamment par l'implantation des premiers moulins à vent dans la plaine de la limagne. La commune de Saint-Ours (63230) dans le Puy de Dôme est patronnée par ce saint. L'emblème de la ville est constitué des ailes d'un moulin. La fête du village et du saint patron se déroule le dernier dimanche de juillet."
En bref, cette petite visite non exhaustive et bien partielle vous convaincra, j'espère, que la petite ville de Loches, avec ses maisons en pierre de tuffeau typiquement tourangelles, son donjon, son histoire intimement liée à celle de Charles VII - entre Agnès Sorel et Jeanne d'Arc, offre un objectif d'escapade parfaitement ravissant.


Sur le chemin bien ensoleillé du retour, j'attrape au passage quelques images ligériennes: le chateau de Chaumont sur Loire,

Le pont de Blois...

10 août 2007

Green attitude

Je rigole bien en lisant le premier tome du journal de Julien Green (1919-1924). Le grand écrivain - l'immortel - avait aux débuts de la rédaction l'âge de 19 ans, âge béni où l'on se prend très au sérieux. Ce ne sont qu'épanchements d'un coeur malade de passions et de dégoûts, lamentations et rêveries spleenétiques. Un esprit romantique et dandy que l'on aurait bien le snobisme d'adopter en ces jours gris où l'été se refuse à nos coeurs amers...
Et l'on se repait de ces pages fulgurantes où jaillissent parfois de réelles pointes de lucidité assassines, matières à méditation.

Telles ces considérations sur la conversation des américains, que l'on transpose aisément à l'humanité tout entière:
24 avril 1922 - Lieux communs sur platitudes, voila la conversation américaine. Ils sont effrayants, ces milliers et milliers de gens qui n'ont absolument rien à se dire et qui se réfugient par une sorte d'instinctive pudeur dans le domaine des médiocrités inoffensives et indiscutables. Jamais la moindre idée qui ressemble à une vraie idée, même de l'espèce la plus timide, rien enfin qui soit le résultat d'un effort de l'intelligence. Cette absence d'âme qui trahit l'inanité des propos qu'on entend autour de soi fait de ce pays un endroit funèbre.

Ces mots sur le génie, effroyablement justes:
6 mai 1921 - L'intelligence comprend plutôt qu'elle ne crée; elle saisit et assimile, mais n'engendre pas. Le génie crée sans nécessairement comprendre, il produit des oeuvres dont il peut ne pas même soupçonner le sens. Un homme de génie peut exprimer spontanément une foule d'idées que l'homme le plus intelligent ne comprendra qu'avec effort et persévérance, mais il est à gager que cet homme intelligent y verra beaucoup plus clair que l'homme de génie.
L'homme de génie donnera naissance à des systèmes philosophiques, d'un seul mot, avec une simplicité qui trahit une inconscience profonde. Un artiste génial résoudra d'un trait des problèmes d'une difficulté considérable et il le fera sans presque s'en douter, intelligemment. Le génie n'est pas une longue patience te il n'a en général rien à faire avec les facultés ordinaires des hommes.

De temps en temps une perle, comme ceci, à faire arracher des larmes:
23 avril 1922 - Incarnation de mes désirs, toi, l'Orient et l'Occident de mes passions, je te trouve enfin et mon coeur défaille dans la plénitude de ses joies.
Et cependant, dussé-je en mourir, je m'éloignerai de toi, car telle est la tyrannie de mon affection qu'elle ne souffre pas qu'il demeure en moi-même d'éléments qui ne pourraient s'harmoniser avec toi, et que je suis en train de me torturer pour te ressembler ou plutôt pour devenir ce que tu es maintenant. Car tu n'es de mon idéal qu'une image ou qu'une facette et je peux me conformer entièrement à toi sans me rendre différent ou, tout au moins, en admettant qu'il n'y ait en toi rien de contraire à mon Moi profond, sans changer malré moi.
Et là, c'est moi qui défaille...
On est si sérieux quand on a dix-neuf ans, journal 1919-1924,
Julien Green
aux éditions Arthème Fayard, 1993
(c'est moi qui souligne)

09 août 2007

"Je vais t'aider, mon Dieu..."

Thérèse Bénédicte de la Croix, Etty Hillesum
"[...] Je vais t'aider, mon Dieu, à ne pas t'éteindre en moi, mais je ne puis rien garantir d'avance. Une chose cependant m'apparaît de plus en plus claire: ce n'est pas toi qui peut nous aider mais nous qui pouvons t'aider - et ce faisant nous nous aidons nous-mêmes. C'est tout ce qu'il nous est possible de sauver en cette époque et c'est aussi la seule chose qui compte: un peu de toi en nous, mon Dieu.

