14 février 2006

Amour chrétien, amour humain - 2 : de l'éros comme ouverture

Je vous renvoie à l’article précédent pour le contexte de la réflexion…
Suivant les propos du St Père, je vous invite désormais à étudier ce que l’on désigne sous le terme d’« éros », avec en tête cette question : le christianisme a-t-il détruit l’éros ? La conception chrétienne nie-t-elle l’amour que l’on désigne comme éros ?

Mais que désigne l’éros ? « L’amour entre homme et femme, qui ne naît pas de la volonté mais qui, pour ainsi dire, s’impose à l’être humain » nous dit le pape (3). Le concept d’éros est celui qui a été conçu par le monde grec (quand j’aurai mes Platon sous la main, je vous ferai un petit florilège choisi si vous voulez…) pour désigner cette expérience universelle et spécifiquement humaine de l’amour.

Ecoutons le Saint Père (4) : « les Grecs ont vu dans l’eros avant tout l’ivresse, le dépassement de la raison provenant d'une «folie divine» qui arrache l’homme à la finitude de son existence et qui, dans cet être bouleversé par une puissance divine, lui permet de faire l’expérience de la plus haute béatitude. Tous les autres pouvoirs entre le ciel et la terre apparaissent de ce fait d’une importance secondaire »

L’expérience de l’éros est celle d’un ravissement de notre être au-delà des limites de sa finitude propre - Eh oui j’entend tes grognements et tes ricanements, Matthieu, je vais m’expliquer ! - Par le concept de « finitude », la philosophie, en fait, la phénoménologie, entend désigner le propre de l’expérience humaine : l’homme s’éprouve comme être fini, déterminé dans le temps (la perspective de sa mort) et dans l’espace (l’expérience de son corps en contact avec le monde). L’homme est dans une situation tragique, car non seulement il est condamné à mourir, mais en plus il en a conscience à chaque instant.
Or l’amour est l’expérience d’une transcendance, d’un bouleversement des limites de cette finitude, puisqu’il est la promesse d’une éternité ; il est le désir et l’illusion momentanée d’une intersubjectivité poussée jusqu’à l’union fusionnelle de tout l’être avec l’autre (qui se réalise pleinement dans l’acte sexuel – je mets des balises pour la suite) ; union qui est négation de notre enfermement sur notre propre être, dans notre âme et notre corps.
L’amour qui submerge tout l’être le transporte et lui fait oublier la perspective de sa mort pour l’ouvrir sur une logique de vie. C’est en cela que le St Père dit que l’amour est « extase » : il est ouverture, béance de l’homme vers ce qui le dépasse (pour Heidegger, l’Etre). Bon, je crois qu’il n’y pas besoin de développer plus que ça : cette expérience résonne dans notre propre chair, avec un peu de douleur probablement… En ce sens, les grecs ont clairement lié éros et folie : l’expérience de l’amour dépasse et rejette toute perspective rationnelle. Elle en appelle à la personne dans son caractère affectif et surnaturel. Ce que l’éros désigne effectivement c’est une porte vers le surnaturel ; c’est l’expérience même de cette transcendance qui met l’homme en contact avec l’infini du Divin, qui le sort de sa finitude pour lui faire toucher l’infini. S’il s’agit d’une folie, c’est d’une « folie divine » que l’on parle.

Benoît XVI évoque ce qui découle du caractère sacré de cette expérience humaine de l’amour : une sacralisation de l’éros dans la religion antique : (4) « Dans les religions, cette attitude s’est traduite sous la forme de cultes de la fertilité, auxquels appartient la prostitution «sacrée», qui fleurissait dans beaucoup de temples. L’eros était donc célébré comme force divine, comme communion avec le Divin ». Le problème alors, ce n’est pas de nier que l’éros ait quelque chose à voir avec le divin, mais de dénoncer l’erreur contenue dans la sacralisation de l’amour comme fin en soi : (4) « L’Ancien Testament […] n’a en rien refusé l’eros comme tel, mais il a déclaré la guerre à sa déformation destructrice, puisque la fausse divinisation de l’eros, qui se produit ici, le prive de sa dignité, le déshumanise » : l’amour humain devient effectivement un moyen pour accéder à Dieu. Il est le lieu d’une instrumentalisation de la personne qui n’a aucun rapport avec l’amour – cela est aux antipodes de la conception chrétienne de l’amour. Cette conception de l’amour est très égoïste, puisqu’il s’agit d’utiliser l’amour dans le but de s’unir à Dieu ; alors que pour le chrétien, l’union à Dieu passe par l’union au Christ, dans l’accueil de l’autre justement.

Le St Père conclut le paragraphe 4 avec ces mots : « C’est pourquoi l’eros ivre et indiscipliné n’est pas montée, «extase» vers le Divin, mais chute, dégradation de l’homme. Il devient ainsi évident que l’eros a besoin de discipline, de purification, pour donner à l’homme non pas le plaisir d’un instant, mais un certain avant-goût du sommet de l’existence, de la béatitude vers laquelle tend tout notre être ».
L’éros ne peut donc être conçu que comme une ouverture vers une conception de l’amour plus haute, qui est déjà expérience de la béatitude promise au Royaume de Dieu. Il sera amené alors à dépasser cet égoïsme dans la recherche du Divin : à prendre en compte l’Autre de l’amour, pour entrer dans la véritable communion. Mais, pour y accéder, Benoît XVI nous indique que cet éros « ivre et indiscipliné » (la figure de Dionysos, pour nous remettre en mémoire certaines considérations sur Eros et logos chez S. Weil), doit se DISCIPLINER et se PURIFIER.
Ah ah… serait-ce là encore des relents du fameux sado-masochisme catho ? Mortifions-nous mes frères, et prenons patience jusqu’au prochain épisode ; pax vobis !

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Arrgh ! Je me rends compte que je n'ai jamais commenté ce merveilleux article ! Honte sur moi.

Oui, cette réflexion sur l'Éros est tout à fait actuelle. L'instrumentalisation de l'amour est quelque chose que nous croisons malheureusement tous les jours (publicités, sites web, magazines etc.).
Pire, la modernité n'a même plus l'unification avec Dieu comme objectif de cette instrumentalisation de l'autre, mais la simple satisfaction d'un besoin.

"Chacun son plaisir" en somme.

Ce texte me rappelle également à quel point le christianisme est "rationnel", est un travail (purification), une discipline. Bien loin du rapport moderne complètement soumis aux besoins, que cette modernité justifie par un discours scientifique qu'elle juge par là "rationnel" [ce n'est pas tout à fait clair, il me faut y réfléchir plus avant]. Ce qui nous amène immédiatement au "Fides et ratio" qu'un Onfray ne peut définitivement pas comprendre ;)

Il serait d'ailleurs intéressant d'étudier la conception que se fait la modernité de ce qu'est une "bonne relation sexuelle". On y parle de partenaires, et l'idée même d'un "orgasme simultané" y est considéré comme purement impossible. Impossible car physiquement peu probable. Erreur fondamentale ! L'orgasme dit "simultané" c'est précisément le moment ou les deux âmes sont à l'unisson. Et cela suppose une véritable ouverture à l'autre, et non, pardonne-moi ma crudité, l'idée que son "partenaire" n'est finalement qu'un "masturbateur".

Merci ! Je viens de clarifier certaines choses qui étaient encore floues in my brain ;) Me voilà près pour un "Acheminement vers l'Amour -3- "