02 octobre 2006

Du sexe des anges

Aujourd'hui, l'Eglise Catholique fête les saints Anges gardiens. Une fête intéressante quand on pense au pouvoir d'évocation des anges dans l'imaginaire de nos contemporains. J'avoue que pour ma part, issue d'une conversion philosophique, j'ai eu bien du mal à saisir dans un premier temps la profondeur et l'intérêt de cette question. Un peu effarée par l'imagerie nunuche et le commerce new age qui se développe dans ce domaine, dans le paganisme le plus strict.
C'est grâce encore une fois à Emmanuel Falque que j'ai fini par comprendre que l'intéressant, avec les anges, c'est qu'ils nous renvoient à la gloire de notre condition humaine. Question cruciale, en fait, car il y a une tendance à l'angélisme bien insupportable dans le christianisme. Cette négation et ce mépris du corps, ce dégoût du sexe, du plaisir, etc ; en bref, ce que se plaisent à souligner certains "intellectuels" athéologues malhonnêtes... Pour dénoncer une "religion morbide et mortifère". En réalité, il s'agit bien moins d'une critique du christianisme que des ses interprétations et de ses dérives gnostiques - qui existent et ont toujours existé, il ne faut pas le nier.
Quand j'étais petite, je me suis souvent dit que la vie serait plus simple si on n'avait à traîner, nourrir, soigner, ce corps qui nous encombre. Pleine de bons sentiments, je me disais que si nous étions de purs esprits, il n'y aurait plus de problèmes de famine et d'épidémies. J'aurais pu tourner gnostique et m'enfermer dans cette idée. J'aurais rêvé, si j'avais eu ces notions en têtes, que les hommes soient des anges! Je pense que c'est en découvrant la philosophie et sa rage d'éclairer le rapport entre l'un et le multiple, l'être et le non être, le même et l'autre, l'éternel et le corruptible, que j'ai compris la valeur de la Création terrestre. Et j'ai pu entendre enfin le fameux verdict pascalien de la fameuse pensée 678 : « L’homme n’est ni ange ni bête et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête ».
Ainsi en va-t-il donc de la splendeur de la condition de l'homme, bien plus digne que celle de l'ange. A quel titre? L'ange n'a guère de liberté. Il se tient devant Dieu de toute éternité et par conséquent, le sert. L'homme, lui, est libre et responsable. Il est libre et responsable, et surtout, il est le fruit de cette union entre le divers et l'un, il est corps et âme pour l'éternité. Il possède la liberté de décision, à l'image de Dieu - contrairement à l'ange; et il porte à son assomption la corporéité de l'animal. Toujours l'homme - c'est une grand leçon pascalienne - se tient sur le fil du rasoir, point d'union improbable et en recherche. Nous ne sommes donc ni anges, n'en déplaise aux dégoûtés de la chair, ni des bêtes, malgré ce qu'une certaine modernité aimerait nous faire croire...
Bonne journée et bonne fête.

12 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonne fête à toi ma très chère !

Merci de faire grandir par ce poste ma dévotion aux saints anges !
Peut-être que (mais le temps nous manque je le sais! ) ce poste aurait mérité un éclairage oriental...
Je me réjouis d'apprendre que la philosophie est cette science qui en fait permet de réaliser l'Unité. Et quelle de surprise abyssale de se découvrir en tant qu'être humain à une place plus importante que celle des anges dans la Création et le dessein de Dieu !
Prions ton Ange gardien d'être particulièrement vigilant tout au long de cette semaine !
Suivant les consels de Pascal et de Falque et, au-delà, de Dieu lui-même faisons un avec notre si belle condition humaine, habitons notre corps, sans en devenir l'esclave, sans chercher à devenir ange de peur que nous devenions bête !

Pax et gaudium.

Anonyme a dit…

Hum. (éclaircissement de voix avant le blabla qui va suivre)

Chère Agathe, je suis absolument d'accord pour dire que le christianisme est malheureusement victime d'une assimilation fausse et fallacieuse avec des courants gnostiques qui ont la haine du corps.

Ne pourrait-on pas imaginer une dignité du corps, dans la mesure où il serait mis au service d'un dessein spirituel ? Rehausser le corps par son emploi spirituel et non plus matériel ? Oui, tu as deviné à quel philosophe je pensais...

