12 février 2006

Amour chrétien, amour humain – Episode 1

Sollicitée par Monsieur Camille, que je dois décidément considérer comme mon Socrate à moi – dans quel dialogue Socrate est-il comparé par son interlocuteur à une abeille dont l’aiguillon pousse à penser ? – voila que je me lance dans une vaste réflexion dont les conséquences, si l’Esprit Saint est de mon côté, seront les suivantes : faire comprendre ce que les chrétiens entendent lorsqu’ils parlent d’« amour », et particulièrement, question cruciale, étudier ce que le christianisme dit et fait de l’amour humain, terrestre, avec ses côtés bassement matériels – vous m’avez comprise.
L’amour chrétien a-t-il quelque chose à voir avec l’amour humain, que chaque homme peut expérimenter ?
Il faut l’espérer, ou bien l’Incarnation est chose vaine.
Je crois que le Seigneur a pris chair et corps humain : il doit bien y avoir quelques conséquences sur notre propre chair et notre propre corps – ou alors ma foi est vide de sens. L’enjeu étant de faire voir – à défaut de faire croire – la cohérence interne du christianisme, qui est tout entière dans le concept d’amour.

Pour vous montrer combien ces questions sont actuelles, je commence par un brûlot d’actualité : l’encyclique Deus est Caritas de notre vénéré St Père Benoît XVI. Comme par hasard, elle aborde précisément ma question, et même mieux, elle y répond ! Et quelle réponse. J’espère donner à tous l’envie de lire ce texte, qui parle au cœur de chacun puisqu’il parle de l’amour. Je vois véritablement un signe des temps dans ce texte magnifique et profond, bien qu’en même temps simple et clairement accessible à tout un chacun.
Je vous donne quelques liens afin que vous vous le procuriez sur le net : sur le site de la Santa Sede bien sûr (dans mes liens), celui de la conférence des évêques de France, celui de Zenit (agence de presse vaticane).
Sinon, achetez-là, vous ne le regretterez pas ; elle ne coûte que 3 euros (co-édition Bayard/Cerf/Fleurus-Mame – on peut la trouver à la Procure, à la Fnac et un peu partout), et puis vous pourrez écrire dessus et gribouiller c’est quand même plus rigolo.

La question qui nous intéresse est celle que pose d’abord le St Père, dans les paragraphes 2 à 18 : celle de «L’unité de l’amour dans la création et dans l’histoire du salut » - nous laisserons délibérément de côté la seconde partie, non moins belle et essentielle, mais qui ne concerne pas notre question de départ. Elle est traitée de façon riche et fouillée, nous prendrons donc le temps de cheminer en plusieurs étapes.

Benoît XVI commence donc par expliquer qu’il n’y a qu’un seul amour à l’œuvre dans notre monde, celui de Dieu. Cette affirmation se heurte à l’expérience, car cet amour a différents visages : c’est pourquoi il faut régler avant tout « un problème de langage » (2). Le terme d’«amour » renvoie à des réalités bien différentes.
Cependant, « l’archétype de l’amour par excellence » est, au cœur de cette diversité, « l’amour entre homme et femme, dans lequel le corps et l’âme concourent inséparablement et dans lequel s’épanouit pour l’être humain une promesse de bonheur qui semble irrésistible ». D’emblée, l’amour entre homme et femme est donc posé comme la plus haute image terrestre de l’amour – presque comme l’incarnation de ce qu’est l’amour, nous y reviendrons. Pour quelle raison ? C’est celui dans lequel la personne est engagée la plus entièrement : le corps et l’âme y concourent inséparablement…
Il y a donc une pluralité de sens derrière l’amour : cela engage-t-il qu’il y ait une pluralité d’amours, ou bien n’y en a-t-il qu’un ? Si il n’y en a qu’un, celui de Dieu, cela impliquerait que l’amour humain, qui passe nécessairement par le corps, soit compris en Dieu. Et pourquoi en serait-il autrement ?

Le St Père continue donc son analyse de l’amour en interrogeant le rapport éros/agapè (3). On a accusé le christianisme d’avoir détruit l’éros (concept grec de l’amour, qui désigne l’attirance amoureuse, et donc corporel, et même une sorte de « délire ») pour le remplacer par l’agapè, concept traduit par « charité », «amour ». Le christianisme aurait donc, avec la nouveauté du concept d’agapè, détruit l’éros ?

Question redoutablement actuelle, que je laisse en suspens pour plus de suspense ! Suivant la réflexion de Benoît XVI, nous nous interrogerons ensemble sur l’éros très bientôt.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Que dire de plus ! Tout y est : eros, agapè, Benoît...
J'attend avec impatience le second volet de cette réflexion (au passage, merci internet) pour alimenter ma lecture de l'encyclique (promis je l'achète dans la semaine...).
Bon courage et merci pour ces belles pages !

Pax.

Anonyme a dit…

Ah la la ça fait plaisir de voir que mes élucubrations pellerinesques ne sont pas sans écho (même chez les plus sceptiques, hum hum). Merci pour le bonheur de réfléchir que vous m'offrez: savoir que l'on va partager le fruit rend ce travail de pensée merveilleux!
à bientôt

Anonyme a dit…

Petite précision apportée par Frank (cette fois je ne rajoute pas de lettre)!
l'abeille Socrate, c'est Phédon 91c. Il y a un autre texte (Gorgias? ) où il se compare à un caillou (un scrupule) dans la chaussure. Le concept de la philosophie comme démangeaison...
Merci.