05 septembre 2006

D’une possible réalité et d’une réelle possibilité

Coincoin, notre néophyte, me demande quelques éclairages sur ce que j’entends par « philosophie du réel ». Vaste problème, qui engage mon expérience de la philosophie, ma lecture de Musil et mon entrée dans le mystère eucharistique. Tisser un lien cohérent entre ces trois points semble improbable ?
Mes études m’ont convaincue d’une chose, c’est que la philosophie est une science au même titre que la physique ou les mathématiques. Une science, en ce qu’elle permet de comprendre les mécanismes à l’oeuvre dans le monde qui nous entoure, grâce à des outils de mesure, de dé-construction et de re-construction : les concepts. Tout comme, en science « dure », on trouve des paradigmes liés à une époque et à un contexte, les grands philosophes proposent des tissus de compréhension du réel. De fait, j’entends par philosophie, avant tout, une technique du réel. Technique qui permet à l’homme de prendre des moyens pour s’approprier ce qui l’entoure, de se construire et de construire le monde. Qu’en est-il, cependant, du possible ?
Je ne vais pas m’étendre sur Musil et réserver cette partie de plaisir pour une autre fois. Mais, pour resituer les choses à grands traits dans l’histoire de l’humanité, je me réfère souvent à ce que me répétait mon professeur d’université, M. Mongis, qui m’a beaucoup éclairée. Il nous soulignait la tension philosophique, depuis l’époque cartésienne, contenue dans la question que nous pose notre rapport au monde. La philosophie médiévale, placée au regard de la théologie, ne mettait pas en question la réalité du monde créé par Dieu – réalité au sens de vérité aussi bien que d’effectivité. Avec les bouleversements liés à la renaissance se produit une rupture : le rapport véridique de l’esprit au monde n’est plus garanti. Qu’est-ce qui m’assure de la réalité de ce qui m’entoure ? Est-ce que je ne vis pas un rêve éveillé, évoluant dans un monde d’idées ? Je brosse à gros traits mais il y aurait beaucoup à dire. Fondamentalement, et je ne vous apprends rien, il me semble qu’une pensée réaliste s’oppose à un idéalisme. L’enjeu étant, simplement, de poser le problème de l’être au monde de la créature humaine.
D’où ce défi : découvrir ce qui fait le lien entre l’homme et le monde, quelle est la zone de contact entre ma conscience, ma perception du monde, et ce réel qui insiste. Il me semble que chaque penseur apporte sa réponse personnelle à cette question. J’ai essayé de montrer, dans mon travail sur S. Weil, que pour elle, ce lien se trouve dans le travail, où l’homme éprouve la réalité du monde, en tant que le monde l’éprouve, le prend dans son mécanisme régi par la force physique. Et aussi, en tant que par le travail, l’homme est présent au monde de façon eucharistique. Car il faut bien arriver à cette présence réelle, effective, de Dieu au monde, qu’est l’eucharistie.
Tout cela est fort schématique, mais j’y reviendrai suivant vos questions. Il faudrait aussi aborder la fameuse distinction entre wirklichkeit et realität. Mais il me semble qu’il y a sur ce blog des kantiens plus honorables que moi… je ne brigue pas ce mandat !

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Chère Agathe,

Merci pour votre réponse très éclairante. Je crois désormais comprendre ce qu'il faut entendre par "philosophie du réel" ; c'est l'étude des modalités par lesquelles je puis me persuader de la réalité du monde, par lesquelles la réalité du monde est tout aussi assurée que ma propre existence. Et, une fois que ce réel est assuré, encore faut-il trouver un mode de rapport qui y implique quelque chose comme une activité (le travail pour S. Weil, par exemple). Merci encore pour ces éclaircissements !

un Coincoin heureux !

Anonyme a dit…

Oulà, j'ai un voisin bergsonien qui va faire un bon de six mètres de haut si je lui dis que la philosophie est une science au même titre que la pysique ou que ce truc bizarre que sont les maths. Et je crois bien qu'en fait lui et moi sautions de concert. Je suis le premier à dire que c'est complémentaire. Quant à dire que c'est la même chose...
Chère Agathe, un complément d'informations s'impose pour éclairer un

Tatianus qui vous salue tous

Sémiramis a dit…

Cher tatianus,
je ne sais pas si je suis capable de grandes explications... en tous cas, pas maintenant, en pleine pause de midi!! le fait est que nous n'avons pas vraiment la même culture de pensée... et j'avoue que je ne suis pas la mieux placée pour parler de la science. je te promets un futur post qur 'qu'est ce que la science' selon MOI, un grand moment de mégalomanie - encore un. Tu pourras ensuite démolir mon point de vue, je ne t'en voudrai pas, aller, je tendrais même l'autre moitié de mon cerveau pour recevoir cette correction à mon orgueil philosophique!!!
Amitiés
Agathe

Anonyme a dit…

C'est Musil et son Homme sans Qualités , qui m'ont attirée jusque chez vous. Sachez que les moteurs de recherche vous identifient rapidement dès que l'on cherche "Robert Musil".
Je viens de mettre en ligne un site internet consacré à cet auteur et à ce roman qui m'ont fascinée. Je n'ai pas étudié la philosophie, je suis ingénieur... je me rattrape un peu. A lire quelques messages, je pense que l'oeuvre de Musil a été un peu plus qu'un prétexte pour vous. Je vous laisse donc l'adresse de mon site : www.autourdemusil.net ; et serai sensible à vos avis....
Pour le reste, n'étant ni particulièrement croyante, ni particulièrement baptisée, j'ai l'impression que j'aurai du mal à partager beaucoup d'autres choses avec votre communauté.
Bon vent en tout cas....

Sémiramis a dit…

Merci beaucoup pour le lien vers Musil! Vous êtes toujours la bienvenue sur ce blog car, même si je suis très portée sur l'expression de ma foi, j'espère parler de temps en temps d'autre chose (littérature, Ségolène Royal... wallabies....). je serai ravie de vous retrouver pour parler aussi de musil qui me fascine tant, ou d'autres livres. Votre site est remarquable, je n'ai pas eu le temps de l'explorer plus en profondeur mais il semble passionnant, et qui plus est fort bien construit.
Merci à vous et à bientôt!
Agathe