Cela dit, pour être plus sérieux, tous les mystiques que j'ai lus ont, dans leurs écrits, développé une sainte horreur du corps, comme si, plus l'on se rapprochait de Dieu, plus le corps paraissait indigne, honteux et oppressant. N'est-ce pas là quelque chose comme le problème sempiternel du lieu de la rencontre avec Dieu ? Le mystique semble s'unir, par l'exase, à Dieu, alors qu'il est encore être au monde ; sa condition d'être au monde est alors révoquée alors qu'il est encore au monde ; inversement, le commun des mortels ne rencontre Dieu que post mortem ce qui lui impose de composer avec sa condition terrestre, son corps, ses joies et ses souffrances. Serait-ce alors une façon de dire, à l'instar d'Antoine Faivre que "dans toute mystique, il y a toujours un peu de gnose" ?

A bientôt très chère Belle lurette

Gai Lulu

Anonyme a dit…

J'attend , chers amis, avec impatience la réponse d'Agathe-Belle Lurette à la dernière postion de Gai Luron qui, même si je ne la partage pas (car je ne crois pas qu'elle soit "catholique"...)lance le débat !
N'ayons de cesse à l'exemple de nos Frères op tourangeaux de revaloriser le corps et notre être au monde terrestre dans la mesure où celui-ci ne peut être dissocier du monde céleste et n'en est pas la négation.

Allez-y donc gaiement pour les commentaires !

Pax.

Anonyme a dit…

Juste un post pour mon cher Funny Friend ; il y a, dans la mystique, deux façons de quitter le monde ; soit par l'extériorité, auquel cas il s'agit d'une extase, c'est-à-dire que l'on se projette vers Dieu en quittant le monde.

Mais inversement, dans la mystique gnostique, le procédé est inverse, il s'agit alors de ce que Eliade appelle une "instase", une rentrée en soi-même par laquelle on se découvre soi-même comme divin.

Mais dans les deux cas, il y a un abandon du monde, donc de la condition humaine, fût-ce temporaire dans l'extase. La question que je me pose est donc la suivante : Cet abandon du monde, fût-il éphémère, supposé par toute mystique, est-il compatible avec la revalorisation de l'être au monde, donc de la condition corporelle et incarnée, puisque tout accès au divin de façon directe impose l'abandon du corps ?

Voilà voilà...

Salutations joyeuses

Anonyme a dit…

J'ai cinq minute et le peu de compétence philosophiques que j'ai m'ont tout de même permis de comprendre le dernier commentaire de notre ami Gai Luron alors je me lance dans le débat.

D'abord j'ai pris connaissance du concept gnostique d' "instase" et, même si c'est gnostique, je trouve qu'il y a quelque chose d'assez humain, voir chrétien... Je me demande si depuis un mois et demi je ne vis pas l' "instase". En effet depuis un providentiel voyage à Taizé (et Agathe pourra en témoigner...), je ne cesse de me découvrir moi-même. Et dans un double mouvement (retour sur soi, élan vers Dieu) je m'éverveille de ma divinisation qui prend sens dans ma relation au Christ (mon expérience est-elle donc totalement gnostique?).

Je reviens maintenant sur le rapport au corps. Je crois que le mot clef de votre question est "éphémère". Abandon du corps lors de l'extase ou de l'instase sans aucun doute. Que ces expériences ne soient pas prôner ou valoriser dans une démarche de revalorisation du corps ou de l'être au monde, soit. Mais pour autant toute mystique doit-elle être nécessairement détachée du monde ? Je veux dire, si c'est le cas inévitablement au moment "t", le ou la mystique est-il intrasèquement hors du monde ? Et au final, me plaçant sur ligne un peu plus catho (dsl, on ne se refait pas), la question (et là Agathe ouvre tes écoutilles) ne serait-elle pas en fait : y a-t-il abandon réel du corps si l'on considère exstase et instase comme des plongée dans le Corps Mystique du Christ ? Ne peut-on pas y voir une préfiguration de la Résurrection, celle-là même dont on dit qu'elle sera réellement des corps ??


Je m'excuse de ne pas être à la hauteur du débat contradictoire, de mon peu d'argumentation qui se résume, de manière toute jésuite (grrrrrrrrr), à une série de questions.

Si vous avez le temps, chers amis, éclairez ma lanterne !

Pax.
FF.

Anonyme a dit…

@ funny friend

La philosophie peut être une voie vers la réalisation de l'unité ... ou pas.
Pour Pascal l'homme est par essence contradictoire, deux, balancé entre les extrèmes. Cela dit la vérité est certainement chez lui une recherche de l'unité, car une recherche de Dieu.

