[Suite de ma réflexion sur le concept d’entreprise : voir 1 – Ma vie, mon job… et 2 – Vers une définition dépassionnée du concept d’entreprise]
De façon spontanée, nous avons été amenés à définir l’entreprise comme une zone intermédiaire, médiatrice ; bref, comme un « moyen ». Nous ne pouvons faire l’économie de réfléchir sur ce concept, en particulier dans son lien avec la notion de production. L’entreprise, en elle-même, n’est pas réductible à proprement parler à un « moyen de production ». Elle est plus précisément l’ensemble des actions humaines qui déterminent, encadrent, orientent la production. C’est là ce qui fait tout son intérêt : elle est le lieu de la décision humaine sur la production. Le concept d’entreprise, en tant qu’il renvoie à une certaine liberté de l’homme face au réel, manifeste un dynamisme de la part de celui-ci, une position ouverte et positivement aggresive face au monde, dans le sens de volontaire, partie prenante du monde.
L’homme est parfaitement capable de produire sans entreprendre. Ce qui va faire la spécificité de « l’entreprise », c’est qu’elle s’inscrit dans une démarche de l’individu et du collectif qui va au-delà de la simple nécessité de satisfaction des besoins vitaux. L’exigence fondamentale de la production est effectivement liée à celle de la survie du corps : il faut produire de quoi se nourrir et se défendre. En ce sens, l’activité humaine peut parfaitement être limitée à la production. Elle l’est généralement par la force des choses… Lorsque les conditions de vie ne permettent pas l’épanouissement de la créativité humaine, lorsque le contexte ne permet qu’une pénible survie, et non la diversification de « modes de vie ».
L’entreprise apparaît lorsque la production devient élaborée au point de nécessiter une organisation. Elle engage donc, et présuppose, une complexification des rapports de l’homme au monde, étant suscitée par des besoins dépassant la simple survivance : on parlera d’entreprise à partir du moment où la production va se développer, et se médiatiser. L’homme ne prendra la peine d’organiser la production dans le temps, de constituer et de gérer des stock, de diffuser les produits etc. qu’à partir du moment où
1) les besoins vitaux personnels de l’individu sont assurés.
2) Il prend alors souci des autres hommes, de leurs besoins : il se socialise. L’apparition de la vie sociale fait jaillir de nouveaux besoins, liés à la mise en commun de la vie. Lorsque l’individu ne se préoccupe que d’assurer ses fonctions vitales, lorsqu’il poursuit uniquement sa survie immédiate, il ne peut se projeter dans une cellule familiale, ni conceptualiser l’idée d’une propriété. La société apporte à l’homme le long terme qui va engager le besoin de posséder, que ce soit un patrimoine propre et commun. De nouveaux besoins apparaissent donc, plus variés, plus complexes, corrélativement à la diversification et à la complexification des modes de vies humains. Ce n’est plus seulement le fonctionnement d’un organisme qu’il faut assurer, mais celui d’un esprit, d’une famille, etc.
3) La multiplication des besoins a pour conséquence une complexification de la production : se met alors en place la division du travail.
C’est dans ce cadre qu’il faut tenter de comprendre la notion d’entreprise. Elle sera déterminée comme une prise de moyens, voulue et pensée par un homme ou un groupe d’hommes en vue d’une fin, liée à la complexification des moyens de production et au développement de la société. Elle engage une intention de régler la production selon des modalités rationnelles, qui découle du développement de la société humaine, et qui en même temps y participe. En ce sens, l’entreprise a quelque chose à voir avec le bien commun, puisqu’elle constitue le lieu d’exercice d’une responsabilité humaine par rapport au monde physique (production) et humain (travail). Si l’entreprise n’est pas un moyen de production au sens propre, elle est bien une zone de pouvoir de décision sur la production.