Peut-être pourrons-nous aussi contribuer à te mettre au jour dans le coeur martyrisé des autres. Oui, mon Dieu, tu sembles assez peu capable de modifier une situation finalement indissociable de cette vie. Je ne t'en demande pas compte, c'est à toi au contraire de nous appeler à rendre des comptes, un jour. Il m'apparaît de plus en plus clairement à chaque pulsation de mon coeur que tu ne peux pas nous aider, mais que c'est à nous de t'aider et de défendre jusqu'au bout la demeure qui t'abrite en nous. Il y a des gens - le croirait-on? - qui au dernier moment tâchent à mettre en lieu sûr des aspirateurs, des fourchettes et des cuillers en argent, au lieu de te protéger toi, mon Dieu. Et il y a des gens qui cherchent à protéger leur propre corps, qui pourtant n'est plus que le réceptacle de mille angoisses et de mille haines. Ils disent "Moi, je ne tomberai pas sous leurs griffes!" Ils oublient qu'on n'est jamais sous les griffes de personne tant qu'on est dans tes bras [...]" *

Attention, un grand saint peut en cacher un autre, et après Dominique, voici la fête de sainte Thérèse Bénédicte de la Croix, martyre et co-patronne de l'Europe. J'ai choisi de l'honorer avec les mots d'une femme de son temps, Etty Hillesum.


* Une vie bouleversée, Journal 1941-1943 suivi des Lettres de Westerbork,
d'Etty Hillesum, présentation et traduction de Philippe Noble
aux éditions du Seuil,
p. 175-176 (12 juillet 1942)

08 août 2007

Pour le salut des pécheurs

Je me réjouis particulièrement aujourd'hui de la fête de saint Dominique. Et pour cause. Dans un mois exactement, un des hommes de ma vie, ami rare et précieux, sera effectivement à la veille de son départ pour Strasbourg, vers le couvent des novices de l'ordre des prêcheurs.


Voici le père qu'il s'est choisi: Dominique, l'infatigable prédicateur arpentant les terres cathares, et bientôt l'Europe entière, à la poursuite du salut des autres dont il se sent responsable plus que nul autre. Dominique, transi et brûlé par le spectacle des âmes qui se perdent, les âmes en quête de Dieu qui s'égarent.
Car il ne s'agit pas de s'enfermer dans une quelconque abbaye, cloître exigü et jardin de simples, vignes et copies, pour y "faire son salut". Il s'agit du salut des autres, de ceux qui ne savent pas, qui n'ont pas su - auxquels il manque les mots justes pour entrer dans la justice. Pour Dominique, prier n'est plus suffisant, et de la prière jaillissent les prêches et les conversions comme une source d'eau vive.
Prêcher, pour le salut des âmes. Quelle vocation difficile à saisir aujourd'hui!
Prêcher, et non pas enseigner. Donner à voir, à sentir, trouver les mots, la corde juste pour faire entrer brutalement l'autre dans la compréhension de ce qui lui était inaccessible, qui prend un relief, des couleurs chatoyantes, s'incarne dans un verbe, dans un homme, le prêcheur. Vocation de pasteur qui ramène à la foi, par sa voix, l'intelligence aveuglée ou obscurcie.
"Il faut que je les mène; elles écouteront ma voix;
et il y aura un seul troupeau, un seul pasteur"
Jn 10, 16
Vocation à faire l'unité, pour que toutes les âmes s'inclinent devant une seule vérité, pour que tous les mots convergent en un seul Verbe, que le désastre de Babel soit réparé par le patient effort de l'intelligence qui recherche à force de labeur à toucher la vérité de Dieu.
Quel chemin de pénitence et d'ascèse patiente pour aboutir à cette parfaite annonce, celle qui convertit celui qui la reçoit! Et quelle effrayante pensée que celle qui avoue que les paroles ne sont que le support de la grâce de Dieu. La main du saint Dominique de Matisse à Vence, simplement posée sur la sainte écriture, avec légèreté et confiance: avancer avec pour seul bagage, l'Esprit Saint!
J'aime la pauvreté de Dominique, préoccupé par la parole au jour le jour.
J'aime son attention particulière et son amitié pour les femmes avec qui il fonda les premières communautés, foyers de la vie dominicaine.
J'aime son coeur ardent en prière pour le salut des âmes.
J'aime son ascèse de la sainteté, récusant toute recherche de la perfection en réaction aux albigeois et aux "parfaits".
J'aime cette vocation toute de parole dont le but n'est pas de former des élites, qui a pour mission à chaque époque et dans chaque lieu de s'adapter avec bienveillance à ceux auprès desquels elle est envoyée.
J'aime les saints dominicains, Diane d'Andalo et Jourdain de Saxe, Cécile Cesarini et Thomas d'Aquin, Albert le Grand, Marie-Joseph Lagrange, Las Casas et la belle Agnès de Langeac.