Mais dans le cas de Nietzsche, la vérité est de l'ordre du multiple. D'ailleurs il n'y pas vraiment de vérité. Nietzsche critique fortement «la volonté de vérité», «la vérité à tout prix» qui est un danger pour la vie. Ce qui compte pour Nietzsche c'est la vie, dans sa multiplicité. L'homme doit embrassé la vie selon tous les points de vues possibles.
L'homme dès lors apparaît morcelé et sans unité. La vie de l'homme est la régulation continue des éléments qui le compose et entrent en conflits les uns avec les autres.

Ton expérience de "l'instase" n'est pas incompatible avec "l'extase". Tu peux voir Thomas d'Aquin sur ce point :

«Or, l'être est en chaque chose ce qu'il y a de plus intime et qui pénètre au plus profond, puisque à l'égard de tout ce qui est en elle il est actualisateur, nous l'avons montré. Aussi faut-il que Dieu soit en toutes choses, à leur intime (...) Dieu est au-dessus de toutes choses, par l'excellence de sa nature; mais il est en toutes choses comme source créatrice de leur être à toutes, ainsi que nous venons de le dire.»
Somme Théologique I Question 8 Sol.1

@ Agathe

L'ange et la bête. L'un des plus beaux thèmes de Pascal ! Peut-être même central.

Pour ce qui est de la grandeur de l'homme :

«Il est donc misérable puisqu'il l'est, mais il est bien grand puisqu'il le connaît»

Pascal souligne très adroitement :

«Il est dangereux de trop faire croire à l'homme combien il est égal aux bêtes, sans lui montrer sa grandeur. Il est encore dangereux de lui trop faire voir sa grandeur sans sa bassesse. Il est encore plus dangereux de lui laisser ignorer l'un et l'autre, mais il est très avantageux de lui représenter l'un et l'autre.»

Ce simple passage éradique la critique de Voltaire faite contre les Pensées de Pascal : «Il dit éloquement des injures au genre humain. j'ose prendre le parti de l'humanité contre ce misanthrope sublime ; j'ose assurer que nous sommes ni si méchant ni si malheureux qu'il le dit».

Ou comment s'auto-valoriser en prenant un génie comme adversaire "à sa mesure". Encore faut-il avoir bien évalué toute la mesure de son adversaire ...

Sémiramis a dit…

Eh bien la hauteur de vue de ces débats m'émerveille.

Quel bonheur de retrouver les amours pascaliennes de M. Camille. Merci de ces précisions fort bienvenues. Pascal me fascine toujours autant pour cette pensée de la tension, de la corde raide, qui renvoie si bien à l'expérience spirituelle! Tu devrais en parler plus souvent, JB!

Pour FF: je pense que tu as raison, totalement; en fait, toutes ces questions n'ont de sens que lorsqu'on les rattache à la question, l'éternelle question, de l'eucharistie. Plus j'avance sur tous les plans, plus je me rends compte que la réalité de la vie humaine, les réalités de la vie devrais-je dire, ne me sont plus compréhensibles qu'à travers un double prisme. Prisme qui engage la dimension corporelle de l'homme en passant par les deux dimensions de son être au monde, l'espace et le temps.
Sur le plan de l'espace, ce prisme est celui de l'offrande inconditionnée, eucharistique: je me donne corporellement, matériellement, là où je décide d'être au monde. Et sur celui du temps, je pense que la grille d'intelligibilté de l'existence gît dans le moment de la nuptialité: le moment de l'offrande absolue. Tiens, il faudrait que j'écrive un post là dessus.

Merci à tous en tous cas, ces commentaires magnifiques viennent combler ma défaillanec informatique qui ne me permet plus actuellement de publier des choses intelligentes! Je vous embrasse mes petits chéris!

Anonyme a dit…

Puis-je demander à JB quel est le rapport entre le problème de l'extase (et de l'instase) et l'analogie de l'être thomiste ? Est-ce que vous voulez dire qu'il y a instase en ce sens que Dieu est présent en toutes choses, et extase en ce sens que Dieu est au-delà de l'être ?