Faudrait-il alors comprendre que la notion d’entreprise ne soit pas connotée moralement ? En tant que lieu d’exercice d’une responsabilité humaine, on pourrait déduire que la valeur morale de l’entreprise n’est pas liée à son essence, mais bien à l’inflexion que lui donne la décision. L’entreprise, objet moralement neutre ? La réalité n’est peut-être pas si simple. En tant que « moyen » pris dans l’objectif d’arriver à une fin, l’entreprise créée et multiplie les médiations entre l’homme et sa survie. Multipliant les interfaces, elle constitue donc une zone qui peut se révéler un obstacle entre le sujet et l’objet dont il a besoin. En ce sens, si l’on suit l’analyse des mécanismes sociaux que produit S. Weil dans les Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale, elle constitue par sa nature même un facteur d’oppression sociale. Reste à savoir dans quelle mesure, et s’il existe une possibilité de rédemption ! Pour cela, il nous faudra éclairer et expliquer les mécanismes oppressifs engagés par l’essence du concept d’entreprise, suivant l’argumentation de S. Weil… Travail nécessaire dans une société où les moyens de production se complexifient de plus en plus !
C’est dans ce cadre qu’il faut tenter de comprendre la notion d’entreprise. Elle sera déterminée comme une prise de moyens, voulue et pensée par un homme ou un groupe d’hommes en vue d’une fin, liée à la complexification des moyens de production et au développement de la société. Elle engage une intention de régler la production selon des modalités rationnelles, qui découle du développement de la société humaine, et qui en même temps y participe. En ce sens, l’entreprise a quelque chose à voir avec le bien commun, puisqu’elle constitue le lieu d’exercice d’une responsabilité humaine par rapport au monde physique (production) et humain (travail). Si l’entreprise n’est pas un moyen de production au sens propre, elle est bien une zone de pouvoir de décision sur la production.
Faudrait-il alors comprendre que la notion d’entreprise ne soit pas connotée moralement ? En tant que lieu d’exercice d’une responsabilité humaine, on pourrait déduire que la valeur morale de l’entreprise n’est pas liée à son essence, mais bien à l’inflexion que lui donne la décision. L’entreprise, objet moralement neutre ? La réalité n’est peut-être pas si simple. En tant que « moyen » pris dans l’objectif d’arriver à une fin, l’entreprise créée et multiplie les médiations entre l’homme et sa survie. Multipliant les interfaces, elle constitue donc une zone qui peut se révéler un obstacle entre le sujet et l’objet dont il a besoin. En ce sens, si l’on suit l’analyse des mécanismes sociaux que produit S. Weil dans les Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale, elle constitue par sa nature même un facteur d’oppression sociale. Reste à savoir dans quelle mesure, et s’il existe une possibilité de rédemption ! Pour cela, il nous faudra éclairer et expliquer les mécanismes oppressifs engagés par l’essence du concept d’entreprise, suivant l’argumentation de S. Weil… Travail nécessaire dans une société où les moyens de production se complexifient de plus en plus !
4 commentaires:
Chère Elise,
en quel sens entends-tu la production ? Il y a une idée de l'entreprise assez secteur secondaire, si je puis me permettre, dans ton post, l'idée d'une économie encore très matérialisée, palpable. Une action qui débouche nécessairement sur un produit.
Cher Thibaut,
Merci de ta lecture qui va me permettre de préciser ma pensée. j'avance en eaux inconnues... Ma réflexion englobe l'idée de service dans la production, donc le tertiaire, mais il faudrait que je le précise dans un post prochain peut-être. Ce qui est sous jacent dans mon développement, c'est une définition de la production comme action de l'homme dans la nature apportant une modification à celle-ci, en vue de l'homme (pour son bien propre, ou son supposé bien...). Merci de ta remarque de bon sens, je vais repartir de là dans la suite de mon texte.
Et je n'oublie pas Jacob!
A ce soir!
Passionnant !
L'entreprise, nécessaire à la socialisation de l'homme ? Certains bien pensants vont hurler ;)
Pour ce qui est de la moralité de l'entreprise. Effectivement rien n'est moralement neutre, tout est est moralement indéterminé. La moralité d'une action, d'une technique (qui n'est jamais sans buts), se définit en fonction de la structure morale dans laquelle elle évolue. En revanche tout est soumis à un jugement moral.
Vivement la suite :)
Merci de ta lecture Camille. je prépare la suite, qui va reprendre des extraits de mon mémoire, mais j'hésite encore sur la forme à lui donner.
Joie d'être lue!
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