Louer Dieu pour en reconnaître la seule royauté, le bénir pour lui rendre un peu de ce qu'Il nous a accordé, exprimer son incommensurable puissance, notre louange et notre bénédiction dans la prédication... Puisse ma vie dans le monde se régler sur ce cercle vertueux que tu vas toi même prendre pour chemin de conversion, Thomas.
Avec l'intercession de Dominique, par la grâce de Dieu, et pour sa plus grande gloire.

06 août 2007

Roy Lichtenstein - Evolution, à la Pinacothèque de Paris

Jusqu'au 23 septembre, vous avez l'opportunité d'aller découvrir, à la Pinacothèque de Paris, une passionnante exposition consacrée à Roy Lichtenstein.


Malgré un tarif un peu élevé (8 euros, 6 euros pour les moins de 26 ans), le badaud éclairé ne regrette pas sa visite et les nouveaux murs du lieu d'exposition, place de la Madeleine, qui sentent encore la peinture fraîche, peuvent se féliciter de ce premier évènement!
L'amateur d'art et le curieux connaissent effectivement bien les oeuvres "Pop" de Lichtenstein, courte et flamboyante période couvrant à peine les années 60. "Look Mickey" est, en 1961, la première production de Lichtenstein inspirée par les bandes dessinées, dans un contexte artistique américain stimulé par une nouvelle esthétique en réaction contre l'expressionnisme abstrait des années 50. "Pop", populaire, un art directement issu de l'esthétique de la société de consommation, qui utilise ses codes et ses symboles sans volonté subversive...

L'orientation de sa recherche vers l'exthétique populaire, mécanique, des mass média et des reproductions va être déterminante pour Lichtenstein qui jusque là menait sa barque entre études scientifiques, engagement dans l'armée durant la seconde guerre mondiale, et cours de dessins! Lichtenstein aura cotoyé toutes les tendances et tenté toutes les pistes créatives que son époque lui proposait, de l'expressionnisme à la figuration, constructions et peintures...
Lichtenstein est avant tout un artiste très stimulant pour l'esprit et la sensibilité, sans cesse en recherche, s'intéressant à tout, essayant tout, recyclant, digérant les images!
Et ce sont ces grandes reproduction des comics sentimentaux qui marquent les esprits, encore aujourd'hui:

Mais la peinture de Lichtenstein ne se laisse pas enfermer dans le carcan d'un geste créateur lui aussi, stéréotypé. Dès le milieu des années soixante la recherche de l'artiste, tout en poursuivant dans la veine des oeuvres pop, prend un tournant résolument technique.
L'utilisation systématique de la reproduction à grande échelle d'un motif issu d'une vignette, l'application aux surfaces colorées de la trame et du point, ainsi que de la délimitation des plans grâce à l'adhésif sont étrangement contrebalancées par de grandes compositions quasi expressionnistes où le coup de pinceau s'érige comme premier motif de la toile, le sujet ne surgissant que secondairement. Deux facettes d'une même recherche sur le rapport entre le sujet et la technique.
C'est le geste précis et quasi entomologique (Lichtenstein était passionné de sciences naturelles) de délimitation, découpage, mise en couleur par système de trames qui va s'appliquer aux images jusuq'à ce qu'elles n'aient plus de personnalité propre. Lichtenstein utilise toute image objectivement, sans a priori axiologique. Tel un ornithologue qui dessinerait les oiseaux selon les même canons pour plus de scientificité, il s'astreint aux mêmes processus picturaux, et l'on est parfois pris d'une sorte de vertige devant cet art, vorace et glouton d'images, digérant Van Gogh et Heart's romance, Matisse et les publicités pour meubles, Picasso et Mickey Mouse!
Le grand intérêt de l'exposition de la Pinacothèque est de proposer un ensemble riche et varié d'oeuvres pour la plupart inédites en France, reprennant, à rebours, l'après pop de Lichtenstein. Les oeuvres ont en grande partie entre dix et vingt ans (l'artiste est mort en 1997). La muséographie, intelligente et précise, vise à faire entrer le visiteur au coeur même de la recherche technique du peintre. La présentation des différentes étapes créatrices permet de ressaisir son intention et ses démarches.



On est ému devant ses livres d'art, et surtout, devant les petits cahiers où il collait les images découpées, dans les catalogues, les comics... Une exposition riche et ludique, qui permet de découvrir sous un autre angle un artiste que l'on avait relégué un peu trop vite au Pop art - et qui à mon avis a su dépasser ce mouvement pour avancer dans des voies plus personnelles, dont nous ne sommes peut-être pas encore à même de saisir les enjeux.

Ill:

1 - Seductive girl, collage, 1996. Ruban adhésif, papier coloré et imprimé sur carton (présenté à la Pinacothèque).
2 - Look Mickey, 1961.
3 - M-Maybe, 1965.
4 - Woman: sunlight, moonlight, 1996. Bronze peint et patiné (présenté à la Pinacothèque).