Mais je ne comprendrais pas tout à fait le sens de cette comparaison puisqu'il faudrait poser un étalon fixe : soit l'être, soit Dieu, puisqu'il est clair que chez Thomas, Dieu n'est pas l'être. Dès lors, Dieu ne peut être présent dans l'être que de façon métaphorique, ou analogique, si bien que l'instase ne permet pas de retrouver Dieu. Le thomisme ne me semble admettre que l'extase comme rencontre unitaire avec Dieu.

Eckhartement vôtre,

Gai Lulu

Anonyme a dit…

@ gai luron


Pour Thomas :

Dieu est l'Être (esse).
Les créatures sont des étants (ens).
L'étant c'est "ce qui est".

Les étants sont donc en tant qu'ils ont l'Être.

L'Être n'a pas l'être, il est l'être (avoir l'être, c'est l'avoir reçu).

Les étants on reçu l'être de l'Être (Dieu).

En ce sens, les créatures de Dieu (les étants), ayant reçues l'être de l'Être (Dieu), on donc reçue Dieu en elle.

En ce sens Dieu est au plus intime de nous.
Mais, en tant qu'il est l'Être, et que nous, nous n'avons que reçu cet être, il est également différent, très éloigné de nous.

En ce sens Dieu est hors de nous.

Dieu est en nous et en-dehors de nous.

Voilà le discours de Thomas.

Anonyme a dit…

La Somme théologique est mal traduite dans sa version française. Elle traduit esse et ens par être. D'où confusion.

Anonyme a dit…

Monsieur Camille,

Merci pour votre réponse. Je ne suis pas sûr d'être tout à fait d'accord avec vous.

Quand on lit le commentaire de la métaphysique de Thomas, tout est moins clair que le schéma de la ST que vous résumez :
ainsi, le commentaire de la Métaphysique dit-il clairement que le "sujet" de la métaphysique est l'ens commune, ou l'ens generalis. or, Thomas s'empresse d'ajouter que cet ens commune n'est pas nécessairement matériel et qu'il contient l'intelligible, afin que la théologie relève de la métaphysique. Dès lors, c'est en tant qu'étant commun que Dieu est inscrit dans le projet métaphysique de Thomas.

Je suis d'accord avec vous, bien évidemment sur le Dieu-Esse (et sur la non-réversibilité de cette formule, l'esse n'est pas Dieu) mais je crois que ce n'est pas aussi simple que ça ; on ne peut pas dire que Dieu est l'esse, sans dire en même temps que Dieu relève de l'étant commun, ce sans quoi IL N'Y AURAIT PAS DE THEOLOGIE POSSIBLE !!!

Par ailleurs, le fait de recevoir l'être de Dieu est indéniable chez Thomas ; mais là où j'avoue avoir du mal à vous suivre, c'est lorsque vous passez de cet acte d'être reçu à l'intimité de cet être ; je ne conçois pas, si vous voulez, ce que serait une intimité reçue ; l'acte d'être n'est pas vraiment intime chez Thomas, il est prêté, et repris à la mort. Ce que vous dites serait juste si l'existence relevait de l'essence humaine, auquel cas en effet l'existence serait présente au plus profond de l'homme ; mais l'existence est précisément donnée par Dieu, puis reprise, ce qui ne me semble pas définir un cadre d'intimité.

Bien à vous

Gai Lulu

Anonyme a dit…

«Quand on lit le commentaire de la métaphysique de Thomas, tout est moins clair que le schéma de la ST que vous résumez»

Il s'agit bien de cela : d'un schéma. Et je m'en excuse. Ma connaissance de Thomas étant assez faible, j'ai certainement fais l'erreur de ne pas voir les difficultés et les zones d'ombres de sa théologie.

«Ce que vous dites serait juste si l'existence relevait de l'essence humaine, auquel cas en effet l'existence serait présente au plus profond de l'homme»

Effectivement, le fait d'être ne fait pas partie de l'essence de l'homme. Sinon il ne serait pas contingent, il serait absolument nécessaire, il serait Dieu qui est l'être par essence (l'être est son essence, et inversement).

«mais l'existence est précisément donnée par Dieu, puis reprise, ce qui ne me semble pas définir un cadre d'intimité.»

En ce sens je vous remercie pour votre précision ! Je n'avais pas vus ce problème sous cet angle.

Mais je parlais d'intimité pour nous hommes existants. En tant que nous sommes, l'être donné par Dieu est au plus intime, au sens que sans lui ... nous ne serions pas.

Tout dépend si nous nous plaçons du point de vue de l'essence de l'homme, ou du point de vue de l'homme en tant qu'il est.